Enjeux politiques : RDC, toujours otage des frustrations mal gérées

Lundi 6 Février 2017 - 18:07

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Les discussions, qui ont eu lieu au Centre interdiocésain autour de l’arrangement particulier censé fixer les modalités pratiques quant à la mise en œuvre de l’accord du 31 décembre, n’ont pas touché le fond du problème qui annihile tout effort d’émancipation de la RDC en tant que nation et mue par le désir de s’affranchir des liens du sous-développement. Les luttes de repositionnement sur fond d’intérêts mesquins auxquelles se livre la classe politique ont, en effet, relégué au second plan l’équation des frustrations qui, depuis l’aube de temps, gangrène l’espace sociopolitique du pays.

Dans un contexte où les ressentiments sont diffus, des communautés entières se sentant marginalisées au profit d’autres dans la gestion de la res publica alors qu’elles ont les mêmes droits, l’espoir d’un dénouement heureux d’un tel processus ne peut qu’être sacrifié sur l’autel des sempiternelles revendications à consonance tribalo-ethniques. C’est non sans raison qu’on entend souvent telle ou telle ethnie dénoncer sa marginalisation dans le partage des responsabilités qui, souvent, fait fi de la dimension géopolitique.

Avec sa mosaïque des tribus et d’ethnies, la RDC, dans sa complexité, gagnerait beaucoup en embrayant sur le clavier de l’unité nationale qui, malheureusement, tend à se diluer dans les méandres des intérêts politiques. Une triste réalité qui tire ses racines dès l’accession du pays à l’indépendance. L’assassinat dans des conditions tragiques de Patrice Émery Lumumba, le tout premier Premier ministre du Congo indépendant dont le parti, le  Mouvement national congolais (MNC), a remporté de fort belle manière les élections de mai 1960, aura jeté l’émoi dans l’opinion et surtout révolté les Batetela, sa communauté de souche. De la même manière, le peuple Ne Kongo avait mal digéré la défenestration de son fils, Joseph Kasa-Vubu, éjecté du fauteuil présidentiel par le colonel Mobutu, un gbandi, à la tête d’une révolution qui mit en berne toutes les institutions du pays. L’avènement du Mobutisme, appuyé par les occidentaux, a laissé des traces et exacerbé des frustrations dans le chef de ceux qui étaient évincés du pouvoir.

Toute une génération s’est alors construite autour de ce ressentiment avec, à la clé, des foyers de tension récurrents qu’il fallait, à chaque fois, éteindre sur fond des rancœurs mal contenus. Nonobstant les efforts du régime Mobutu de colmater les brèches en puisant dans les viviers Tetela et Ne Kongo des compétences responsabilisées à tous les niveaux de l’État, les frustrations n’ont jamais quitté le mental de ces deux communautés. L’unité nationale prônée par Mobutu a certes produit des résultats en termes de cohésion nationale mais n’a hélas pu étancher des frustrations toujours mal digérées. 

L’arrivée de Mzee Laurent Désiré Kabila n’a pas non plus réussi à éteindre ces foyers de frustration qui ont continué à assombrir le climat social avec l’AFDL, une armée hétérogène à consonance étrangère sur laquelle s’appuiera le Rwanda pour exercer son influence dans les institutions congolaises. La RDC, à cette époque, était au cœur des convoitises de ses voisins qui ont y vu le moment propice pour réaliser leur dessein prédateur sur ses richesses. C’est sur ces entrefaites que Rwandais et Ougandais ont poussé l’outrecuidance jusqu’à se battre sur le territoire congolais à Kisangani, les uns et les autres cherchant à marquer leur hégémonie sur un État congolais plutôt exsangue, déchiqueté, divisé et en proie à des rebellions internes. Cette bataille symbolique revêtait un caractère humiliant pour la RDC dont la terre n’avait cessé d’absorber le sang de ses propres fils. Une situation qui n’a fait que renforcer les frustrations dans le chef d’une population congolaise fragmentée ne sachant pas se mouvoir sur son propre territoire parce que  livrée à la merci des rebellions entretenues de l’extérieur.

