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Afrique du Sud: Mandela, parti trop tôt?

Lundi 27 Avril 2015 - 14:15

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Les violences visant les étrangers résidant en Afrique du Sud se chiffrent depuis 2008, par des dizaines de morts, des centaines de déplacés et de rapatriés vers leurs pays d’origine. Rd-Congolais, Zimbabwéens, Somaliens, Mozambicains ainsi que des ressortissants d’autres pays africains ayant choisi la nation arc-en-ciel comme leur seconde patrie sont forcés de faire leurs bagages et rentrer chez eux. Motif invoqué par leurs agresseurs : «  ils nous prennent tout ! »

L’Afrique du Sud ne doit rien à personne, serait-on tenté de dire, vraiment rien, même si, par le passé, elle avait eu besoin du soutien du reste de l’Afrique pour se défaire du monstre hideux qui s’appelait Apartheid. Même si les combattants et les dirigeants de l’ANC (Congrès National Africain), principale formation politique au pouvoir, avaient eux-mêmes trouvé refuge chez leurs nombreux voisins du continent, lorsqu’ils ne pouvaient pas mettre les pieds dans ce beau pays qui les vit naître, de peur d’être incarcérés ou simplement massacrés par les tenants du régime ségrégationniste du colon.

Devrait-on peut-être attribuer ce tournant chaotique à la disparition du père de la nouvelle Afrique du Sud, Nelson Mandela ? De son vivant, avouons-le, de telles violences xénophobes orientées contre d’autres Africains, dans le pays qui a souffert des décennies durant de la discrimination raciale ne pouvaient être de mise. Madiba aurait donc dû attendre encore un peu avant de s’en aller. Visiblement, il est mort trop tôt !

Si, en effet, à 95 ans, Mandela semblait avoir rempli son contrat sur terre en tant qu’être humain, dans sa position de leader charismatique sa tâche était loin d’être menée à son terme. Le chantier de la renaissance qu’il avait commencé à bâtir à l’âge de 25 ans lui a pris quarante-sept longues années pour le nivellement du terrain (début de la carrière politique en 1943, prison de 1964 à 1990) et seulement quatre ans, son bref mandat présidentiel, pour l’érection des fondations. Il lui restait d’en élever les murs et d’en poser le toit. Du travail essentiel, cela va sans dire, pour savoir si la maison sur laquelle l’on a mis tant d’énergie à construire est devenue habitable.

Il n’est pourtant pas question d’insinuer que l’Afrique du Sud soit un pays invivable. Au contraire, quelques années seulement après la fin de l’apartheid, le pays de Mandela a retrouvé le concert des nations et attiré de nombreux immigrés dont des Africains. Le niveau de ses infrastructures scolaires, universitaires, socio-sanitaires et économiques en est la symbolique. Son influence au sein de l’Union africaine est indéniable alors que sa position de pays émergent en fait un membre du Brics, le prestigieux groupe constitué par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et donc l’Afrique du Sud.

Qui sait si, dans l’idée qui continue de faire son petit bonhomme de chemin sur la réforme de l’ONU, avec le probable élargissement du Conseil de sécurité de cette institution, l’Afrique du Sud ne ferait pas partie des candidats à même de remplir les critères ? Il reste que ses dirigeants se mettent au diapason d’une telle ambition, car durant les violences xénophobes de ce mois, nombreux d’entre eux se sont déjugés par la violence de leurs propos, au point de faire douter de la capacité de leur pays à mériter une telle considération.

Mais au-delà des condamnations, il y a tout de même lieu de faire observer une chose. A l’instar d’autres pays africains, l’Afrique du Sud est confrontée au problème de pauvreté et de chômage de sa population et de sa jeunesse. La fin de l’apartheid a certes rendu la liberté aux Sud-Africains opprimés, mais le passage du témoin matérialisé par le départ du pouvoir blanc s’est traduit par l’émergence d’une classe dirigeante noire de moins en moins épargnée par des critiques d’enrichissement et d’embourgeoisement illicites.

D’un certain point de vue, les violences décriées actuellement peuvent avoir pour terreau les inégalités criantes résultant de cette situation. En la circonstance, les étrangers pris pour cibles sont de simples boucs émissaires dont le départ même négocié, ne pourrait se traduire par une embellie économique et sociale chez les manifestants dont les expéditions punitives sont dénoncées  par toute l’Afrique.

Mandela n’étant plus là pour incarner le sens de la mesure en toute chose, il faudrait à l’Afrique du Sud un sursaut national pour sortir de ce cercle vicieux. Sinon, elle pourrait cesser d’être le miroir d’une certaine Afrique admirée pour son niveau de développement et son leadership continental.

Gankama N'Siah

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Édition Quotidienne (DB)

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