Couleurs de chez nous: « Tu es d’où ? »

Samedi 17 Novembre 2018 - 15:07

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La question pourrait bien être attribuée aux conspirationnistes. Parce qu’elle suppose une vérification d’identité comme ce refrain que l’on nous propose aux aéroports : « D’où venez-vous ? ». Inconsciemment, les Congolais avaient pris cette habitude de poser cette même question entre eux surtout lorsqu’ils se découvraient. Un homme qui aborde une femme finit par succomber à la tentation alors qu’ils sont au restaurant : « Dis-moi ! D’où es-tu ? ». Du temps où leurs noms renseignaient sur les départements dont ils étaient ressortissants ou sur leurs ethnies, cette question n’avait pas droit de cité. Mais les simagrées que des parents scolarisés ont fait subir aux noms de leurs enfants, à partir du milieu des années 1970, ne permettent plus du tout de situer les individus ou de les identifier.

Pendant des années, en effet, les Congolais ont vécu sans être hantés par cette question qui fausse le « vivre-ensemble ». Mais à cause de cette histoire récente qui a troublé le paysage social, la gent politique congolaise a compris la nécessité de promouvoir ce nouveau concept : le « vivre-ensemble ». Slogan et objectif politiques de prime abord, le « vivre-ensemble » se veut un mode de vie, une culture à développer pour donner force à la nation.

Contrairement à d’autres pays, le Congo a cet avantage de disposer de deux langues nationales, en dehors du français qui est la langue officielle, à savoir le lingala et le kituba. Deux langues qui favorisent la communication entre la population sur l’ensemble du pays et entre les Congolais vivant à l’étranger. Pour qui ne connaît pas le Congo et sa carte ethnique, il est difficile de lui faire comprendre qu’en dehors de ces deux langues nationales, il en existe bien d’autres (une cinquantaine) à valeur locale et avec un spectre réduit.

L’autre avantage, peut-être le plus grand, c’est le fait que le lingala et le kituba sont parlés du nord au sud et de l’est à l’ouest. En doutez-vous ? Trouvez un seul coin du Congo où il n’y a pas de locuteurs de l’une des deux langues, sinon des deux. Là où il y a plus de deux Congolais, il y a de fortes chances que chaque langue trouve son locuteur. Un problème résolu qui fait la fierté de ce pays et de ses ressortissants partout où ils sont. C’est l’identité du Congo car ces deux langues sont ses principales couleurs.

Cependant, ce tableau semble se déteindre avec le repli sur soi que l’on constate. Si, pendant longtemps, le français a dominé les échanges au sein des administrations, avant que le lingala et le kituba n’y fassent irruption, de plus en plus, on assiste à l’invasion des langues du terroir dans les milieux officiels. Il n’est pas rare qu’un usager entre dans un bureau et trouve ses occupants en train de parler une langue qui n’est ni le français ni le lingala moins encore le kituba. Même si c’est peu dire, les regroupements par affinité ethnique auxquels on assiste dans les milieux publics et officiels ne sont que la face cachée de la question énoncée en titre : « il est d’où ? » et une menace pour le « vivre-ensemble ».    

Van Francis Ntaloubi

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