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Cécile Kyenge : «La question de la citoyenneté concerne tout le monde»

Lundi 3 Mars 2014 - 0:45

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Racisme et xénophobie sont des formes d’ignorance qui peuvent se combattre par l’éducation. La femme politique italienne et ex-ministre de l’intégration en est convaincue et a partagé son point de vue avec les Dépêches de Brazzaville peu de temps avant d'être évincée du gouvernement italien 

Il n’y a pas plus de racisme en Italie qu’ailleurs. Les actes d’hostilité à l’encontre de la première Noire ministre dans un gouvernement en Italie sont, dit celle-ci, les effets combinés d’une crise économique financière grave et d’une mauvaise connaissance des faits liés à l’immigration. Surtout, soutient Cécile Kyenge dans un entretien qu’elle nous a accordé en marge de la présentation à Rome du dernier rapport Caritas sur les migrations, c’est en agissant sur la femme immigrée, grand vecteur de formation de la famille, que les valeurs de respect, de tolérance et de coexistence seront renforcées et la loi observée dans la société.

Cécile Kyenge, ex-ministre de l’intégration italienLes Dépêches de Brazzaville : Madame, ces derniers temps vous insistez beaucoup sur l’octroi de la citoyenneté aux enfants nés de parents étrangers en Italie. Pourquoi ?
Cécile Kyenge :
Notre gouvernement a ramené l’immigré au centre de ses agendas. Depuis le 3 octobre dernier (avec le naufrage de plus de 300 clandestins à Lampedusa, NDLR), on voit les ravages que peuvent causer des règles mal comprises. Il nous faut changer d’axe. Au fond, la question de la citoyenneté concerne tout le monde, pas seulement la ministre ni le gouvernement. Aucun enfant, parmi ceux qui sont éligibles à la citoyenneté italienne, n’a demandé à naître ici plutôt qu’ailleurs. La nécessité urgente, qui concerne tout le monde, c’est celle de leur apporter une réponse intégrative claire. Et cette tâche revient à tous, pas seulement aux partis politiques.

LDB : Vous êtes souvent incomprise, critiquée, voire insultée en tenant ce discours…
C’est pourquoi j’ajoute que l’éducation qu’on acquiert dans une famille nous prémunit de la peur de l’autre. C’est la peur qui favorise les suspicions et pousse aux attaques haineuses. La peur devrait plutôt être de la retenue dans le fait de prononcer certains mots, de transgresser certaines règles, certaines lois. C’est quand on s’astreint à la réserve et que l’on se retient de prononcer certains mots au sein des institutions et des formations politiques, surtout quand on est un élu, que l’on peut découvrir le sens de l’autre, la valeur de l’autre… La politique doit faire toujours plus, c’est vrai, mais la société fait ou ne fait pas ce que les politiques s’abstiennent de dire ou de transgresser. Il faut combattre les stéréotypes.

LDB : Donc c’est la famille, la femme qui sont au centre de ce combat ?
Résolument ! Une politique d’intégration véritable passe par une politique du genre. Il faut porter attention à la condition de la femme, de la femme immigrée surtout en l’occurrence. Il faut renforcer ses capacités d’intervention et de réalisation dans la société. C’est quand la femme est renforcée dans son rôle citoyen, dans son rôle de femme ou de mère qu’elle renforce à son tour une intégration qui veut se reconnaître telle. La société entière y gagne.

LDB : Une intégration sans racisme est-elle possible en Italie ?
Bien sûr ! Le processus est culturel, pas seulement politique et juridique. Voilà pourquoi mon ministère travaille à des priorités qui vont dans le sens de renforcer la vision culturelle que nous avons du phénomène de l’immigration, par exemple. Nous avons lancé un plan triennal contre le racisme, la xénophobie et toutes les autres formes de discrimination. En portant principalement nos efforts sur la jeunesse, nous avons lancé avec le Conseil de l’Europe le programme dit Hate Speech qui se sert des diverses potentialités du web pour combattre l’incitation à la haine raciale. Un autre aspect vise l’élimination dans notre arsenal juridique de toutes les normes discriminatoires. Le combat est de longue haleine et implique différents secteurs de la société, mais il n’y a pas de doute, c’est un parcours inévitable qu’il fallait entreprendre.

Propos recueillis par Lucien Mpama

Légendes et crédits photo : 

Cécile Kyenge, ex-ministre de l’intégration italien ©DR