Feuilleton: Samba De Dieu (19)

Vendredi 25 Mai 2018 - 20:18

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

Toute vie a une fin, et celle d’un cordonnier ne fait pas exception. Nous avons porté Samba DD à sa dernière demeure, dans une agitation fomentée par quelques jeunes esprits chagrins, qui se firent bien botter le derrière par les femmes énergiques de cette histoire. La chaussure a gagné en notoriété, nous lui témoignons reconnaissance et respect par ces écrits.

Il n’y a rien à faire, rien à dire : nous avons beau secouer notre ami, lui tirer la barbe et lui faire guili-guili sur la plante des pieds, il refusait de se joindre à nous, les vivants. Espiègle en diable, nous avons pris cela pour une de ses farces. Un pied de nez à nous autres qui l’avons côtoyé et soutenu au cours de ces derniers mois où la République a été littéralement retournée comme une vieille chaussure. Homme du cuir, talent indiscuté du talon et du ressemelage, Samba DD s’en va dans des circonstances qui pourraient paraître une facétie de plus. Que je vous raconte !

Nous suivions le journal du soir à la radio quand nous fûmes attirés par l’éditorial du journaliste-vedette de l’antenne nationale, Eddy Lébou. Il descendait en flammes ceux des aventureux députés qui s’étaient amusés à monter en épingle une simple affaire de bottines de femme non ressemelées ; en avaient fait « le porte-étendard d’une pensée vide » pour justifier les émoluments dont ils se repaissaient au Parlement.

« A vrai dire, nous sommes tous un peu coupables d’avoir marché dans une affaire aussi futile avec autant de légèreté. Comme si nous n’avions plus des maux assez forts dans le pays ; que nous avions gagné toutes nos batailles sur le champ du développement ! Non, chers auditeurs, l’affaire Samba DD est un exutoire savamment orchestré pour nous empêcher de nous pencher sur les vrais problèmes de la République. J’ai dit ».

C’est propos étaient du petit lait dans les oreilles d’un Samba DD malmené des semaines durant par des accusateurs nombreux et invisibles, lui tressant tantôt les lauriers d’un héros brouillon, tantôt les cornes coriaces du plus corrompu des corsaires. Ces propos tombaient au plus fort de la crise qui avait vu notre ami tantôt déprimé et prostré, tantôt velléitaire et teigneux.

« Mais qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? », ne cessait-il de se lamenter chaque fois que la radio ou la télé prononçait son nom. Il était convaincu que tout ceci relevait d’une machination orchestrée par quelque boucher édenté, ou en tout cas par une mafia des abattoirs. Homme de cuir ayant renoncé à la viande de bœuf dans des circonstances décrites par le menu, il avait opté pour le poisson. Et c’est ainsi qu’il trouva la mort.
Car, l’éditorial d’Eddy Lébou, premier propos véritablement sensé qui tombait dans le cuir de son oreille, le remplissait d’émotion. Il fut pris soudain d’un rire nerveux, puis d’une quinte de toux irréfrénable. Puis un hoquet, et deux. Puis la fin.

Nous découvrîmes bien tard que c’est une arête de poisson qui l’avait étranglé. Cocasse : un cordonnier hors pair qui avait renoncé à la viande du fait des médisances d’un boucher, cessait de vivre, là, sous nos yeux, à cause d’un délice de poisson-malangwa. On n’aurait pas eu le soutien – l’étroite surveillance spirituelle, c’est selon - du Père André-Marie, on aurait conclu que des esprits maléfiques avaient sévi !

Que vous dire de plus ? Samba DD était bel et bien mort, nous nous en étions assurés par toutes les preuves exigées par l’académie. Son deuil nous occupa une semaine entière. Ses obsèques, en l’église Saint-Pierre Claver, furent grandioses, la chorale se surpassant en mélodies qui firent même tomber une perle liquide au coin de l’œil du célébrant, le Père André-Marie. L’homélie fut du Bossuet pur style. Les larmes des pleureuses faillirent noyer le parvis à la sortie. Sur le cercueil trônait la plus grosse des couronnes, celle du président des artisans bouchers du marché total avec un message émouvant de sincérité : « Au plus grand des cordonniers. Tu nous tanneras ».De l’Assemblée était venue une délégation de femmes membres du Chocepa. Leur calicot, en rouge et blanc, proclamait un énigmatique : « Tu sauras lasser les sandales de Saint-Pierre ». Un groupe de jeunes énervés, connu pour haïr tout ce qui était enseigne, voulut arracher cette proclamation irrévérencieuse et offensante. Les femmes se défendirent de la plus belle des manières, avec des coups de pied aux derrières des impudents. Leurs talon-aguilles furent d’une redoutable efficacité. Ce fut la dernière agitation involontaire de Samba DD sur cette terre des marcheurs.

                                      Fin

Lucien Mpama

Notification: 

Non