Alain Roger Coéfé : « Se développer, c’est prendre son destin en main »

Vendredi 5 Juillet 2013 - 17:30

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Docteur ès sciences économiques, Alain Roger Coéfé, soixante ans à peine, a enseigné l’économie à l’académie de Versailles (France) ainsi qu’à l’université de Ouagadougou avant d’assumer les fonctions ministérielles dans son pays, le Burkina-Faso, à l’ère de la révolution démocratique et populaire de feu président Thomas Sankara. Il a aussi été le Représentant résident adjoint du Pnud au Congo et dirige aujourd’hui une société qui opère dans les TIC. Il vient de publier un ouvrage intitulé La mondialisation trente ans après, qu’il a bien voulu déposer en mains propres à la Librairie du Bassin du Congo. Dans une interview exclusive, il trace quelques pistes de solutions pour une Afrique émergente, à l’instar du continent asiatique

Docteur Alain Roger Coéfé.  Les Dépêches de Brazzaville : Pourquoi avoir choisi le Congo et Les Dépêches de Brazzaville pour parler de votre ouvrage, et quel but poursuivez-vous en écrivant La mondialisation trente ans après ?

Alain Roger Coéfé : J’ai choisi Les Dépêches de Brazzaville, parce qu’elles sont une référence en Afrique. Je pense qu’un ouvrage qui n’est pas passé dans les colonnes de ce quotidien ainsi que dans sa librairie est probablement un ouvrage qui ne connaîtra pas une audience importante. Quant au but poursuivi, il est de susciter des réflexions, des débats et des échanges sur la politique, l’économie, notre manière de vivre ensemble. Il s’agit de porter un regard critique sur le développement économique et social du monde, de nos pays, de l’Afrique d’une façon générale, et de l’Afrique de l’Ouest en particulier, durant ces trente dernières années. Nous devons donc poser les questions qui fâchent afin de nous amener à regarder différemment ce que nous faisons aujourd’hui et changer nos manières de concevoir et d’agir pour demain.

LDB : Dans cet essai vous pensez que la prolifération des communautés économiques régionales (CER) et les mandats qui se chevauchent gênent l’intégration. Quelles sont alors les défaillances que vous constatez au sein des CER et quelle politique envisagez-vous pour une intégration réussie ?

ARC : L’intégration suppose d’abord une volonté politique, il faut y croire. Ce que l’on constate, c’est que les politiques n’y croient pas beaucoup. Ce sont des leitmotivs, des arguments que l’on utilise simplement pour faire de la politique. C’est l’une des principales raisons pour laquelle l’intégration n’avance pas. Pour que l’intégration se réalise, il faut que les pays aient un projet commun et que les différents États acceptent de perdre une partie de leur souveraineté au profit d’un organisme sous-régional qui pourrait donc impulser, réaliser ce que les États ne sont pas capables de faire individuellement.

LDB : On constate que cet ouvrage est basé sur les CER. Pourquoi les avoir choisis pour dresser le bilan de la mondialisation trente ans après ?

ARC : Parce que c’est ce que je connais le mieux. J’ai une expérience trentenaire dans la pratique de l’économie mondiale, régionale et nationale tant sur le plan public que privé. Il était normal que je désire transmettre ce que je connais, notamment, aux jeunes générations. Nos pères ont quand même conquis l’indépendance politique et nous, nous aurions dû, à notre tour, conquérir l’indépendance économique, ce qui n’a pas été fait. Il faut donc préparer la jeune génération à faire face aux obligations de sa génération, à savoir : l’éradication de la pauvreté de masse, l’industrialisation endogène, la révolution agricole, l’intégration économique régionale, la création des marchés communs dynamiques. Le monde qui se dessine aujourd’hui, est un monde de grands blocs économiques. Nous devons nous organiser, en Afrique, dans des blocs économiques compétitifs comme l’Asie a su le faire ces trente dernières années, pour pouvoir peser et ainsi assurer un mieux-être de nos populations.

LDB : Comment évaluez-vous la spécialisation régionale du travail en Afrique de l’Ouest, de la période précoloniale à nos jours ? Et comment envisagez-vous une nouvelle approche de la problématique de l’intégration régionale toujours dans cette partie du continent ?

ARC : Le bilan est clair ! L’Afrique, depuis cinquante ans, globalement, est demeurée dans l’Ancienne division internationale du travail (Adit) qui fait de nos pays, des producteurs de matières premières et de produits de base, alors que nos pays auraient dû créer des industries de transformation de ces produits, pourvoyeurs de valeurs ajoutées et d’emplois. En Afrique de l’Ouest, nous n’avons pas pu nous soustraire à cette triste réalité. L’avenir passera par un redécoupage de l’espace sous-régional pour créer des entités viables, à partir desquelles, il sera possible de mettre en place des processus endogènes de développement. Il faut que l’on accepte de reconsidérer un certain nombre « d’acquis » comme l’intangibilité des frontières, les intérêts mesquins nationaux et la question de la monnaie qui constituent des obstacles à l’émergence d’une Afrique de l’Ouest prospère.

LDB : Concrètement, combien de temps faut-il pour développer un pays ?

ARC : L’expérience économique de ces trente dernières années montre qu’il faut à peine vingt-cinq ans, l’espace d’une génération, pour vaincre la pauvreté de masse. Cet ouvrage montre comment cela a été possible en Asie, en Europe, en Amérique et en Afrique.

LDB : Grosso modo, quel bilan tirez-vous de la mondialisation trente après ?

ARC : Trente ans après, l’Asie est le continent qui a le mieux profité de la mondialisation. De sujet, elle en est plutôt devenue un acteur principal. À titre d’illustration, la Chine est maintenant la deuxième puissance économique mondiale, le Japon troisième et l’Inde sixième. Qui aurait rêvé de cela il y a trente ans ? C’est dire que l’Asie a réussi à placer dans les dix premières économies mondiales ces trois pays. C’est en imitant le modèle de développement du Japon, que la science, la technologie et le développement se sont répandus dans cette partie de l’Asie. L’Afrique, en dehors de quelques pays comme l’Afrique du Sud, la Tunisie et l’Île Maurice, est restée dans l’Adit, qui fait d’elle une pourvoyeuse de matières premières. Donc pour sortir de cet étau, il faudra accélérer l’intégration économique régionale, mettre la jeunesse au cœur du développement, ingérer les sciences et maîtriser la technologie, les appliquer non seulement à tous les domaines de l’activité humaine (notamment à l’industrie et à l’agriculture) mais aussi les diffuser au plus grand nombre.

LDB : Tout ce que vous dites s’est fait déjà…

ARC : Le développement ne se décrète pas. Il n’y a pas une ordonnance qui peut décider qu’on est développé. Se développer, c’est avant tout prendre son destin en main. Il faut mobiliser la population et trouver un accord entre l’élite et la masse de la population, pour mener, sur une période de vingt ans au moins, un processus de réformes majeures et hardies, qui va permettre d’enclencher le développement. Cependant, ce qui est certain, c’est que la façon dont nous nous comportons, notre façon de vivre, de consommer, de produire et de nous reproduire, contribue, de façon notable, au sous-développement de nos pays et de notre continent. Le paradoxe est le suivant : comment nos pays peuvent-ils être aussi riches et nos populations aussi pauvres ? C’est cette équation qu’il faudra résoudre.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Docteur Alain Roger Coéfé.