Des foyers de frustration non éteintes

En interne, les efforts de Mzee Laurent Désiré Kabila d’éteindre ces foyers de frustration n’ont pas été à la mesure de l’enjeu. D’un côté, il réhabilita les Lumumbistes dont certains se sont vu confier des postes au plus haut niveau, et de l’autre, il fait la chasse aux Mobutistes considérés comme les mal aimés d’un régime présenté, à tort ou à raison, comme revanchard. Or, la bombe à retardement que constituent ces frustrations était toujours là, implacable. C’est dans ces conditions que le pays amorcera une quête de réconciliation à travers le dialogue de Sun City, sous la houlette de Joseph Kabila Kabange. Ce dernier, qui accède au pouvoir après l’assassinat de Mzee Laurent Désiré Kabila, est mû par le souci de racoler les morceaux d’une République qui n’existait plus que de nom. Un accord de paix censé mettre fin au conflit qui gangrenait le pays fut signé le 17 décembre 2002 à Pretoria. Le compromis politique posa les fondements d’une gestion consensuelle du pays jusqu’à la tenue, en 2006, des premières élections pluralistes. Mais a-t-on réglé au passage la question des frustrations ? Certainement pas puisqu’elles sont allées crescendo, faute d’une attention soutenue de la part des décideurs. De sorte qu’aujourd’hui, les foyers de frustration couvent encore un peu partout dans le pays assortis des revendications politiques. À cela s’ajoutent les conflits des terres opposant des communautés qui refusent de coexister avec le risque de voir les antagonismes prendre du relief et mettre en mal les institutions.

Le dialogue initié par Joseph Kabila avait, entre autres, pour objectif de permettre à la classe politique de scruter en profondeur les maux qui rongent le pays avec, en toile de fond, la nécessité de trouver un entendement commun quant à la manière de conduire la période transitoire découlant de la non-tenue des élections dans le délai constitutionnel. L’occasion faisant le larron, ce forum devrait être capitalisé pour mettre sur la table, à travers la commission décrispation, certaines préoccupations liées au « vivre ensemble collectif ». Mais hélas !

Des bons offices à la compromission

L’Église, qui était censée porter cet idéal dans sa mission de bons offices, a mis plus d’emphase sur le rapprochement entre acteurs politiques autour du consensus politique en minimisant ce détail si important que constitue l’unité nationale sans laquelle rien de durable ne pourra être bâti dans ce pays. L’Église, gérante de la conscience humaine et de la justice sociale, a-t-elle joué pleinement son rôle dans ces pourparlers au travers desquels les Congolais sortent plus divisés que jamais ? Que non, se convainquent les analystes. Serait-elle en train de concourir à l’accomplissement du schéma prédateur du Congo concocté par les occidentaux en donnant son quitus à un accord qui divise plus qu’il n’unit les Congolais ? La question mérite d’être posée. En effet, non seulement que l’accord du 31 décembre a crée d’autres frustrations à travers une répartition non équitable des postes en minimisant notamment le quota de la société civile, mais en plus il énerve certaines dispositions de la Constitution.

Cet accord retire, en effet, le Constituant de son pouvoir de l’amender ou de la modifier selon le besoin par voie référendaire. Une situation qui se met en porte-à-faux avec un principe de droit constitutionnel qui dit qu’aucune disposition n’est supra constitutionnelle. Ce qui déroge le peuple souverain de son droit légitime de se prononcer sur des questions concernant directement son vécu et son devenir. Bien plus, le fameux accord dénie au chef de l’État le droit d’exercer le pouvoir discrétionnaire lui dévolu par la Constitution. Et là où le bât blesse, c’est de voir les chantres du respect de la Constitution d’hier devenir aujourd’hui ses principaux pourfendeurs. Paradoxal également de voir des opposants qui juraient de ne pas travailler avec Joseph Kabila qu’ils n’arrêtaient de vilipender à longueur de journée, se battre aujourd’hui bec et ongle pour figurer au prochain gouvernement de transition.

« Ôte-toi de là que je m’y mette », la recette fait école au Centre interdiocésain où, à la faveur de l’accord de la Cénco, Samy Badibanga, pourtant investi en bonne et due forme à la Chambre basse du Parlement après sa nomination à la régulière par le chef de l’État, sera obligé de rendre le tablier au nom de l’accord du 31 décembre. Encore des frustrations en perspective, car les membres du gouvernement sur qui plane actuellement le spectre d’éviction iront, une fois remerciés, grossir les rangs des frustrés et des laissés-pour-compte.  

En conclusion, nous pensons qu’une attention particulière devra dorénavant être accordée à la question des frustrations sociales qui gangrène l’espace politique congolais. Tant que cette donne restera entière, tout effort d’émancipation de la RDC sera annihilé par des pesanteurs liées au déficit d’encrage unitaire. Il est plus que temps de mobiliser l’impératif de l’unité nationale pour permettre au pays de retrouver ses marques en tant qu’une nation qui compte.   

 

Alain Diasso

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