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Antoinette Sassou N’Guesso : «La gestion de la cité n’est pas qu’une affaire d’homme»

Dimanche 2 Mars 2014 - 22:30

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Femme de tête et de cœur engagée dans le domaine social, la première des congolaises, Antoinette Sassou Nguesso, a répondu aux questions des Dépêches de Brazzaville à la veille du Forum Mondial des femmes francophones. L’occasion de passer en revue le bilan des actions menées avec sa fondation  Congo Assistance  et la situation des femmes et des jeunes filles congolaises.

Antoinette Sassou N’Guesso, première dame du Congo ©DRLes Dépêches de Brazzaville : Vous êtes très engagée au travers de votre fondation dans la lutte contre le VIH-sida, la drépanocytose, le paludisme et le cancer. Quels progrès avez-vous pu observer dans ces différents domaines ?

Antoinette Sassou-N’Guesso : Prenons les pathologies une à une et observons, depuis que ma Fondation s’est engagée dans ces combats, le chemin que nous avons parcouru. Le VIH et le sida ont bénéficié d’une mobilisation planétaire, vu les périls que l’humanité courait à travers la propagation de cette pandémie. Très tôt au Congo, les pouvoirs publics n’ont pas caché la réalité de cette maladie. Pour ma fondation, le repère historique reste l’année 2000 où nous avons effectivement inscrit la lutte contre le VIH et le sida dans nos actions. Je pense avoir été l’une des premières dames africaines à introduire, dans le programme de lutte contre la transmission du virus de la mère à l’enfant pendant l’accouchement, une réponse pratique. En effet, avec l’appui d’une amie française aujourd’hui disparue, nous avons pu obtenir en 2001 auprès des laboratoires Boehringer Ingelheim, et ce pendant cinq ans, la mise à disposition gratuite d’une molécule, la Viramune. Des vies d’enfants, qui n’avaient pas demandé à naître mais qui risquaient d’arriver sur terre avec une maladie incurable, ont été de ce fait sauvées. Aujourd’hui, dans le cadre de l’Organisation des premières dames d’Afrique contre le VIH-sida, nous continuons à nous battre pour qu’à l’horizon 2020 au plus tard nous arrivions à zéro transmission du VIH de la mère à l’enfant. Concernant la drépanocytose, je pense que l’aboutissement partiel de ce combat est la construction à Brazzaville du plus grand centre de prise en charge en Afrique. Le combat que nous avons mené, Madame Wade et moi avec l’appui inestimable de l’Organisation internationale de lutte contre la drépanocytose, a été consacré par le vote de la résolution A/63/237 de l’Assemblée générale des Nations unies. Cette résolution faisait de cette maladie une priorité de santé publique et déclarait le 19 juin de chaque année Journée internationale de sensibilisation à la maladie. Enfin, nous venons d’ajouter une nouvelle pathologie dans le périmètre de nos interventions, il s’agit du cancer du col de l’utérus. Là aussi, la fondation essaie d’apporter des réponses concrètes. Nous sommes en train de finaliser avec nos partenaires allemands le projet de la clinique du cancer de Brazzaville qui verra ses travaux commencer très prochainement. À l’occasion du 8-Mars de cette année, nous allons financer la première campagne de vaccination contre le cancer du col de l’utérus des jeunes filles de huit à onze ans dans le département de la Lékoumou.

LDB : La santé de la mère et de l’enfant s’inscrit dans vos priorités. La gratuité de la prise en charge des césariennes est-elle aujourd’hui effective dans tout le pays ? Est-ce que l’on a déjà pu mesurer les effets positifs de cette mesure ?

Cela a été une décision du gouvernement, et je pense qu’au niveau du ministère de la Santé une évaluation doit être en cours. Nous jouerons notre rôle de veille, et à l’occasion nous rappellerons au gouvernement ses engagements si jamais des correctifs devaient être apportés.

