Fouille des téléphones : une autre forme de tracasserie prend racine à Kinshasa

Lundi 19 Mars 2018 - 15:35

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Il ne fait plus bon, par ces temps qui courent, de se promener dans la ville capitale avec un Smartphone contenant des vidéos ou toute autre image en rapport avec les dernières manifestations ayant émaillé la vie politique de la RDC, au risque de se faire apprehender par des personnes assimilables aux agents des forces de l’ordre.
 

Les détenteurs des types de téléphones modernes sont astreints dorénavant à supprimer tout contenu tendant à présenter l’actuelle équipe au pouvoir sous un mauvais jour, au risque de passer un mauvais quart d’heure. La ténacité observée par les éléments de la police dans leur quête effrénée de mettre la main sur des images dites « compromettantes », inquiète et suscite bien d’interrogations. Tout se passe curieusement à la barbe de l’inspecteur provincial de la police /ville de Kinshasa qui a déclaré récemment n’avoir pas souvenance d’une quelconque instruction donnée dans ce sens. Nonobstant son rappel à l'ordre, les récalcitrants, eux, continuent à traquer les paisibles citoyens soumis régulièrement à des fouilles avec, à la clé,  la confiscation des téléphones au contenu jugé « litigieux ». 

De nombreux Kinois ont, en effet, payé un lourd tribut pécuniaire en contrepartie de leur libération après leur arrestation. Les policiers véreux et inciviques, par dessus-tout, ont poussé l’outrecuidance jusqu’à déverrouiller, sur fond de menaces et d’intimidations, les téléphones arrachés des mains de leurs propriétaires pour accéder à leurs comptes Facebook ou autres. Toutes les publications sont alors passées au peigne fin et gare à celui qui trimballerait une vidéo « osée ». Les marches du 31 décembre 2017 et du 25 février initiées par les laïcs catholiques leur ont servi de prétexte pour intensifier la traque contre tout détenteur d’images relatives à ces manifestations. Sur ordre de qui ? Personne ne le sait.

Une violation de la loi

De tels actes, à en croire le coordonnateur de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj) « violent les dispositions de la loi sur les télécommunications qui interdisent l’interception ainsi que la consultation des messages et autres communications d’un citoyen sans autorisation au préalable du procureur général ». Kimponzo Mayala, journaliste de son état, avait dernièrement fait les frais de cet activisme outrageant des éléments se présentant comme appartenant aux services de renseignement alors qu’il rentrait paisiblement chez lui. Après l'avoir soumis à une fouille systématique, ils découvriront dans son portable une vidéo du prêtre protestant François David Ekofo, critiquant vertement le régime lors du culte célébré à l’occasion de la commémoration du 17e anniversaire de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila. L’infortuné termina sa journée entre quatre murs dans les geôles des services de sécurité avant d’être relâché, dépouillé de son téléphone.

Tatiania Nigam Miandabo a, quant à elle, été carrément contrainte de basculer dans la clandestinité au lendemain de son arrestation, il y a quelques jours, par des policiers à hauteur de l’avenue de la libération. Les photos du corps sans vie de Rossy Mukendi Tshimanga baignant dans son sang trouvées sur son portable avaient suffi pour sceller son sort. Son statut de membre actif du mouvement « Collectif 2016 » créé par cet activiste des droits de l'homme, abattu le 25 février à la suite d’une marche des chrétiens catholiques, n’a fait que renforcer les policiers dans leur conviction et dans la multiplication des griefs pouvant justifier son arrestation. Cependant, le relâchement de la jeune dame, négocié à prix d’or, ne lui a pas exempté des poursuites dont elle fait actuellement l'objet, rajoutant ainsi à une insécurité déjà grandissante du fait de sa proximité avec un mouvement pro démocratie. Originaire de Mweka, cette collaboratrice de feu Rossy Mukendi ne sait plus à quel saint se vouer et demande protection tout en s’interrogeant sur le sort de Bertine Mateleza, une autre membre de l'association dont elle est sans nouvelles depuis des lustres.  

Un avocat membre d’une formation politique soutenant la candidature de Moïse Katumbi à l’élection présidentielle de décembre 2018 aurait été récemment arrêté par le service de renseignement militaire qui aurait retrouvé sur son téléphone des photos de l’ex-gouverneur du Katanga, a dénoncé l’Acaj au cours d’une rencontre avec la presse.  

Fouilles pour du beurre

Ces cas sont loin d’être isolés et s’insèrent dans un contexte social qui ne rassure guère, où la sécurité des personnes et de leurs biens ne tient plus qu’à un bout de fil. A l’entrée de certains services stratégiques de l’Etat, apprend-on, les éléments commis à la sécurité des lieux s’adonnent ces derniers temps aux fouilles des téléphones jusqu’à entrer dans l’intimité de leur contenu, au motif de rechercher les fameuses vidéos et images « compromettantes ». Leur expliquer le fonctionnement des réseaux sociaux où n’importe qui peut balancer n’importe quoi sans forcément demander votre avis relève d’une perte de temps et d’énergie. « Ces gars ne comprennent rien. Dès qu’ils tombent sur une photo ou une image qui ne les satisfont pas, ils vous créent des ennuis. », commente Etienne Yalunde, juriste.

La nuit tombée, il devient fréquent à Kinshasa de voir des policiers investir certains coins de la ville, embusqués et tapis dans l'ombre, cherchant à prendre de surprise les fêtards et autres couche-tard qui rentrent au bercail aux heures indues de la soirée. Ces policiers ne sont pas tous animés d’un esprit républicain. La plupart ont trouvé dans cette chasse immodérée d’images jugées attentatoires à la sécurité intérieure, un prétexte pour se faire du beurre en surfant sur la naïveté d’une population kinoise qui accepte tout, sans le moindre discernement.

Alain Diasso

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