Cours du marché : la rareté et la cherté du poisson d’eau douce décriées à Brazzaville

Mardi 8 Juillet 2014 - 18:45

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Dans tous les marchés, le constat est le même : le poisson d’eau douce n’abonde plus et il est vendu à des prix exorbitants. Les pêcheurs et les consommateurs se plaignent

Dans les marchés des villes congolaises en général et dans ceux de Brazzaville en particulier, la quantité de poissons d’eau douce est en baisse. Au port de Yoro, un des points de vente en gros de poisson, les pirogues accostent vides. Les femmes à bord rentrent bredouilles, tenant des cuvettes et seaux vides. « Nous étions à Moutou Ya Ngombè, on n’a rien eu, nous sommes fatiguées de braver tous les matins la fraîcheur de cette saison en vain », témoigne Edwige, revendeuse de poisson.

Dans les grands marchés tels que Ouenzé, dans le 4e arrondissement, Tembé ya bambana et Dragage à Talangai dans le 6e arrondissement, où le poisson est souvent bien vendu, la plupart des étals réservés à cette denrée sont abandonnés. Et le peu de poisson que l’on y trouve n’est pas à la portée de toutes les bourses. « Cette cherté obéit à la loi de l’offre et de la demande. Le prix de la cuvette de poissons est passé de 35.000 à 70.000 FCFA. Nous sommes obligées de revendre de manière à tirer aussi du bénéfice pour ne pas faire faillite. Mais nous ne sommes pas comprises par nos clients, ils crient à la cherté », avoue Maman Mapassa, une autre revendeuse. 

Seules les familles nanties peuvent acheter du poisson frais. Dans les familles nombreuses à revenu intermédiaire, il est difficile d’en manger deux fois par mois. « Le prix du poisson d’eau douce ne me permet pas d’en acheter pour nourrir ma petite famille de cinq personnes. C’est trop cher », se plaint Olga, une ménagère âgée de 30 ans, au marché Total à Bacongo dans le 2e arrondissement.

« Une petite carpe que l’on peut servir à un seul enfant coûte 7 à 8.000 FCFA », commente de son côté Irma, une jeune mère qui déclare par ailleurs qu’elle a du mal à observer les consignes de la sage-femme, pour bien nourrir son bébé de 8 mois. À l’hôpital, poursuit-elle, il nous est pourtant conseillé de donner du poisson aux nourrissons « mais je n’arrive pas à le faire, faute d’argent. Je me demande pourquoi on vend le poisson qui provient de nos eaux plus cher que le pagne que nous importons », s’interroge-t-elle.

La saison sèche tarde à se confirmer en amont du fleuve Congo et ses affluents

« Avant, on pouvait vendre pour 80, voire 90.000 FCFA. Actuellement, nos ventes journalières tournent autour de 10 à 15.000 FCFAOn a l’impression d’être encore en saison de pluie. Le fleuve ne tarit pas. Il paraît qu’il pleut dans la partie nord du pays. Quand c’est comme ça, la période de vache maigre des pêcheurs dite Ndzobolo s’étire en longueur. Pendant cette période, les poissons sont peu mobiles et la pêche est moins fructueuse », expliquent Raphaël Ngoumbelo et Gildas Alouna, deux pêcheurs au port de Yoro.

Par ailleurs, la destruction progressive par certains pêcheurs des touffes d’herbes flottantes appelées Ndouka, lieu de refuge et de reproduction des poissons, ne facilite pas la tâche des pêcheurs au filet. Les poissons fuient loin, dans les profondeurs, et ne sont plus à la portée des pratiquants, dépourvus de matériel moderne. Malgré ces difficultés, Gildas et Raphaël ne désespèrent pas. « D’ici à la fin du mois, la situation pourrait changer. Les eaux pourraient se retirer et le poisson reviendrait sur le marché », rassurent-ils.

Le départ des sans papiers, une des causes

Beaucoup de revendeuses sont en congé forcé. Elles ont perdu leurs fournisseurs et ne sont plus ravitaillées. « Parmi les pêcheurs qui nous fournissaient du poisson, il y avait beaucoup d’étrangers. Nombreux sont ceux qui sont partis avec le départ des sans papiers. Les Congolais ne veulent pas pratiquer la pêche. Ceux qui s’y intéressent ne sont pas nombreux et ne parviennent pas à satisfaire toute la demande », rapporte une détaillante du marché de Massengo dans le 9e arrondissement Djiri. Et celle-ci d’ajouter : « La vente du poisson nous permet de vivre et de soutenir les études de nos enfants. Si cette situation continue, nous ne saurons plus comment intervenir dans nos foyers. Je serai moi, obligée de changer de  commerce pour ne pas rester à la maison. »

L’intervention de l’État sollicitée

Nous contribuons à notre manière au développement de la société en nourrissant les populations à travers la pêche. « Mais nous sommes comme des enfants abandonnés. L’État ne nous accompagne pas. » Aujourd’hui par exemple, le filet coûte cher : plus de 200.000 FCFA si l’on veut avoir un bon outil de travail. S’il est volé ou déchiré, « nous faisons recours à nos clients ». Ce n’est pas facile, se plaignent les pêcheurs. Ils sollicitent d’autre part, l’intervention des pouvoirs publics pour sécuriser les zones de reproduction des poissons, afin de les attirer à nouveau, avant de conclure que le départ des pêcheurs étrangers est certes un handicap, mais si l’on améliore les conditions de travail des pêcheurs, de nombreux jeunes Congolais sans emploi pourraient s’y intéresser.

 

Eudoxie Irène Antsoha (stagiaire)