LDB : La ministre Yamina Benguigui a proposé deux mesures en faveur de l’éducation des jeunes filles : la scolarisation obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans et la création d’un fonds pour l’éducation. Soutenez-vous ces deux initiatives ?

Absolument. J’en ai d’ailleurs discuté avec elle, et je pense que notre soutien lui sera toujours acquis dans la mise en œuvre de ces initiatives.

LDB : Au Congo, nous avons des problèmes de grossesses précoces. Pensez-vous que ces deux mesures peuvent être une solution ?

C’est d’abord et avant tout un problème d’éducation dans la cellule de base qu’est la famille. Si les parents démissionnent face à leurs obligations, de tels drames se produiront inéluctablement. L’école prendra certes toute sa place, mais les jeunes filles doivent être encadrées par la famille. L’école est un complément pour elles dans la mesure où elle leur donne l’instruction et la connaissance que les parents n’ont peut-être pas. Ce sont donc des démarches complémentaires qui pourront s’appuyer l’une sur l’autre.

LDB : Vous avez été à l’initiative d’une rencontre des femmes entrepreneures de la diaspora à l’ambassade du Congo à Paris. En quoi ce sujet de l’entrepreneuriat féminin vous tient-il à cœur ?

Tout simplement parce que les femmes, dans le cas du Congo, sont majoritaires dans la population. Une telle énergie ne peut être marginalisée pour de quelconques raisons. Les femmes ont le mérite d’avoir pour elles le sens pratique, et je crois que celles qui se lancent dans des activités commerciales ont fait la preuve de leur savoir-faire. Regardez dans nos marchés : qui majoritairement tient le commerce de détail ? La promotion de l’entrepreneuriat féminin contribuera à leur donner des outils modernes de gestion et à canaliser leurs efforts vers des secteurs porteurs et rentables. C’est en cela que j’encourage cette initiative.

LDB : Votre action pour la réconciliation du pays est reconnue par tous. Vous avez présidé la Mission de paix des premières dames (Mipreda) il y a quelques années et vous continuez à diriger cette mission au niveau national. Où en est aujourd’hui cette organisation ? Comptez-vous vous investir pour la réconciliation en Centrafrique ?

La Mipreda, qui est aujourd’hui présidée par Mme Patience Goodluck du Nigeria, continue son petit bonhomme de chemin. Nous sommes en train de la doter d’un siège à Abuja. Ensuite, il faudra nommer une secrétaire exécutive pour dynamiser son fonctionnement. À ce jour, des missions ont été envoyées dans les zones de conflit, que ce soit au Mali ou au Soudan du Sud. Nous sommes en train de préparer avec mes sœurs une initiative pour la RCA, et en temps opportun nous la ferons connaître.

LDB : Est-ce de ce souci de réconciliation que vient votre implication très forte dans la municipalisation accélérée ?

Peut-être, mais vous devez savoir que je ne me suis pas autoproclamée marraine des municipalisations. Les ressortissants des départements concernés sont tour à tour venus me consulter pour que je puisse les aider dans cette œuvre de construction nationale. La noblesse de la mission ne pouvait me laisser indifférente. Si mon discours et mes actions, dans le cadre de la réconciliation des filles et fils du Congo, ont trouvé un écho auprès des populations, je ne peux que m’en réjouir et m’engager à faire mieux et plus.

LDB : Vous étiez présente lors de la création de l’organisation des femmes du PCT, et l’Association Maman Antoinette Sassou a appelé largement les femmes à participer au recensement administratif spécial. À quelques mois des élections municipales, comment encourager les Congolaises à s’investir davantage dans la vie de la cité ?

Il ne faut pas que les femmes puissent penser que la gestion de la cité n’est qu’une affaire d’hommes. Si elles ne veulent pas qu’on décide à leur place, elles doivent s’impliquer dans la vie du pays. C’est donc pour cela que les organisations de mobilisation politique qui se réclament de moi ont lancé cet appel. Je ne peux que les appuyer à continuer ce travail de mobilisation.

