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Congo-Brazzaville : le débat sur la constitution du 20 janvier 2002 (suite et fin)

Mardi 13 Mai 2014 - 0:00

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La révision constitutionnelle : ce qui peut amener le président de la République à procéder ainsi

Nous parlons ici d’un homme politique dont la vie personnelle se mêle incontestablement à l’histoire sociopolitique du Congo au point de s’y attacher jusqu’à chérir le Congo comme on le ferait d’un bien personnel. Cette analyse néopatrimonialité fait surgir des notions d’affect et d’allégeances obtenues d’une clientèle politique à la fois interne au sein du PCT et de ses alliés politiques, mais aussi des cadres de l’opposition, de l’élite religieuse, des chefs d’entreprise et même de l’élite de la société civile.

Tous ces électrons gravitent autour du chef de l’État tout en contrôlant différentes prébendes. Ils sont prêts à coopérer pour le maintien d’un chef de l’État devenu consensuel grâce à ses capacités politiques d’assurer la stabilité sociale, la paix et la sécurité, mais aussi à redistribuer avantages matériels et symboliques auprès d’une large clientèle. On ne peut faire l’économie de ces faits dans l’analyse des « à-côtés » constitutionnels.

De fait, n’oublions pas que le peuple congolais est encore traumatisé par des conflits armés violents qui ont mis à feu et à sang ce pays de la fête, de la sape, de la musique, des arts et de la danse. Le peuple congolais ne demande qu’à vivre dans la paix, la stabilité et le développement au-delà des combats politiques souvent ramenés à des combats d’ego et à la lutte pour l’accès aux ressources. Pour cela, les Congolais sont prêts à un compromis politique consensuel et apaisé, tout comme à un nouveau clash s’ils venaient à être floués de nouveau par des hommes politiques de quelque bord que ce soit.

Par ailleurs, on peut imaginer combien le président Sassou-N’Guesso, comme beaucoup d’autres hommes politiques y compris ceux qui ont cru au renouveau suite à la conférence nationale, a regretté la parenthèse Pascal Lissouba. Dès le lendemain de son élection, Pascal Lissouba n’a pas hésité à trahir l’alliance de gouvernement qui le liait à Denis Sassou-N’Guesso, créant de fait une grave fissure dans les rangs de ce dernier, entre les ministres du PCT qui se sont retirés et ceux qui ont choisi de se maintenir au gouvernement.

Au cours de cette période, le pays a malheureusement été entraîné dans une spirale négative marquée par une singulière difficulté à résoudre pacifiquement les différends politiques. Les Congolais ont découvert la loi des milices armées, mobilisées sur une base ethno-régionale. Il y a d’abord eu la première guerre civile de 1993, d’une violence inouïe, opposant les milices de la mouvance présidentielle conduite par Pascal Lissouba à celles de son dauphin et chef de file de l’opposition, Bernard Kolela. Pour la première fois, les jeunes générations congolaises ont appris qu’elles appartenaient à des groupes ethniques et tribaux ennemis. Elles ne pouvaient plus se parler ni rêver ensemble. Pascal Lissouba a incarné la difficulté du vivre ensemble dans la patrie congolaise, engendrant la pseudo-conscience des micro-nations. À Brazzaville, par exemple, les ressortissants des trois régions ayant servi de base électorale à l’Upads de Pascal Lissouba ne pouvaient plus se rendre à Bacongo et à Makélékélé. De même, les ressortissants du Pool fidèles au MCDDI de Bernard Kolelas étaient persona non grata à Diata, Moutabala et Mfilou. En troisième homme, le président Sassou-N’Guesso observait, impuissant, cette déliquescence de l’espace sociopolitique congolais.

Ensuite, en difficulté au sein de sa propre famille politique à la fin de son mandat en 1997, Pascal Lissouba a voulu s’accrocher au pouvoir. Il a refusé d’organiser les élections présidentielles, entraînant le pays dans une guerre civile à l’issue de laquelle Denis Sassou-N’Guesso est revenu au pouvoir. Autant d’éléments douloureux qui pourraient à mon sens conduire le PCT, et au-delà certains Congolais non alliés, à pousser le président Denis Sassou-N’Guesso dans l’entreprise de révision constitutionnelle. En toute honnêteté, on peut également comprendre que les militants du PCT se fondent sur la stabilité politique et sociale retrouvée pour réclamer une modification constitutionnelle qui permettra au président Denis Sassou-N’Guesso de briguer un troisième mandat.

Il peut paraître intellectuellement dangereux et honteux de laisser croire que la modification de la Constitution du 20 janvier 2002 serait salutaire pour la paix au Congo. Mais on ne peut pas non plus continuer à ignorer les faits historiques et suspendre la capacité individuelle de jugement à l’imagination subliminale de l’alternance politique. L’histoire politique de notre pays et les avantages que nos voisins ont tirés de la stabilité politique pour le développement nous enseignent que l’alternance politique n’est pas une fin en soi. Souvenons-nous des clivages tout aussi dangereux que désastreux engendrés par l’alternance de 1992. Ne pensons pas aux intérêts individuels et particuliers, pensons à la construction collective et au bien-être de tous. Un seul est appelé à gouverner !

 

Edrich Tsotsa est docteur en sciences politiques, LAM/IEP de Bordeaux, chercheur associé au Cerdradi
nathanael.tsotsa@reseau-emnormandie.com

Edrich Tsotsa

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