Afrique-CFA, l’heure du choix

Vendredi 6 Décembre 2013 - 9:56

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Encore une fois, les quinze pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest viennent d’adopter une résolution en faveur d’une monnaie commune. Encore une fois, cette résolution est déjà lettre morte. Pour le motif que cela oblige les pays utilisant le franc CFA à arbitrer en faveur de l’intégration africaine contre le lien privilégié avec la France. On peut toujours rêver 

Désiré Mandilou, Professeur et économiste en chef de l’African Advisory BoardD’une part, il existe formellement deux zones CFA. Deux monnaies distinctes, non convertibles manuellement l’une dans l’autre, quoique portant le même nom. En effet, le franc CFA d’Afrique centrale est aussi distinct du franc CFA d’Afrique de l’Ouest que du franc suisse. Or nul ne parle de monnaie commune dans l’espace constituant la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. La monnaie CFA ne peut disparaître de l’espace africain de manière hémiplégique. D’autre part, le régime monétaire international actuel travaille pour une sujétion monétaire encore plus approfondie de l’Afrique par rapport à l’euro et au dollar. Cette courte phrase nécessite des éclaircissements.

Primo, sur 54 pays dits indépendants, plus du tiers, soit a minima 19 pays, sont déjà « dollarisés ». Précisons ici que la dollarisation est un terme générique qui désigne toute situation dans laquelle une monnaie de facture étrangère comme le franc CFA ou le dollar américain remplit la fonction de paiement au sein de l’économie nationale. Outre les quinze pays africains qui utilisent la monnaie CFA fabriquée à Chamalières (France), le village auvergnat de Valéry Giscard d’Estaing, on peut citer le Libéria, la RD-Congo, l’Angola, le Zimbabwe, le Sud-Soudan, etc. dans lesquels le dollar a remplacé les monnaies nationales dans les transactions internes.

On peut utiliser le Franc congolais ou le kwanza pour acheter des ignames au marché, mais toute consultation médicale ou achat de produit manufacturé requiert des dollars américains, à Kinshasa comme à Luanda. Sachant que ni l’Angola, ni la RD-Congo ne fabriquent des dollars, on en déduit que ces pays doivent d’abord céder des richesses réelles au reste du monde pour « gagner » des dollars qui leur permettront de simplement accéder à des soins médicaux. Et l’on s’étonnera par ailleurs que la population kinoise vive dans des conditions quasi animales sur des richesses minéralogiques et végétales incommensurables.

Secundo, qu’est-ce que le dollar, l’euro, la livre, ou le yen aujourd’hui ? Des signes monétaires, fabriqués de manière quasi industrielle en faisant marcher la planche à billets. De manière systématique, les pays émetteurs de ces monnaies se sont lancés dans des politiques monétaires dites non conventionnelles, parce qu’elles consistent à injecter sans aucune limite des liquidités dans l’éco- nomie, alors que la richesse réelle produite stagne ou décroît (récession). La Fed, banque centrale américaine, émet chaque mois 85 milliards de dollars pour financer l’État fédéral. Et nul ne sait comment mettre un terme à la généralisation de ces politiques monétaires ultra-expansives, également appelées « quantitative easing ».

La seule certitude, c’est la coupable passivité du continent africain. À l’hyperstimulation monétaire du reste du monde, l’Afrique n’oppose qu’un encéphalogramme plat. Faute d’unité monétaire propre. L’Afrique doit se doter au plus tôt, c’est-à-dire dans les 24 prochains mois, d’une promesse monétaire propre. Une monnaie commune africaine qu’elle pourra échanger contre les autres richesses nominales dénommées euros, dollars, yens, etc. sans s’appauvrir. L’Afrique pourra en effet ipsofacto remplacer l’endettement extérieur par des swaps de devises, exactement comme la BCE, la Bank of England ou la banque centrale suisse vis-à-vis du yuan chinois. Pour les pays CFA comme pour les autres, c’est véritablement l’heure du choix. C’est une question de responsabilité. Likambo ya pema ! (une affaire de capacité à respirer, c’est-à-dire à survivre).

Les sommets France-Afrique se multiplient. On y parle de tout sauf de l’essentiel. L’essentiel est que l’Afrique est le trou noir du système monétaire international. Un système qui se donne désormais à voir comme un jeu dont les pays avancés peuvent changer les règles dans le temps même où l’on est en train d’y jouer. Soit un jeu dans lequel l’Afrique ne peut que perdre. Quelles que soient les politiques économiques mises en œuvre. 

Désiré Mandilou

Légendes et crédits photo : 

Désiré Mandilou, Professeur à l’université de Brazzaville, à l’université du littoral Côte d’Opale à Dunkerque et à l’université de Picardie à Amiens ; diplômé de l’université des sciences et techniques de Lille I, Désiré Mandilou est économiste en chef de l’African Advisory Board, le premier cabinet-conseil international dédié à la rationalisation des choix de politique économique en Afrique.