 

 

1984-2014 : Fondation Congo Assistance, trente ans au service des plus démunis

La Fondation Congo Assistance fête cette année ses trente ans. Créée en 1984, l’association, que préside la première dame du Congo, s’est fixé pour objectif de promouvoir l’action sociale au Congo dans les domaines de la santé, de la nutrition, du développement, de l’éducation, de la formation professionnelle, et de l’assistance aux personnes âgées. Trente années de travail au service des plus démunis sur lesquelles revient sa présidente, Antoinette Sassou-N’Guesso

Sensibiliser, marquer les esprits

Mon mari étant chef d’État, je ne voulais pas rester en marge. Enseignante, je me suis toujours sentie concernée par les jeunes enfants, les femmes, les personnes âgées. Depuis trente ans, et malgré une éclipse de cinq ans, je poursuis le travail de la fondation sans discontinuer. Pendant cette période d’absence, tout ce que nous avions réalisé – les pharmacies rurales, l’école pour les jeunes filles-mères – a été détruit. Mais nous sommes revenus, et j’ai repris les choses en main. Le bilan est positif. La fondation a marqué et continue de marquer l’esprit des Congolais, surtout les femmes et les enfants. Mais il reste beaucoup à faire. Par exemple, nous trouvons aujourd’hui des personnes âgées abandonnées et nous œuvrons pour leur offrir un cadre de fin de vie décente qui corresponde à leur âge, des lieux d’accueil qui peuvent accueillir également des retraités qui n’ont plus de repères.

Apporter des réponses

D’une manière générale, la fondation prend en considération tous les problèmes. Des personnes désemparées viennent vers nous pour solliciter un appui dans tous les domaines : social, santé, éducation, quelquefois pour soulever les problèmes de leur propre vie. Nous essayons dans la mesure du possible d’apporter des réponses à toutes ces questions. En trente ans, notre mission a ainsi beaucoup évolué. Bien sûr, nous avons rencontré des obstacles. La fondation n’est pas prise en compte par l’État, elle repose sur le bénévolat et, comme toutes les ONG, nous devons trouver des moyens et des hommes de bonne volonté aussi bien au Congo qu’à travers le monde. En France, j’ai mené des plaidoyers. Nous avons organisé des soirées caritatives qui ont rassemblé des fonds pour le sida, pour la drépanocytose. Les moyens pour répondre à ces problèmes ne sont malheureusement pas toujours au rendez-vous.

Premières dames d’Afrique, premières dames du monde

Toutes les premières dames d’Afrique travaillent pour aider leur pays. Elles travaillent énormément. Chacune a un but à atteindre, un appui à apporter dans le domaine social, dans le domaine de la santé en particulier. Leur avis compte. Elles apportent une réponse et font avancer les choses : quand les premières dames sont sur un sujet, elles emportent souvent l’adhésion. Au-delà, de nombreuses anciennes premières dames dans le monde – je pense à Mme Bush, à Mme Blair – ont une association et se sont regroupées pour parler de leurs expériences et nous aider à rencontrer les hommes d’affaires et les associations qui ont des moyens pour financer des projets en Afrique. Cette rencontre a lieu tous les deux ans à New York. À Paris, j’ai beaucoup travaillé avec Mme Mitterrand qui nous a aidés dans le cadre de la lutte contre le sida, de l’apport au monde rural, ainsi que dans l’installation d’une banque du sang avec son association France Liberté ; avec Mme Sarkozy, sur le problème de la jeune fille-mère ; avec Mme Chirac, qui nous a présenté l’opération Pièces jaunes. Ce sont des expériences très intéressantes dont on peut s’inspirer.

Par Rose-Marie Bouboutou et Yvette Reine Nzaba

Légendes et crédits photo : 

Photo1 : Antoinette Sassou N’Guesso, première dame du Congo ©DR Photo2 : Antoinette Sassou N'Guesso lance les premières opérations à coeur ouvert au CHU de Brazzaville ©DR