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Fracture énergétique : Vers la maîtrise de la précarité de l’électricité au Congo ?

Mardi 29 Septembre 2015 - 15:11

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Depuis 2003, le Gouvernement congolais cherche à améliorer l’offre et la demande d’électricité en qualité et en quantité, moyennant des prix compétitifs et d’importants investissements. Il vise à couvrir 90% des zones urbaines et 50% des zones rurales du pays, en développant une gouvernance reposant sur un cadre institutionnel, organisationnel et managérial axé sur les normes du pool énergique de la CÉMAC, composé d’un code de l’électricité, d’une agence nationale d’électrification rurale, d’une agence de régulation du secteur de l’électricité et d’un fonds de développement du secteur de l’électricité.

I- L’offre est évaluée à 600 MW installés, fournis à 41,67% par la Société nationale d’Électricité (SNE), qui gère les barrages hydro électriques de Moukoukoulou (74 MW), d’Imboulou (120 MW) et du Djoué (15 MW en arrêt depuis 2007),  et la Centrale thermique de Brazzaville (32 MW); et à 58,33% par la Centrale électrique du Congo (CEC) de Pointe-Noire (300 MW) qui gère en plus, la Centrale à Gaz de Djeno (50 MW). La SNE est un établissement public à caractère technique, industriel et commercial, doté de l’autonomie financière. Elle fut créée le 15 juin 1967, à la suite de la fusion de deux entreprises coloniales : l’Union électrique du Congo (Brazzaville) et la Société équatoriale d’énergie électrique (Pointe-Noire). La CEC, est une société anonyme, créée en avril 2008, détenue à 80% par l’Etat congolais et à 20% par Eni-Congo, filiale de la compagnie pétrolière italienne Eni.

La production totale d’électricité du Congo a été multipliée par 2,7 en 10 ans, en passant de 803.177,20 MW en 2004 à 2.177.781 MW en 2014. Le pays a acquis son indépendance énergétique vis-à-vis de la RDC qui lui fournissait presque la moitié de sa production totale jusqu’en 2011, contre 6 milliards de FCFA par an. Avec un potentiel hydroélectrique d’environ 14.000 MW recensés dont 194 MW seulement sont exploités, le Congo investit marginalement dans les énergies renouvelables (solaire, éolienne,…), alors que le pays est situé sur l’équateur, et bénéficie des vents et de l’ensoleillement de 12 heures par jour durant toute l’année. Les projets en cours concernent principalement les énergies fossiles qui fourniront 1.123 MW de plus, pour atteindre une production annuelle totale de 3.548 GWH environ à l’horizon 2020.

II- La demande est de 337 MW dont 159 MW à Brazzaville (entre 18 heures et 22 heures), 140 MW à Pointe-Noire, 22 MW pour les Départements du Niari et de la Bouenza et 11 MW seulement pour la partie Nord du pays. Soit un excédent théorique de 263 MW par rapport à l’offre de 600MW. Le Congo compte 250 KWH par habitant contre 200,2 KWH seulement dans les autres pays riches en ressources électriques en Afrique. Le nombre d’abonnements a été multiplié par 2,6 en 10 ans, en passant de 89.956 en 2003 à 232.526 en 2014. Il est en baisse à Brazzaville (55,29% à 51%), stagne à Pointe-Noire (35,37% à 35,47%), et est en hausse en zone rurale (9,34% à 13,53%). Mais, le taux d’accès à l'électricité de 35% est faible par rapport à 46,1% dans les autres pays riches en ressources électriques d’Afrique. Dans les zones urbaines, ce taux atteint 51,3% contre 78,7% dans les autres pays riches en ressources électriques d’Afrique. Dans les zones rurales, ce taux n’est que de 16,4% contre 27,6% dans les autres pays riches en ressources électriques d’Afrique.

III- Les performances : Les ventes d’électricité ont été multipliées par 2,5 en 8 ans, en passant de 23.679,4 millions de FCFA en 2006 à 59.058,8 millions de FCFA en 2014. La grille tarifaire comprend trois catégories de prix (basse tension, éclairage public, moyenne et haute tension), déterminées en fonction de la puissance souscrite. Le tarif universel ou tarif unique de l’éclairage des clients à faible revenu, et le compteur prépayé destiné à la classe moyenne, améliorent l’accès des populations à l’électricité, sans toutefois améliorer la rentabilité de l’exploitation des opérateurs. La différenciation du tarif selon le temps (nuit, jour), la catégorie de la clientèle (résidentiel, industriel, administration) et la puissance souscrite, aurait amélioré davantage le taux de vente, rapport entre l’énergie vendue et l’énergie livrée qui n’est passé que de 48,37% en 2006 à 55,96 en 2014. Elle aurait également réduit davantage le taux de perte d’énergie, rapport entre l’énergie perdue et l’énergie livrée, qui est passé de 51,63% de la production totale d’électricité en 2006 à 44,04% en 2014, loin de 26,4% des autres pays riches en ressources électriques du continent.

Le système de gestion d’électricité du Congo enregistre 24,7 coupures en moyenne par mois contre 15,8 dans les autres pays riches en ressources électriques d’Afrique. Les incidents d’exploitation se réduisent : le nombre de black-out total est passé de 50 en 2013 à 30 en 2014, et celui de black-out partiel est passé dans le même temps de 94 à 66. Les défauts internes sont de 122 contre 112 défauts externes. L’irrégularité du flux génère des pertes de plus de 15,7% du chiffre d’affaires dans les entreprises contre 7% dans les pays riches en ressources électriques d’Afrique. La forte fréquence des délestages oblige les clients à acquérir des groupes électrogènes polluants ou des panneaux solaires onéreux pour une puissance totale égale à 34,5% de l’offre nationale. La vétusté des installations techniques, le piratage du réseau due à la corruption des agents, l’irrégularité de la maintenance, la lenteur de la réhabilitation du réseau de distribution détruit durant la guerre civile de 1997, associés à la faible qualification et au sureffectif du personnel, allongent les délais de branchement d’un client à la ligne électrique jusqu’à 135 jours contre 4 jours au Cameroun.

Ainsi, le déséquilibre entre l’offre et la demande d’électricité se manifeste par une précarité énergétique chronique qui fragilise le développement économique du Congo. Il est le produit d’une stratégie industrielle orientée davantage vers l’acquisition des infrastructures que vers l’exploitation rationnelle des ressources rares disponibles. La promotion de la culture de la performance, associant éthique, rigueur, compétence technique et transparence dans une gouvernance partenariale, autour d’un projet d’entreprise innovant, moyennant des tarifs attractifs et différenciés, est nécessaire et urgente pour maîtriser la précarité énergétique au Congo.

 

Emmanuel OKAMBA Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestio

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Édition Quotidienne (DB)

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