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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Kabako Lambert ne chantera plus « Osala ngaï nini ? »

Jeudi 5 Juillet 2018 - 15:43

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Kabako Lambert est mort, le 23 juin 2018, à l’âge de 70 ans. Il était né le 17 mars 1948, à Brazzaville. Il y a grandi, fait ses études et s’est lancé dans la musique, qu’il a passionnément exercée pendant plus de quarante-cinq ans. Dans le concert inévitable de louanges post-mortem qui a lieu en ce moment,  il est difficile d’être original. 

Kabako Lambert se définissait comme « mwana Ouenzé », un enfant de Ouenzé. Cette affirmation identitaire est le propre de tous ceux qui, comme lui, nés avant 1959, sont, avant tout, natifs de Poto-Poto. Ouenzé, jusqu’à son érection en commune, était une excroissance de Poto-Poto, comme Moungali. Il y a quelques années, il créa un groupe de musique dénommé Bana Ouenzé, à l’image de Bana Poto-Poto de Roland Bienvenu Faignond.

Après Vox Congo et Mélodia Milimu, c’est avec un autre gars de Ouenzé, Jean Ngoumba dit « John Tamponé »,  que Kabako Lambert  met véritablement le pied à l’étrier, en 1973,  dans l’orchestre Super Kwala Kwa. Il sort « Régine » et « Vutuka » qui le mettent sur l’orbite musicale congolaise. L’année suivante, il se retrouve dans Les Bantous de la capitale qu’il quitte en 1976,  pour intégrer l’orchestre Télé Music. Il fait partie, avec Antoine Mawana dit Braz Antonio, Ferdinand Kiolo dit Johnny et Arthur Nona,  des transfuges des Bantous de la capitale qui n’ont pas été retenus dans l’Orchestre national. Ils pensaient, à tort ou à raison, devoir en faire partie, l’ossature de l’Orchestre national étant  constituée de dix musiciens des Bantous de la capitale. C’est la raison de leur ire. Cette fugue pour  Kabako Lambert et Ferdinand Kiolo Johnny s’arrête un an après, en 1977. Les deux  rejoignent les Bantous de la capitale. Kabako Lambert va y rester quasiment sans discontinuer jusqu’à son décès.

Son itinéraire est jalonné de plusieurs titres à succès : « Annie », « Mwana Kinkala », « Julie », entre autres.  Mais, deux œuvres symbolisent la créativité de cet auteur-compositeur dont les talents sont unanimement reconnus : « Lokumu ya PCT », panégyrique à la gloire du  Parti congolais du travail et, surtout,  « Osala ngaï nini ? », un incontestable succès. Ce dernier titre, que j’ai réédité aux éditions Beau-Saccot Sound de Promo Music, à la demande expresse de Kabako Lambert, m’a valu un procès homérique face à Nino Malapet de Music Press, l’éditeur originel de cette œuvre. Pendant des jours, ce procès a défrayé la chronique dans  les  médias de la place : « Mweti », « Voix de la Révolution congolaise » et « Télé-Congo », avec une mauvaise foi évidente.  Un feu de paille, pour tout dire, qui a eu la fâcheuse conséquence de faire rater à l’auteur de substantiels  revenus.  J’ai donc eu le privilège d’avoir connu Kabako en qualité de producteur de musique, mais aussi de mélomane.

 Brazzaville était une ville d’ambiance. La musique était partout. Dans les débits de boissons des quartiers, dans les bars dancing, dans les boîtes de nuit. Les bals des jeunes étaient une tradition, en particulier, celui des étudiants. Féru de musique, j’étais de tous les concerts amateurs ou professionnels, me coltinant dans ce dernier cas aux vieux Elouma Pierre-Jean, Gomes Marcel, Roger Molouba, Popol Kouma, Ayina Jean-Pierre, Moukouéké, entre autres,  habitués des Bantous de la capitale. A la cabane Bantoue se retrouvait aussi tout ce que Brazzaville comptait de bons vivants: Gwassa, Siatis, Mbimi, Don Fernand Ondzé, Massengo Fonctionnaire, Bouetoum Kiyindou, Kandza, Santos, Ebandza, Roger Ossombo, Dominique Mondoubi, Jean-Paul Dathet, Dario, Ongotto Jacques.  Bantous de la capitale, Negro Band, Mando Negro Kwala Kwa, Sinza Kotoko, le Sbb (Super Boboto de Brazzaville), Mok National Kiwo, tenaient en haleine le public mélomane.  Puis, vinrent les groupes des jeunes, Bilenge Sakana, Ndimbola Lokolé, Shamamba, Mushamba, Mayi Ndombé Les Mystères, Les Kowa, Djila Mouley, Mayi Ndombé, Suze Yema, Les Techniciens, Le Groupe Rouge, Les As, etc., embrasèrent  Brazzaville d’un feu d’artifice musical permanent. Hélas, tout a une fin.

L’instabilité politique post conférence nationale a contribué à la dégénérescence musicale au Congo. Cette période est  caractérisée par une violence inouïe, la balkanisation de Brazzaville, les enlèvements crapuleux et la terreur. Les Congolais sont amnésiques, les hommes politiques, en particulier, dont certains acteurs de cette période fuligineuse, qui se targuent d’être le parangon de l’opposition et de la bonne gouvernance. Plus de concerts, du fait d’une insécurité endémique, la joie de vivre a cédé  la place à la morosité ambiante. La musique est la grande victime des turpitudes de la politique politicienne. Le retour à la paix n’a pas permis à Brazzaville de retrouver son atmosphère de fête permanente. Le  Fespam, qui avait pour but de « rebooster » la vie musicale congolaise, a fait choux blanc, particulièrement, après l’édition héroïque post-guerre. Adieu l’artiste ! Que la terre de nos ancêtres te soit légère. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.        

Mfumu

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