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Evocation. La refondation socialiste de juillet 1964

Jeudi 19 Septembre 2019 - 20:51

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Le 15 août 1963, dans l’après-midi, Brazzaville était en délire. Le despote jeté en prison, une situation révolutionnaire inédite dans toute l’Afrique noire post-coloniale était en cours. Populairement revendiquée, la refondation du jeune Etat congolais était censée établir un nouveau pacte éthique entre citoyens pour une gestion publique faite de solidarité, de justice et de liberté. Le second axe de cette refondation était le refus de tout projet d’institutionnalisation d’un parti unique totalitaire « instrument de la dictature d’un seul homme ».

Cependant, à l’étape suivante de la mise en musique de cette refondation, on  s’aperçut que les syndicalistes, leaders de la contestation, n’avaient pas la suite dans les idées. La spontanéité de leur entrée en action contre le régime de l’abbé Fulbert Youlou et la rapidité de sa chute n’aidèrent guère les syndicalistes et leurs supporters à élaborer des schémas de substitution. Pêchant par la naïveté, ils perdirent rapidement la main au profit de nouveaux acteurs qui n’avaient pas pris part à la lutte. Ce manque de leadership visible sera à l’origine de la contestation de la légitimité de certains acteurs essentiels comme le président Alphonse Massamba-Débat qualifié par ses adversaires de « troisième larron qui saisit maître Aliboron ». Ce manque de leadership signifiait aussi ou pouvait signifier l’altération de la vision révolutionnaire telle que les porteurs du mouvement l’avaient esquissé.

Ce fut justement, le cas de la mésaventure que subira la revendication de non-institutionnalisation d’un parti unique porté par les syndicalistes au cours des journées d’août. Evacuée du débat au moment d’aller au congrès constitutif du Mouvement national de la révolution en juillet 1964, la question du multipartisme était devenue un non-sens pour l’opinion majoritaire des futurs congressistes. Une conquête majeure de la révolution était ainsi abandonnée. Quand plus tard, en 1991, la Conférence nationale souveraine (CNS) rétablira le multipartisme, personne ne se souviendra que les révolutionnaires du 15 août 1963 avaient le parti unique en abomination.

Au sortir de la colonisation, le mouvement socialiste était regardé dans le Tiers-Monde comme une panacée, une potion magique créatrice de paradis. A l’arrogance et à l’esclavage dans lequel l’Occident avait soumis les peuples du monde, répondait après la Seconde Guerre mondiale un discours novateur fait de solidarité et de fraternité. Porté par l’Union soviétique et la Chine populaire, ce discours avait des émules à travers le monde, dans les pays du Tiers-Monde. L’idée socialiste était alors synonyme de progrès social. C’était une brèche dans laquelle s’engouffrer était synonyme de salut. Le discours prônait une transformation radicale de la société en s’inspirant des théories des Allemands Karl Marx et Friedrich Engels, du Russe Vladimir Lénine ou du Chinois Mao Zedong. Pour des théoriciens comme Lénine et Mao, la prise du pouvoir par la force était inscrite dans la matrice de la révolution socialiste radicale. D’où la formule lapidaire de Mao mondialement connue « le pouvoir est au bout du fusil ! »

A côté de ce socialisme radical appelé socialisme scientifique, un Autrichien, Eduard Bernstein, élève de Friedrich Engels, avait proposé une autre forme de socialisme où le progrès social sera acquis par la voie démocratique, c’est-à-dire parlementaire. C’est en gagnant les élections par la voie démocratique que les socialistes devaient transformer la société étape par étape sans détruire les classes conservatrices. Cette version du socialisme connue sous le vocable de social-démocratie est adoptée dans plusieurs pays du monde. En Europe, l’Allemagne, les pays scandinaves et la Grande-Bretagne furent des terres d’élection de la social-démocratie dès la fin du XIXe  siècle. Par opposition aux forces conservatrices positionnées à droite sur l’échiquier politique, le socialisme scientifique et la social-démocratie composent la gauche de l’échiquier politique. Les partisans du socialisme scientifique sont classés à l’extrême gauche des sociaux-démocrates.

En 1964, la question de l’orientation politique de la refondation de l’Etat impulsée par la révolution de 1963 fut résolue par le choix du socialisme scientifique. Mais, l’univocité de ce choix était plutôt apparente. Traversé par un courant éclectique, le congrès avait, néanmoins, consacré la victoire de la forme autoritaire du socialisme. Les leaders socialistes issus de ce congrès se proclamèrent membres de la Gauche ; ce qui dans leur entendement avait le sens de progressiste et révolutionnaire. Longtemps, ce terme, « la gauche » leur servit de massue pour étourdir ceux qu’ils qualifiaient de contre-révolutionnaires ou de réactionnaires.

Soumis à des luttes internes de pouvoir, la refondation socialiste de juillet 1964 sous la bannière du socialisme scientifique survivra durant vingt-sept ans jusqu’à l’ouverture de la CNS. Les régimes des présidents Alphonse Massamba-Débat, Marien Ngouabi, Joachim Yhomby-Opango et Denis Sassou N’Guesso qui se réclamaient des idéaux du 15 août1963 restèrent fidèles au pacte fondamental sur l’éthique de la gestion en matière du bien public. Mais, des critiques pertinents soutiennent que l’idée de socialisme scientifique au Congo est restée à un stade déclamatoire et bancal. L’arriération du pays dans tous les domaines, la récente sortie des fers de l’esclavage de sa population, la constitution de l’Etat et l’absence totale d’une intelligentsia constituaient autant d’obstacles à vaincre sur la voie de la construction d’une société où le bien-être serait caractérisé par « un saut en hauteur collectif » pour reprendre l’expression imagée d’un dissident soviétique, le philosophe Alexander Zinoviev.

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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