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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : le baccalauréat

Jeudi 12 Juillet 2018 - 22:02

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Fin mai, début juin 2018, les élèves congolais ont passé les épreuves du bac. Le tout s’est, semble-t-il, passé dans de bonnes conditions. Pas de fraudes. Le baccalauréat est un héritage du système éducatif français.

Le baccalauréat, comme beaucoup d’institutions en France, a été créé, en 1808, par Napoléon 1er. L’objectif était de promouvoir de nouvelles élites, pour encadrer l’Empire triomphant que la rébellion d’Espagne osait encore défier. Le baccalauréat, c’est le nouveau nom de l’ancienne maîtrise ès arts. C’est le premier grade universitaire avant la licence et le doctorat et non pas un certificat de fin d’études secondaires. En juillet 1809 a lieu la première session. S’y présentent trente et un candidats. Ils sont interrogés par des professeurs d’université. Les épreuves sont orales et se réduisent à une discussion. Napoléon, faut-il le rappeler, a fondé un Etat, créé une administration préfectorale, judiciaire, fiscale. Il a multiplié les codes, civil, pénal, commercial, etc., et instauré un droit chapeauté par les institutions garantes de son bon exercice : Conseil d’Etat, Cour des comptes, Cour de cassation. « Il dessine une société qui remet l’individu au centre, sans qu’il soit jamais en concurrence avec l’Etat ». Tout au long du XIXe siècle et du siècle suivant, les réformes se sont succédé à un rythme soutenu.

Le système scolaire congolais, issu du système colonial, hérite de ce bac. Les épreuves qui se déroulent au Congo sont corrigées à Bordeaux. À l’époque, le bac est un diplôme prestigieux. Il ouvrait les portes du Centre d’enseignement supérieur de Brazzaville, ancêtre de l’université Marien- Ngouabi. Les étudiants étaient auréolés d’un certain prestige. Il n’y a qu’à écouter Amen Maria de Pamelo Mounk’a pour s’en rendre compte, « Obala na yo étudiant », statut cité à côté d’ambassadeur, médecin, etc. De cette époque me reviennent des noms célèbres : Michel Kongo, Marien Ibata, Paul Lukanga, Antoine Makonda, Abraham Ndinga Mbo, Ndongabeka Isidore « Erumba ». Nombre d’entre eux deviendront enseignants à l’université, parfois ministres, concrétisant, par leur ascension, la prémonition de Pamelo qui en faisait des beaux partis. Certains d’entre eux, entamant à peine leurs études supérieures, se retrouvent, sans background pertinent, aux postes de commande du pays. Nous en payons encore le prix, d’autant que depuis, on est tombé de Charybde en Scylla.

En 1973, Brazzaville s’émancipe de l’Académie de Bordeaux et institue son propre baccalauréat. La première session du bac nouveau se tient cette année-là. Les nouveaux bacheliers intègrent l’université de Brazzaville. Ils jouissent des mêmes avantages que leurs prédécesseurs : bourses d’études, hébergement à l’Impérial ou au campus universitaire, etc. Ceux qui ne sont pas logés au campus louent des maisons dans les quartiers de Brazzaville. Certains entretiennent avec leur bourse, femmes et enfants. Le prestige de l’étudiant est intact. Mais au début de la décennie 1980, la situation change. Peu à peu, le prestige du bac s’étiole. Le nombre de bacheliers a explosé, leur condition de vie s’est dégradée, le niveau a baissé. L’école congolaise commence, avec cette génération d’étudiants, à payer les élucubrations du charlatanisme ambiant et ses expérimentations calamiteuses des années 1970, au nombre desquelles, la fameuse « école du peuple » qui a tué l’enseignement au Congo. Autre phénomène débilitant, l’envoi massif des étudiants dans l’enseignement, sans formation spécifique ni vocation. Résultat : la plupart de ces substituts d’enseignants, après leur intégration dans la Fonction publique, ont émigré vers des pâturages plus verts : Douanes, Trésor, Impôts, entre autres, aggravant le déficit du personnel enseignant. L’Enseignement paie au prix fort ce nomadisme incontrôlé dû, pour l’essentiel, au laxisme et au népotisme de ceux qui ont en charge la gestion de la Fonction publique. À quoi sert le bac en 2018, quarante-cinq ans après la session inaugurale en 1973 ? Il n’est plus un diplôme de l’élite. Dans certains cas, il est sujet à caution. D’autres titres universitaires l’ont supplanté. Depuis quelques années, dans de nombreuses universités étrangères, plus d’admission automatique avec le bac congolais. On le sait, Internet permet sans peine, aujourd’hui, la fabrication de faux diplômes. Ce n’est pas un phénomène propre au Congo mais il tend à devenir endémique chez nous. Il doit être traqué avec vigueur. Vœu pieux dans un contexte permissif. Au surplus, la vulgarisation des écoles privées n’est pas sans problème. C’est un autre sujet.

Ce papier sur le baccalauréat a servi de révélateur et éclairé les dérives et les mœurs dégénérées des hommes et de la société congolaise. Les résultats du bac, cette année, bons ou mauvais, ne doivent pas occulter les questions lancinantes qui se posent à l’école congolaise, en perte de vitesse. Quoi qu’il en soit, elle reste, foncièrement, le lieu où se structure l’homme. Si l’on veut contrarier les effets désastreux de l’imitation sociale qui incite les gens à adopter les contrevaleurs outrageusement affichées, l’école doit être le chantier prioritaire de ceux qui gouvernent. Les véritables héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Mfumu

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