Faune : la consommation de la viande de chasse entretient le braconnage

Vendredi 2 Août 2013 - 18:48

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Il ne se passe pas une semaine sans que la presse n’annonce l’arrestation d’un ou de plusieurs braconniers. Pourtant peu nombreux sont les Congolais qui se posent la question de la légalité de cette activité favorisée, curieusement, par la propension des populations à consommer de la viande de chasse. Pour preuve, cette viande est toujours présente sur les marchés, quelle que soit la saison. Elle ne vient pas d’ailleurs, elle est prélevée dans les forêts et savanes congolaises

Le mot gibier est apparu dans la langue française en 1190. À l’origine, il désignait des oiseaux, son sens premier étant « viande d’oiseaux chassés ». Aujourd’hui, il signifie l’ensemble des animaux bons à manger que l’on prend à la chasse. En principe, on ne peut donc pas parler de gibier lorsqu’il s’agit d’animaux d’élevage. Mais comme ces animaux sont habituellement gardés dans des conditions se rapprochant de celles qu’ils connaissent à l’état sauvage, on continue de leur donner ce nom. On parle de « petit gibier » pour désigner les oiseaux et les petits mammifères et de « grands gibiers » (ou « gros gibier ») pour désigner les grands mammifères, notamment le bison, le cerf, le caribou, le sanglier.

Consommer de la viande de brousse est une exigence naturelle et sociale pour les besoins de la survie. L’acte n’avait rien de lucratif, et le mode de prélèvement avait un impact réduit sur la population faunique. Aujourd’hui, la donne a changé, car la présence de cette viande sur la table justifie la position sociale de son consommateur. C’est donc une affaire de « privilégié ». La forte demande de gibier a fait naître une nouvelle classe d’individus, les braconniers, dont l’activité consiste à chasser par tous moyens tous types d’animaux au mépris des consignes environnementales. Pour gagner plus et répondre à une demande sans cesse croissante, les braconniers prennent tous les risques en défiant les écogardes, en les corrompant, et, au besoin, en en faisant des complices. Une question se pose alors : consommer de l’antilope, de la gazelle, du singe, de l’éléphant contribue-t-il ou non à la disparition de certaines espèces? La réponse est, bien entendu, oui.

En réalité, ce n’est pas en prélevant de la forêt une perdrix ou un crocodile qu’on enfreint forcément la loi. De telles prises, si elles sont destinées à la consommation domestique ou locale, ne font pas courir de risque d’extinction à la population faunique. Le risque survient lorsque l’activité prend des allures commerciales pour alimenter les marchés du pays ou des pays voisins. Car rares sont les chasseurs qui se contentent d’envoyer une seule perdrix, une seule cuisse d’antilope ou une seule gazelle vers Brazzaville, Pointe-Noire ou Dolisie pour être vendues. Il leur en faut beaucoup plus pour rentabiliser leur activité.

Pourquoi protéger les animaux ?

Les études ont démontré que tous les animaux n’avaient pas les mêmes potentialités de reproduction et ne jouaient pas le même rôle dans leur milieu. Si les petits mammifères se reproduisent de façon permanente et peuvent donner plusieurs petits lors des mises bas, les plus grands, comme l’éléphant, ont un cycle de reproduction spécial. Par ailleurs, la diminution des éléphants peut impacter la flore environnementale, car certaines espèces d’arbres se régénèrent au moyen d’un mécanisme naturellement réglé en liaison avec certains animaux. C'est le cas typique de l’éléphant de forêt. Et si le crime sur l’éléphant cristallise l’attention des environnementalistes, c’est qu’au-delà de sa viande, souvent négligée, il n’est que de voir des carcasses d’éléphants abandonnées en forêt, ce sont ses défenses qui attirent les braconniers. Si bien qu’à la place des fusils de petit calibre, les braconniers utilisent désormais des armes automatiques ou des armes de guerre tout court. Et dire que les auteurs de ces actes ne disposent d’aucun permis, ni de port d’arme ni de chasse. La règlementation de la chasse répond au défi de permettre à la faune de se reproduire. Résultats : l’équilibre écologique est assuré, la sécurité alimentaire aujourd’hui et demain, etc.

La lutte contre le braconnage passe par une meilleure connaissance de la faune

Le savoir permet une plus grande adhésion aux saisons de fermeture et d’ouverture de la chasse. Le chasseur est aussi celui qui sait qu’une perdrix en nidification, un singe et son petit constituent des maillons de la chaîne de renouvellement. Les tuer, c’est diminuer les chances d’en avoir dans les prochaines saisons. Connaître la loi, savoir distinguer les gibiers, ne pas se montrer avide d’argent sont autant d’atouts dans la protection de la faune. Et pour les consommateurs de la viande de chasse : comprendre qu’il y a des périodes où celle-ci peut – ou doit – manquer sur le marché est aussi un point de départ dans la prise de conscience.

La surexploitation, la commercialisation, le non-respect des lois en vigueur et l’exportation de la viande vers les centres urbains occasionnent la destruction de la biodiversité. Toutes ces pratiques constituent une menace pour la sécurité alimentaire dans un proche avenir, car cette manière d’exploiter les ressources naturelles n’est pas durable et profite à quelques acteurs, notamment les trafiquants de viande de brousse. Le braconnage n’a jamais fait avancer le développement des villages en forêt alors qu'il fait l’affaire des braconniers. Mais à y regarder de près, et pour reprendre les propos du ministre Henri Djombo, ni les braconniers ni les populations riveraines ne tirent réellement profit de la chasse. La précarité dans laquelle ils vivent est éloquente et devait mener à les sensibiliser pour un changement de mentalité. À qui profité alors le braconnage ? Aux gens de la ville : dirigeants, fonctionnaires, commerçants et autres qui sponsorisent les chasseurs avec de maigres subsides, des armes et munitions. À ceux-là qui peuvent influencer les agents chargés de la répression…

Peut-on mettre fin au braconnage ?

