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Direction Par Objectifs (DPO): un levier de la performance dans le secteur public marchand?

Lundi 1 Février 2016 - 10:27

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Dans le secteur public non marchand, la Gestion axée sur les résultats de développement (GARD) est destinée à améliorer la gestion et le pilotage de la performance des ministères et autres entités administratives de l’Etat. La Direction Par Objectifs (DPO) est sa version, appliquée au secteur public marchand. Née aux USA dans les entreprises privées durant les années 1950, et adaptée aux entreprises publiques par la suite, la DPO repose sur cinq principes essentiels: la maximisation du profit qui s’accompagne de la décentralisation des responsabilités et des décisions; la fixation des objectifs claires et hiérarchisés; l’élargissement de l’éventail de subordination et l’autonomie des unités; le contrôle et l’auto contrôle des unités par les résultats et un système d’incitation. Ces principes exigent la participation, l’intériorisation des objectifs de l’organisation par les agents qui les utilisent, le respect des engagements mutuels entre les parties, consignés dans un contrat et la compétition. Les organisations étrangères ont deux modalités essentielles pour les intégrer:

1) l’intégration par variété de coordination par laquelle, l’entreprise d’accueil adapte le modèle  étranger à sa culture locale, en faisant émerger des nouveaux niveaux de stabilisation (états-majors), des nouveaux programmes et procédures et des budgets décentralisés. De 1983 à 2000, le Congo avait adopté la DOP sous la forme de la Planification à Dominance Opérationnelle (PDO) pour maîtriser la privatisation de la gestion des sept principales Entreprises Pilotes d’Etat  (EPE), afin de réduire les effectifs pléthoriques du personnel et les chroniques déficits d’exploitation. L’Etat signait des contrats-plans avec ces EPE qui contribuaient à plus de 55% de la valeur ajoutée du secteur marchand public du pays, notamment la Société nationale d'électricité (SNE), l'Agence transcongolaise de communication (ATC), l'Office national des postes et télécommunications (ONPT), la Société congolaise de recherche et d'exploitation des hydrocarbures (Hydro-Congo), la Congolaise de raffinerie (Coraf), la Sucrerie du Congo (SUCO), la Société nationale de distribution d'eau (SNDE). Ces contrats fixaient les objectifs quantitatifs et qualitatifs de développement des EPE et les moyens nécessaires pour les réaliser, en liaison avec ceux du plan national de développement, initié par le gouvernement. En contrepartie, l’Etat s’engageait à les financer. Ces objectifs principaux étaient décomposés en objectifs élémentaires et transmis jusqu’au plus bas niveau de la hiérarchie. Les cadres-conseils regroupés au sein de l’état-major, rattachés au Directeur président général, suivaient et contrôlaient les écarts entre les réalisations et les prévisions à travers des tableaux de bord de gestion. Dans la culture animiste des Bantous, fondée sur l’équité et l’esprit d’équipe, la rémunération de ces cadres était liée aux résultats sous forme de prime de productivité individuelle. Mais, l'Etat qui conservait sa totale liberté d'intervention, continua à imposer des objectifs contraignants aux EPE sans contrepartie équivalente. Seules trois EPE stratégiques (SNDE, SNE, CORAF) résistèrent et continuèrent à signer les contrats d’objectifs comme les autres entreprises d’Etat. Les quatre autres EPE furent privatisées comme SUCO qui devint SARIS, ou liquidées comme l’ATC, l’Hydro-Congo qui devint la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), et l’ONPT scindée en Poste (courrier), Banque Postale (Finance) et Congo Télécom (téléphone fixe);

2) l’intégration par variété de différenciation par laquelle l’entreprise qui accueille la DPO fait émerger des processus autonomes de coordination, contribuant à la diminution des coûts de coordination, liés à l’intermédiation et aux transactions internes comme en France et en Chine. En France, la DPO a été réinterprétée par le filtre de la culture judéo-chrétienne, à travers le concept de Direction participative par objectifs (DPPO) dans les années 1970. Les piliers de ce modèle sont: la concurrence et l’innovation; la décentralisation des objectifs, la participation des salariés et la rémunération au mérite. Des nouveaux outils de gestion ont émergé comme le contrôle de gestion sociale pour maîtriser les problèmes humains du management, des contrats d’objectifs entre l’Etat et les Entreprises d’Etat (EE), et les comptes de surplus de productivité, mesurant la production et la distribution de la performance globale de l’entreprise entre les différents partenaires de l’entreprise. Ces innovations continuent à améliorer significativement les performances des EE françaises.

Dans le cadre de la transition de l’économie socialiste vers l’économie socialiste des marchés, le gouvernement chinois, en cherchant à assainir l’environnement économique et à améliorer la motivation du personnel dans le secteur marchand public, décida d’adopter la DPO de 1980 à 1993. La DPO y pris la forme d’un système de responsabilité par exploitation forfaitaire, modèle de management « délégatif», reposant sur un contrat d’objectifs dans lequel, l’EE s’engage à verser un bénéfice forfaitaire à l’Etat sous forme d’impôt, quelle que soit la nature du résultat d’exploitation qu’elle réalise. En contrepartie, l’Etat lui accorde plus d’autonomie dans la gestion. Les contrats de responsabilité d’exploitation précisant l’étendu des pouvoirs délégués aux collaborateurs, dans le cadre du système de sanctions-récompenses, s’appuient sur la doctrine confucéenne et taoïste de stabilité et de paix, favorisant une structure sociale clanique et centralisatrice dont les EE sont toujours héritières. L’Etat étant resté le propriétaire des actifs et le seul moteur de la vie de l’entreprise, les directeurs généraux visent des objectifs peu ambitieux pour être sûrs de les réaliser et obtenir les récompenses qui leurs sont associées, conduisant à la perte progressive de l’intérêt du système.

Ainsi, le transfert d’une technique de gestion entre les organisations et les pays de cultures différentes peut être une source d’innovations s'il rencontre un environnement culturellement favorable. La culture des résultats s’enracine difficilement dans le management public du Congo, alors qu’elle peut y être une source d’innovations, si la DPO devenait un levier de la performance.

Par: Emmanuel OKAMBA Maître de Conférences HDR en Sciences de

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