Gabriel Okoundji : « Il n’y a pas de tribalisme au Congo, seuls les politiques nous divisent »

Mercredi 2 Août 2017 - 16:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Le poète Gabriel Okoundji publie aux Editions Cana « De l'identité culturelle congolaise », un ouvrage qui regroupe son discours inaugural au Festival international du livre et des arts francophones et un texte intitulé « L'épreuve du Congo », paru à La Semaine Africaine au moment de l'élection présidentielle. Deux textes appelant à l'unité nationale et à la promotion de  la culture congolaise. Retour avec le lauréat 2015 du Grand Prix des Arts et des Lettres de la présidence de la République du Congo sur ces notions fondamentales à l’heure où le pays achève de renouveler ses institutions.

 

 

 

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Vous faites le lien entre culture et développement économique. Selon vous, l'essor du Congo ne pourra pas être durable si nous ne nous réapproprions pas notre culture. Pourquoi ?

Gabriel Okoundji (GO) :  Sans identité culturelle, tout développement, qu’il soit économique, social, politique, etc., n’aboutit tout au plus qu’à l’éphémère promesse que le jour fait à l’ombre. L’Afrique est le continent d’avenir en matière économique, les prévisions des observateurs sont quasi unanimes là-dessus. Comme le témoigne par ailleurs l’engouement pour nos pays des Chinois, des Brésiliens et des Indiens. Ces acteurs économiques dont on remarque qu’ils sont les plus « jeunes » de notre société mondiale ont tôt saisi les opportunités qui s’ouvrent déjà à l’horizon de ce bel avenir de notre continent. L’Afrique est en train de changer d’échelle et de cap. Mais il importe d’être en harmonie avec ce développement et ses vents de bouleversement, sans quoi nous serons condamnés à être des feuilles mortes livrées aux vents : vents cruels de la nature et de l’histoire. Alors, posons-nous la question : c’est quoi être Congolais ? Qu’est ce qui nous caractérise face à un Malien, un Français, un Russe, ou un Canadien ?

 
LDB : Vous soulevez à ce titre l'importance de la transmission de nos langues congolaises. Seriez-vous favorable à ce que ces langues soient enseignées à l'école ?

G.O. : Bien évidemment que je ne souscris pas à l’idée que l’enseignement au Congo se fasse dans nos langues. Ce débat à mes yeux n’a pas lieu. Henri Lopes, alors ministre de l’enseignement avait affronté à l’époque ce problème, mais il faut placer la chose dans le contexte où nous étions au moment du PCT et de l’idéologie marxiste au Congo. La réalité aujourd’hui est tout autre. Le français est notre idiome d’enseignement, mais aussi de communication et d’échanges hors de nos frontières ; nous l’avons depuis longtemps adopté comme l’une de nos langues, et tant mieux. Elle est cet outil hérité de la colonisation qu’il nous appartient de ployer avec notre totale liberté d’être Congolais dans l’univers de la francophonie. Ce qui par contre pose problème, c’est la tendance des Congolais à ne pas assumer leurs coutumes et leurs langues maternelles. Elles sont notre héritage séculaire, c’est à partir d’elles que nous pouvons dans une certaine mesure assurer la transmission car elles sont le réservoir de l’histoire de nos peuples. Cela me paraît évident : un Congolais n’est pas qu’un noir d’Afrique qui parle magnifiquement bien le français, il est d’abord la semence d’une autre culture, mais laquelle ? Voilà la question.

 LDB : Comment célébrer son identité tout en évitant l'écueil du tribalisme ou du régionalisme ?

G.O. : Non, il faut arrêter avec ces inepties idiotes qui nous aliènent depuis des années. Il n’y a pas de tribalisme au Congo. Il n’y a que des politiques – et de tous partis –  qui dans leur incompétence d’élever l’âme du peuple congolais, nous divisent. Ce sont eux et les carences de l’enseignement qui au lieu de nous apporter la lumière sur ce qui nous rassemble dans nos différences, pour former le socle commun d’une harmonieuse patrie, au contraire nous désapprennent les composantes de l’espace géographique de notre pays, la richesse de nos valeurs culturelles, la singularité de nos différences d’être Kougni, Mbéti, Lari, Téké, Vili, Mbochi, Likouba, Kongo, Ngaré, Bomitaba, etc. Quand je suis à Brazzaville, j’aime dire à mes amis que je suis Tégué d’Ewo, et fier de leur parler ma langue. Cela fait-il de moi un tribaliste ? À Pointe-Noire, je me plaignais avec malice que personne là-bas ne parle Tégué, et je disais aux jeunes artistes de me parler d’abord leur langue et me proposais de leur apprendre la mienne. Y’a-t-il du régionalisme là-dedans ? Au Congo, et pour ne citer qu’un exemple, c’est un fils du Pool, Antoine Yirrika, qui le premier s’est intéressé à l’un de mes ouvrages qui évoque la cosmogonie de la Cuvette-ouest, jusqu’à le mettre en scène avec sa troupe de Théâtre Tchicaya U Tam’si. Où est l’alliance sous-régionale ou ethnique dans cet acte artistique ?  Pour ma part, ce n’est pas le fait qu’un auteur soit du nord ou du sud qui me pousse à le soutenir par une critique ou une préface, je suis poussé bien uniquement par la qualité du texte. Et les exemples sont là. Cela est regrettable de voir à quel point certains compatriotes renient leurs origines régionales sous prétexte d’être uniquement Congolais.

 LDB : Vous appelez à constituer une grande phratrie congolaise à l'échelle de la nation et à l'unité, mais comment la faire naître dans la tête et dans le cœur des Congolais ?

G.O. : La chose est d’abord politique, comme je viens de le dire. Et, constat amer, notre pays décourage plus qu’il n’encourage les initiatives, allant jusqu’à humilier ses propres enfants qui pourtant l’honorent. J’en sais quelque chose pour l’avoir vécu et subi. Les faits sont là. Mais pour autant, je ne renie pas mon pays. Le Congo est notre terre, notre demeure, notre unique lieu d’inscription au monde. Il est donc temps de rompre cette spirale stérile de nos maux qui ont fini par nous faire croire que nous serions des ennemis les uns pour les autres. Notre misère est commune, elle est au nord comme elle est au sud. Et notre pays regorge d’intelligence. Il nous suffit alors de nous reconnaître entre nous. Cette unité est l’une des vertus qui rendra la paix et, subséquemment, nous mènera sur la bonne voie du développement.   

 

 

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Gabriel Okoundji (DR)

Notification: 

Non