François Gemenne : « La migration n’est pas une menace, mais une opportunité si elle est anticipée et planifiée. »

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:12

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François Gemenne est chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales et à l’université de Liège. Il est spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et enseigne ces matières à Sciences Po Paris et Grenoble et à l’université libre de Bruxelles. Il a accepté de livrer aux Dépêches de Brazzaville sa réflexion sur les flux migratoires africains 

Les Dépêches de Brazzaville : Quel est le portrait type du migrant africain (âge, sexe, éducation, etc.) ?

François Gemenne : Ce n’est pas si facile de dresser un tel portrait, car il y a une grande diversification dans l’immigration ces dernières années. En France, 30% des migrants proviennent du Maghreb et 15 % d’Afrique subsaharienne. Ce sont en majorité des hommes jeunes, mais il y a de plus en plus de femmes migrantes et l’on se rapproche peu à peu de l’égalité entre les deux sexes. Il y a d’une part des migrants peu qualifiés qui occupent les emplois que les Français ne veulent plus occuper et d’autre part des migrants très qualifiés, ainsi que des étudiants.

Quelles sont les destinations des migrants subsahariens ?

Pour l’essentiel, ce sont des migrations internes, à l’intérieur d’un même pays. Ensuite, il y a de très importantes migrations Sud-Sud au sein même de l’Afrique ainsi que de l’Afrique vers les pays du Golfe, notamment le Yémen. La migration vers l’Europe est assez minoritaire et reste marquée par l’existence d’anciens liens coloniaux entre pays d’origine et pays de destination.

Qu’entend-on par migrants climatiques ? Peut-on déjà quantifier les migrations climatiques ?

Les migrations climatiques sont l’ensemble des mouvements migratoires liés aux modifications de l’environnement dues au changement climatique : la hausse du niveau des mers, les catastrophes naturelles, l’appauvrissement des sols provoqués par les sécheresses, etc. Elles font partie de l’ensemble plus large des migrations environnementales, par exemple les migrations suscitées par les tremblements de terre. La quantification est très difficile, car ce sont pour l’essentiel des migrations internes et de très faible distance. Toutefois, on peut dire qu’en 2012, 33 millions de personnes ont migré à la suite de catastrophes naturelles, ce qui est supérieur au nombre de réfugiés reconnus par la convention de Genève de 1951, qui protège les réfugiés politiques, les victimes de guerre et de violences. Et ce chiffre va s’accentuer.

Peut-on alors parler de  menace pour l’avenir ?

La migration n’est pas une menace, mais une opportunité si elle est anticipée et planifiée. La migration peut être une stratégie positive d’adaptation aux changements, mobilisée par les migrants, et n’est pas systématiquement un échec ou une catastrophe comme elle est souvent présentée.

En 2050, un être humain sur quatre vivra en Afrique. Quels équilibres démographiques trouver entre l’Afrique et l’Europe ? Comment l’Europe peut-elle combler son déficit démographique et rester performante ?

La croissance démographique en Afrique est l’une des plus importantes alors que l’Europe connaît un déclin. Pour maintenir sont niveau de prospérité économique, l’Europe aura besoin de migrants. Certains équilibres se feront, mais cela va dépendre de l’évolution des processus de développement. Mais l’Europe devrait à l’avenir avoir plus que jamais besoin des migrants africains.

Les Africains immigrent… en Afrique

Loin des clichés plusieurs études tendent à démontrer que l’immigration régionale bat son plein sur le continent. Aussi surprenant que cela puisse paraître aux yeux des Occidentaux, c’est l’Afrique qui est le premier continent de migration pour les Africains. L’Afrique est le continent dont les populations se déplacent le plus mais selon l’Office international des migrations sur un total de 14 millions de migrants venus de l’Afrique subsaharienne, 10 millions (soit 69 %) se déplacent dans la région.
En chiffres absolus ce sont les grands pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique australe qui accueillent le plus grand nombre de migrants.

En 2050, un être humain sur quatre vivra en Afrique soit 2,5 milliards de personnes dans le monde, contre seulement 1,1 milliard en 2013. Selon plusieurs prévisionnistes, en 2050 la population du Nigeria sera plus importante que celle des États-Unis. Quelques éléments pour mieux cerner les équilibres démographiques de demain. En 2050, l’Afrique devrait compter plus de 2,5 milliards d’habitants et le Nigeria entrerait dans le top 3 des pays les plus peuplés de la planète, devant les États-Unis (le Nigeria compte pour l’heure 174,9 millions d’habitants). Cette hausse démographique devrait se poursuivre : en 2100 l’Afrique devrait compter 4, 2 milliards d’habitants selon l’Institut national d’études démographiques français. Un boom démographique qui semble profiter à la croissance économique sur le continent avec des prévisions de croissance se situant autour de 4% pour l’année 2014.

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

François Gemenne, Chercheur en science politique à l’Université de Liège et à l’université de Versailles, il est aussi un expert associé avec Céri - Sciences Po. Spécialiste de la gouvernance de la migration, sa recherche porte essentiellement sur les populations déplacées par les changements environnementaux et les politiques d’adaptation au changement climatique .