Evocation. La marche du 27 juin 1966 à Brazzaville (1re partie)

Jeudi 27 Juin 2019 - 22:19

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L’événement fut commémoré une seule fois, en juin 1967, au camp Lénine, Makala, km17, après le pont du Djoué, l’une des bases militaires de la Défense civile autour de Brazzaville. Ce jour-là, tour à tour, le commandant des paramilitaires, Ange Diawara, le Premier ministre, premier secrétaire politique du Mouvement national de la révolution (MNR), Ambroise Noumazalay, et le chef de l’Etat, le président Alphonse Massamba-Débat, y allèrent chacun de son interprétation de cette journée folle, indécise, où le régime avait failli basculer.

En juin 1968, le triumvirat ci-dessus s’étant disloqué, la commémoration du 27 juin passa à la cathode. Plus tard, alors qu’il était au sommet de l’Etat, Marien Ngouabi, catalyseur de cet événement, livra sa version des faits en relevant la confusion dans les camps militaires, la fragilité du régime et son refus de la chute de ce dernier.

Lorsqu’il le fit venir de Pointe-Noire, en 1965, le président Massamba-Débat avait bon espoir de voir le jeune Marien Ngouabi, 27 ans, capitaine, précédé d’une réputation de droiture, former l’unité para commando de son armée et l’aider à se débarrasser des gros bras qui infestaient Brazzaville sous l’uniforme de la Jeunesse du mouvement national de la révolution (JMNR) et son aile militaire du Corps national de la défense civile ou tout simplement la Défense civile. Le 8 février 1964, son régime naissant avait survécu grâce à des jeunes partisans ; lesquels avaient dispersé à coups de gourdins les nostalgiques du président déchu, l’abbé Youlou, qui marchaient sur le Palais. Acclamés, ces gros bras s’étaient structurés en un corps de paramilitaires redoutables dont les débordements et les dérives menaçaient les assises du nouveau régime. Pour faire face à ce nouveau péril, les conseillers du président jetèrent leur dévolu sur le capitaine Ngouabi, alors chef militaire de la ville de Pointe-Noire.

Une fois sur place, et devenu le chef du bataillon des para-commandos, le nouveau promu fit rapidement le constat que la reddition des miliciens était plus une question politique que militaire. Alors que ses camarades du corps de la gendarmerie, avec Alphonse Mabiala comme commandant, voulaient déjà en découdre, Ngouabi, pragmatique, temporisa en observant le jeu de la scène politique.

Le commandement des paramilitaires était, en effet, sous l’influence d’Ambroise Noumazalay, premier secrétaire politique du MNR, qui devint chef du gouvernement en mai 1966. Considéré par les miliciens comme l’unique caution, l’unique garant du succès du mouvement révolutionnaire dans le pays, Ambroise Noumazalay était hostile à toute violence contre ses protégés. Il fit mieux que ça. Le débat sur la politisation de l’armée que son obédience introduisit remua des braises aux étincelles ravageuses qui ajoutèrent la confusion dans une ambiance politique et sécuritaire  déjà délicate. En particulier, au comité central de février-mars 1966, le capitaine Ngouabi commit une erreur en claquant la porte au nez du secrétaire général du parti qui n’était autre que le président Massamba-Débat ! A l’évidence, c’était une grave faute. Ngouabi était un militaire en sous-ordre qui ne pouvait ignorer son statut quand bien même il siégeait au comité central. Pour le président, c’était un insupportable affront. Pire que cela, Ngouabi était devenu quasiment le porte-parole des différents mouvements corporatistes qui traversaient les casernes. Les relations se tendirent définitivement entre les deux hommes.

Toutefois, à la faute du capitaine Ngouabi commise devant une audience restreinte, le chef de l’Etat, à son tour, trébucha publiquement et provoqua l’indignation populaire lorsqu’il voulut pousser trop loin dans la panoplie de ses prérogatives administratives en matière disciplinaire à exercer contre le jeune capitaine.

Echelonnée à deux niveaux, la riposte présidentielle priva d’abord, le 23 mai 1966, le capitaine de son commandement de chef de bataillon des Paras, assorti d’une obligation de rejoindre Pointe-Noire où il avait été réaffecté en sous-ordre dans un délai de deux semaines, sous peine de nouvelles sanctions.

Tacticien, Ngouabi temporisa de nouveau : il avait des arguments techniques en termes de temps de passation de service. Mais, surtout, il espérait voir son nouveau protecteur, le Premier ministre Noumazalay, atténuer les rigueurs du décret présidentiel.

Au bout d’un mois, il ne fut pas seulement déçu par son protecteur, mais fut totalement désillusionné par le jeu du pouvoir de son allié. Alors que le président faisait monter la pression sur le capitaine, ce fut justement le Premier ministre qui signa par procuration, en l’absence du chef de l’Etat en mission à l’étranger, le 26 juin 1966, le décret rétrogradant Marien Ngouabi de capitaine à soldat de 2e classe ! (Suite dans le prochain numéro).

 

François-Ikkiya Onday –Akiera

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