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Samedi 19 Octobre 2013 - 8:30

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Un matin de 1995, assis au fond du bus qui le ramenait dans son village où il passait tranquillement sa retraite, le vieux Famby est invité, au poste de Djiri, à une dizaine de kilomètres au nord de Brazzaville, à présenter sa carte d’identité. Son indifférence irrite vite les agents de l’ordre qui le somment de sortir du bus. Il n’a eu pour toute réponse que de pointer son index sur sa joue, en la gonflant. Un geste qui n’a pas manqué de soulever l’hilarité de l’assistance. Et peut-être l’ire des agents de la force publique. Mais à la fin, ceux-ci durent plier devant ce « sacré défenseur de la culture ». Décryptage de cette anecdote : les balafres pour les Batékés étaient tout à la fois : une identité culturelle, un symbole de beauté pour les femmes et de richesse pour les hommes. Malheureusement, c’est ce trait de culture que maints facteurs ont contribué à faire disparaître. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nombre de Tékés n’hésitent pas à aborder le sujet en exprimant leurs réels regrets

En réalité, quoique l’on dise, les balafres sont le trait culturel des Batékés. Et pas tous ! Il s’agit particulièrement des Kukuyas (terres de Lékana), des Ndzikou (Djambala) et des Boma (Ngo). Il est tout aussi vrai que d’anciens peuples Oumou dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Pool-Nord ont pu pratiquer cet art. Et bien d’autres peut-être ! Mais avec peu de certitudes et même quand cela serait vérifié, les marques étaient différentes.

Certains récits disent que les balafres étaient faites à des enfants de dignitaires. Qui voulaient créer une différence avec les autres enfants. Signes de richesse ? De distinction ? Oui, car il fallait être un « nanti » pour inviter le scarificateur, comme on invite le barbier ou le coiffeur de nos jours. Tous les mauvais adjectifs étaient réservés à ceux qui ne portaient pas de balafres, les « anba nkobo », comme on les appelait (traduction : joues vierges). La conséquence de ce rejet social est que certains ont pris le risque, sans connaître l’art, de se faire scarifier par le premier venu et à l’insu des adultes. Il est courant d’observer sur le visage de certaines femmes des petites cicatrices, des entailles qui ne renvoient à rien.

Il est cependant vrai que fierté d’ici est mal perçue ailleurs. En effet, ces Tékés balafrés qui avaient leur place au « pays » étaient plutôt marginalisés à Brazzaville où se retrouvaient différents individus issus de contrées diverses avec d’autres us et coutumes. Ceux-ci ont subi le sort des premiers Noirs débarqués en Europe. Ils étaient regardés avec mépris. Sinon avec curiosité. Surtout de la part de leur propre progéniture qui ne comprenait pas pourquoi leurs parents avaient un visage si différent de celui des autres. Tout ou presque a été dit à ce sujet. Des gens ont fait preuve d’intolérance et de méchanceté parfois. Mais la sérénité des porteurs de balafres et l’amour qu’ils mettaient à défendre leur identité ont vite fait de jeter un froid sur les commentaires désobligeants du peuple de Brazzaville de l’époque.

Et l’État de s’en mêler !

Devant ce que les législateurs ont dû considérer comme une forme de maltraitance, la sentence de l’État n’a pas tardé. La mesure a été prise d’arrêter la pratique. Nous sommes au lendemain des indépendances. Mais sur le terrain, la culture avait la peau dure. Elle a résisté, et ce n’était pas aux préfets ou sous-préfets de faire appliquer la mesure au risque de réveiller le « Nkoué mbali », ce dieu tutélaire des Batékés. Si bien que chez les Kukuyas, la pratique a perduré jusque vers 1970. Et même après…

La vraie question et le vrai débat

Le problème est posé, non sans humour, par Alexis, la cinquantaine sonnée. Balafré, il dit appartenir désormais à une espèce en voie de disparition. Il dit qu’une fois tous les Tékés balafrés disparus, l’humanité et le Congo en premier auront perdu une culture. De la même manière que le débat couve sur le maintien des autochtones dans leur milieu pour conserver leurs cultures ou sur leur intégration sociale avec le risque de voir leurs cultures en prendre un coup, certains Tékés n’hésitent pas d’avancer qu’ils vont porter plainte pour ce « coup d’État culturel ». Pourquoi avoir condamné la pratique des balafres là où bien d’autres pratiques abjectes, odieuses et dégradantes ont été maintenues ? Heureusement qu’il s’agit ici, ni plus ni moins, que d’un débat non officiel, organisé dans des cercles où se retrouvent des passionnés et défenseurs des cultures de toutes les ethnies et de tous les départements du Congo.  À l’heure de la mondialisation des cultures, de l’uniformisation des modes de vie, les Batékés ont peut-être autre chose à proposer comme ils l’ont fait dernièrement à Djambala. On attend.

Jocelyn-Francis Wabout