Entorse au principe d’incompatibilité ?

Samedi 23 Novembre 2013 - 18:15

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« Le mandat de député et de sénateur est incompatible avec toute autre fonction à caractère public. Les autres incompatibilités sont établies par la loi. En cas d’incompatibilité, le député est remplacé par son suppléant. À la fin de l’incompatibilité, le député retrouve son siège à l’Assemblée nationale. » Tel est le libellé de l’article 95 de la Constitution congolaise du 20 janvier 2002. Si dans son esprit la chose s’entend, dans sa lettre cette disposition peine à être appliquée

En termes simples, la notion d’« incompatibilité » est introduite dans le système juridico-politique pour éviter que le même individu n’occupe des fonctions censées s’opposer. Pour éviter qu’il soit « juge et partie » et profite de sa position pour influer sur certains intérêts publics ou privés.

Autres non-dits de cette disposition : le résultat recherché, qui doit provenir de l’efficacité que chacun met dans l’accomplissement de ses missions ; la hauteur et la distance que l’on devrait prendre dans la gestion de la chose publique ; l’obligation de réserve ; rendre compte et répondre devant l’autorité compétente. Rendre compte ? Cela peut se faire à l’égard de sa hiérarchie : les ministres et les préfets au chef de l’État ; les directeurs généraux à leurs ministres de tutelle, par exemple, etc. Rendre compte peut prendre l’allure d’une explication devant le Parlement. Enfin, il peut s’agir de s’expliquer devant le juge sur n’importe quel sujet de sa compétence. L’actualité nationale est encore assez nourrie de ces explications « d’hommes d’État » à la justice.

Pour revenir à l’importance de cette disposition sur l’incompatibilité, son intérêt réside dans ce qui est communément appelé la séparation des pouvoirs, pour faire que celui qui gère ne contrôle pas, et vice versa.

L’esprit

Dans le cas des élections législatives, l’article 95 est assorti d’un large éventail de précautions que tout citoyen occupant des fonctions publiques doit prendre avant de se déclarer candidat. En effet, ne se présente pas qui veut. Parmi les non-partants : les ministres, les préfets, les sous-préfets, les administrateurs-maires, les directeurs généraux, les magistrats, etc. Parce que cette catégorie de citoyens, considérés comme des gestionnaires de l’État ou appelés à juger au  nom de celui-ci, ne doit pas se retrouver de l’autre côté, à l’Assemblée nationale, où se trouvent les représentants du peuple, les contrôleurs de l’action publique, ceux qui votent les lois exécutées par les gestionnaires de l’État. Le député, c’est pour tout dire, répétons-nous, l’homme du peuple.

En d’autres termes, si un ministre, préfet, sous-préfet, directeur général ou autre veut briguer les suffrages du peuple, il doit démissionner des fonctions qu’il occupe au niveau de l’État. En amont ou en aval, cet acte doit être constaté. 

Le constat sur le terrain 

Pendant cinq ans, les ministres ou directeurs généraux devenus députés n’ont pas posé leur démission. Ils ne siègent pas à l’Assemblée nationale, certes parce qu’ayant passé le témoin à leurs suppléants, mais sur le terrain il n’est pas rare de les voir aller au devant des mandants sous la casquette de député.

Ces images sont légion aux journaux télévisés, et nombreux sont les reportages dans la presse locale qui relatent ces « missions parlementaires » de ministres ou directeurs généraux. À moins qu’il ne s’agisse d’une méprise de la part des journalistes qui les accompagnent sur le terrain. En effet, pris dans ce tourment, les gens des médias qui couvrent ces descentes le disent et l’écrivent clairement : « Le ministre X, député de la circonscription Y, vient de faire un don à ses mandants… »

Or, si les textes étaient respectés, ce type de mission serait l’exclusivité des suppléants en tant que députés siégeant. Il n’empêche qu’à titre privé, sans la compagnie de la presse, le ministre ou le directeur général descende dans son terroir et y pose des actions de solidarité.

Autrement dit se pose là un problème de forme et méthode qui fausse le bon jeu politique et, partant, débouche sur le non-respect constaté de la Constitution.

Le chassé-croisé

Depuis le début de l’actuelle législature en octobre 2012, le flou continue de régner. L’observateur averti de la vie politique réalise déjà une classification chez les élus du peuple. D’un côté, les députés assis ou du siège, arborant l’écharpe ; de l’autre, les députés de terrain que sont les ministres, les directeurs généraux et autres. Une telle situation donne la mesure de l’article 95 dont il est tenté de circonscrire l’effet seulement dans l’enceinte du Palais des congrès (siège du Parlement). De sorte qu’au-delà des murs de ce palais, le ministre ou directeur général qui ne siège pas peut retrouver, sans crainte, son statut de député du peuple. Une démarche rendue possible par le mutisme et le laxisme des institutions censées régir ce domaine. Un silence coupable qui nourrit le populisme des ministres, devenus de fait des acteurs politiques éternellement en quête de visibilité et de soutien.

En attendant que les uns et les autres se ravisent ou prennent leurs responsabilités, voilà un sujet de débat pour ceux qui en ont la compétence.

Les Dépêches de Brazzaville