Dans le cadre de la protection de la faune, le concept de développement durable encourage la meilleure manière de soutenir à la fois les populations locales ainsi que la faune sauvage sur une longue durée. Désormais, les plans d’aménagement des concessions forestières doivent obligatoirement inclure un volet ayant trait à la faune sauvage. La certification forestière qui s’impose progressivement dans la sous-région constitue un autre outil de promotion de l’aménagement forestier durable, y compris pour la faune. Par ailleurs, la connaissance de l’état des populations animales en présence est un prérequis indispensable à la planification de la gestion de cette ressource. C’est pourquoi, depuis quelques années, les recensements des grands et moyens mammifères se multiplient dans les forêts de production en cours d’aménagement. « Les forêts tropicales sont les dépositaires les plus importants de la biodiversité terrestre. Ce sont également les forêts les plus menacées, et moins de 12% de leur superficie sont couverts par des aires protégées. Les forêts de production, qui forment une partie importante des 88% restants, offrent donc un potentiel très important pour la conservation de la biodiversité », explique un ancien agent des services des Eaux et Forêts.

Une croisade doit être menée par les services de la gendarmerie nationale ainsi que ceux des Eaux et Forêts en compagnie de chiens renifleurs contre le braconnage afin d’y mettre un terme. Les campagnes menées par les services de sécurité permettent de mettre la main sur d’importantes quantités de gibier issu du braconnage et dont les espèces sont intégralement protégées. En effet, au cours des exercices pratiques dans le cadre de la formation sur site des maîtres-chiens, organisés dans les zones de parcs et leurs environs par le ministère des Eaux et Forêts, les chiens renifleurs doivent être mis à contribution dans la lutte contre le braconnage pour découvrir le gibier enfoui à bord des véhicules en provenance de l’intérieur du pays.

Dans la sous-région, le Congo est victime d'un braconnage qui lèse chaque année de nombreuses espèces protégées dans les parcs nationaux. Selon une source ONG de protection de la faune entre 2004 à 2012, dans les zones de grande chasse, le pays a perdu de nombreux pachydermes en raison du braconnage.

 

 

La répression en République du Congo pourrait servir d'exemple à d’autres pays en Afrique. Aujourd’hui, dans beaucoup d’États dans l’aire de répartition de l’éléphant, les peines ne sont pas suffisamment dissuasives, mais le Congo possède la loi la plus stricte en Afrique centrale, son application est impérative.

Loi 37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune sauvage et les aires protégées

Article 27 : L'importation, l'exportation, la détention et le transit sur le territoire national des espèces intégralement protégées ainsi que de leurs trophées sont strictement interdits, sauf dérogation spéciale de l'administration des Eaux et Forêts pour les besoins de la recherche scientifique ou à des fins de reproduction.
Article 38 : Nul ne peut obtenir de permis de chasse s'il n'est titulaire d'un permis de port d'arme délivré conformément aux textes en vigueur.
Article 113 : Sans préjudice des confiscations, restitutions, retraits de permis et licence de chasse ou dommages-intérêts sera puni d'une amende de 100 000 à 5 000 000 FCFA et d'un emprisonnement de deux à cinq ans ou de l'une de ces peines seulement quiconque aura :
- fait des aménagements non autorisés ou chassé sans autorisation à l'intérieur d'une aire protégée ;
- abattu une femelle suitée, un oiseau ou un reptile en nidation ;
- abattu un animal intégralement protégé ;
- rejeté ou déversé des substances ou des déchets préjudiciables à la faune ou à son milieu ;
- exploité, à l'intérieur des parcs nationaux, le sol, le sous-sol et les ressources naturelles, en violation des dispositions de la présente loi ;
- importé, exporté, commercialisé ou fait transiter sur le territoire national des animaux sauvages ou leurs trophées en violation de la présente loi ou des conventions internationales ;
- chassé avec un véhicule à moteur appartenant à l'État ;
- détenu légalement un animal chassé avec des armes de guerre ;
- chassé à l'aide d'un engin éclairant ;
- utilisé un permis scientifique à des fins commerciales ;
- exercé le guide de chasse sans s'y être autorisé ;
- omis de faire la déclaration après abattage en état de légitime défense d'un animal intégralement protégé.
Le maximum des peines est prononcé lors que l'infraction porte sur l'abattage d'un animal intégralement protégé, l'auteur de l'infraction était un agent de l'État ou d'une collectivité territoriale, l'infraction est commise pendant la période de fermeture de la chasse, le délinquant est récidiviste.

Quelques espèces intégralement protégées en République du Congo : gorille, chimpanzé, mandrill, panthère, hyène tachetée, lamantin, pangolin géant, bongo, chevrotain aquatique, cobe des roseaux, hippopotame, cercocèbe agile.
Espèces absolument protégées : l'éléphant bénéfice d'une protection absolue en République du Congo d'après un arrêté de 1991 ainsi qu'un acte de la Conférence nationale souveraine.
Quelques espèces partiellement protégées : perroquet gris du Gabon , buffle nain, hylochère, singe de Brazza, kob défassa.

Luce-Jennyfer Mianzoukouta

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Le bongo, espèce protégée. (© DR) Photo 2 : Des gazelles, espèce autorisée à la consommation. (© DR) Photo 3 : L'éléphant, espèce protégée. (© DR)