Conférence nationale souveraine : le difficile envol pour la démocratie

Lundi 24 Février 2014 - 17:45

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23 ans, c’est l’âge de la démocratie congolaise. Le 25 février 1991 s’ouvraient à Brazzaville des débats qui, sonnant le glas du régime monopartite, devaient conduire le Congo vers de nouveaux horizons. Depuis cette date, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Autant d’encre et de salive versées dans les états-majors politiques. Comme c’est encore le cas aujourd’hui avec cette réclamation des états généraux de la nation « pour faire le point et projeter l’avenir du pays ». Une espèce de conférence qui ne dit pas son nom. Question : Qu’a-t-on fait de l’abondante moisson obtenue au terme de plus de cent jours de débats de la Conférence nationale souveraine de 1991 ? Retour sur un événement politique majeur à travers deux écrits qui lui sont consacrés.

La littérature est pauvre sur ce pan de l’histoire politique du pays. Entre oubli et désintérêt, les Congolais ont chacun choisi d’effacer de leur mémoire les images de la Conférence nationale souveraine. En effet, ni les observateurs ni les acteurs, dont nombreux sont encore en vie, n’ont témoigné ou rendu compte dans un ouvrage sur ce que furent réellement ces retrouvailles.

Deux ouvrages cependant, parmi les rares qui puissent exister, renseignent assez objectivement la postérité. Le premier est le fruit d’un journaliste : « Congo-Brazzaville - La clameur démocratique des années 1990 » d’Émile Gankama, co-édité par les Éditions Hemar et L’Harmattan en 2008 (131 pages). Le second ouvrage est signé de Grégoire Léfouoba, enseignant de philosophie et acteur politique : « Enjeux et dynamique des rivalités sociales au Congo » (252 pages, L’Harmattan, 2013). L’un n’a pas pris part aux travaux et jette un regard d’observateur sur les acteurs et les débats qui avaient lieu au Palais des Congrès de Brazzaville. L’autre a vécu les événements de l’intérieur. Ici et là, le lecteur a l’avantage de comprendre les enjeux et les motivations qui animaient tel ou tel autre acteur.

Un devoir de mémoire pour les Congolais

« La Conférence nationale du Congo demeure à tous égards un repère en tant que pause dans l’histoire, mais un repère installé dans l’inconfort », écrit Jean-Claude Gakosso, l’actuel ministre de la Culture, préfaçant « Congo-Brazzaville - La clameur démocratique des années 1990 ». Et d’ajouter : « Le texte d’Émile Gankama recompose avec rectitude la trame de ce mélodrame politique que furent la destitution du surpouvoir et la restitution de sa légitimité à la multitude. »

À propos de l’oubli, on peut utilement lire dans cette même préface : « Les Congolais ont le vice de la mauvaise mémoire et de la réminiscence. Scripta manent. » Telle est la portée même de cet ouvrage dominé par trois parties essentielles. De la pérestroïka au célébrissime typoye de « Jules César » à Owando, l’auteur cristallise l’attention de ses lecteurs sur les différents faits politiques qui ont précédé la Conférence nationale ; les acteurs qui dominent la vie politique ; l’ouverture des travaux ; l’ordre du jour ; le rôle de l’armée ; les conflits qui ont suivi.

La conférence était un jeu d’enfant

Au-delà de la simple narration et de la simple description, l’auteur fait aussi un constat intéressant qui ne manque pas d’éclairer le lecteur sur la nature des groupements politiques et leurs animateurs. « Les nombreuses organisations non gouvernementales nées dans cette chaleur du grand débat, ne vivront que le temps de la conférence. Leurs principaux animateurs regagneront en silence, les poches amplement remplies (la Conférence payait un perdiem honorable aux différents délégués), le parti de leur cœur. » N’a-t-il pas raison au regard de la multitude des partis qui ont vu le jour dans notre pays et ayant fait long feu ?

La réponse à cette question est donnée par Grégoire Léfouoba qui, à la page 189, écrit : « La Conférence nationale du Congo s’installe dans un confort outrageant, défiant toute attitude pertinente et se vit comme un jeu d’enfants. » Avec le recul sur la posture politique et intellectuelle des acteurs, l’auteur dégage deux facteurs pouvant expliquer ce raté : la psychologie du groupe et le déficit de sagesse. « Le constat est le suivant : on ne peut à 1.200 personnes réfléchir sereinement, car très tôt, la salle devient un amphithéâtre pour enfants », écrit cet ancien ministre.  

Que recherchaient les Congolais en réalité ?

Ils étaient environ 1.200 Congolais à avoir pris part aux assises du 25 février au 10 juin 1991. Ils étaient venus de partout. La télévision et la radio nationales consacrèrent leurs antennes à ces longs débats dont on retiendra que les aspirations personnelles avaient vite pris le dessus sur la volonté d’instaurer un nouvel ordre. L’injure et la diatribe l’avaient emporté sur tout. Trop de néologismes virent le jour.

« Congo-Brazzaville - La clameur démocratique des années 1990 » d’Émile Gankama et « Enjeux et dynamique des rivalités sociales au Congo » de Grégoire Léfouoba, sont deux ouvrages qui, au-delà des questions abordées, invitent les Congolais au courage d’assumer leurs actes. Car, il n’est pas exagéré de dire que cette vertu fait cruellement défaut chez nous au point que, souvent, l’histoire commune n’est pas regardée en face. Un regard oblique qui empêche de solder certains dettes contractées avec l’histoire. Faute de cela, l’histoire peut s’inviter à nous sous d’autres formes. Donnant son avis sur la parenthèse de 1991, Émile Gankama écrit : « On en vient à l’ahurissante conclusion que la solennité de la Conférence nationale souveraine était apparente et que les Congolais recherchaient autre chose, pas la démocratie. » Un argument soutenu à la suite des événements au Congo qui n’ont cessé de nourrir « les rivalités sociales » sur lesquelles Léfouoba jette un regard analytique et critique pour permettre à ses compatriotes d’en comprendre les enjeux et la dynamique. Et peut-être d’y mettre fin. Tel est peut-être le dessein de ces essayistes.

Jocelyn Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Le livre d'Émile Gankama consacré au début du processus démocratique au Congo Photo 2 : Dans son ouvrage, Grégoire Léfouoba s'interroge sur les rivalités sociales au Congo