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Gouvernance territoriale : le défi de la municipalisation accélérée

Lundi 15 Décembre 2014 - 14:14

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Dans les politiques d’aménagement du territoire, l’équipement de base des Collectivités locales, s’accompagne généralement des équipements économiques afin de réduire les écarts de développement entre la ville et la campagne, et de freiner l’exode rural.

La Municipalisation accélérée (MA) et les Zones économiques spéciales (ZES), ou zones franches, tentent de relever ce défi, en valorisant les expériences congolaises de l’aménagement du territoire, cristallisées dans la commune dont celle de Brazzaville est la figure emblématique.

À sa création en 1911, la Commune de Brazzaville comptait seulement 4.055 habitants contre plus de 1.557.533 habitants en 2012. Cette population est actuellement aux prises avec l’insalubrité urbaine, les déficits du transport public, de l’électricité et de l’eau et le chômage des jeunes. Dès son accession à la Primature de la République autonome du Congo, le 28 novembre 1958, l’Abbé Fulbert Youlou, transféra la capitale du Congo de Pointe-Noire à Brazzaville.

Depuis 1956, Brazzaville a été administrée par 20 maires congolais, dont 80 % ont été nommés et 20 % élus. Les maires élus sont des Députés-Maires. Parmi les Maires nommés, 20% sont des Maires-Délégués ou Maires centraux contre 60% d’Administrateurs-Maires ou technocrates.

Les Députés-Maires ont régné durant 14 années, cumulées de  politique de décentralisation (en 1956, entre 1979 et 1991), soit 24% d’expériences de municipalisation du Congo. Les Maires-Délégués ont régné 8 années cumulées durant les périodes de moyenne déconcentration (de 1956 à 1963, et en 1997), soit 14% d’expériences. Les Administrateurs-Maires ont régné durant 36 années cumulées pendant les périodes de forte déconcentration (de 1963 à 1979; de 1991 à 1994, et depuis 2003), soit 62% d’expériences.

La déconcentration totalise 76% d’expériences contre 24% de décentralisation. Cette dernière consiste à transférer des compétences administratives de l’État aux Collectivités locales distinctes de lui, sous la base de la libre administration, principe selon lequel les localités s’administrent librement par des Conseils élus et disposent du pouvoir réglementaire et de la personnalité juridique, conditions de leur autonomie organique et fonctionnelle. Ce principe fut fixé dès la loi n° 56-619 du 23 juin 1956, loi-cadre, instituant la « Communalisation », politique d’émancipation des cadres locaux dans la gestion des Communes françaises d’Outre-Mer.

Durant son règne à la Présidence du Congo, du 15 août 1960 au 15 août 1963, l’Abbé Fulbert Youlou, premier Congolais Députe-Maire de Brazzaville (en 1956), choisira la déconcentration. Cette politique consiste à implanter dans les Collectivités, des autorités administratives représentant l’État central sans transferts de compétences. Elle repose sur le principe de subsidiarité, d’après lequel, il n’est pas pertinent de décider au niveau le plus élevé de ce qui peut l'être avec plus d'efficacité au niveau le plus bas. La subsidiarité peut être ascendante ou descendante. La première forme se manifeste quand l'échelon inférieur (la Collectivité) décide devant l’échelon supérieur (l’État). La Municipalité jouissant alors d’une forte autonomie financière est gérée par des Maires-Délégués. C’est la moyenne déconcentration. En revanche, la deuxième forme se produit, lorsque l'échelon supérieur (l’État) décide devant l’échelon inférieur (la Collectivité). La Municipalité jouissant d’une faible autonomie financière, est alors gérée par des Administrateurs-Maires. C’est la forte déconcentration.

Mais la Constitution du 15 mars 1992 rétablit le principe de libre administration des Collectivités. Le Préfet représente alors l’État dans les Collectivités de plein exercice (décentralisation) : la région et la commune, et dans les Collectivités de moyen exercice (déconcentration) : le district et l’arrondissement pendant que la relance des villages-centres est sans succès. La loi n°3-2003 du 17 janvier 2003 organisant le territoire en 11 Départements, en 76 Sous-préfectures et en 6 Communes urbaines, confirme ce principe dont les applications renvoient plutôt à une forte déconcentration.

En effet, dès 2004, l’État lance la Municipalisation accélérée (MA), programme de gestion tournante des projets quinquennaux standardisés, couplé avec les festivités de l’indépendance nationales délocalisées. Une MA est définie entre l’État et le chef lieu du Département hôte, réunis en un Comité de suivi. La valeur totale des dotations financières est de 1.000 milliards de FCFA sur 9 ans. Les entreprises adjudicatrices sont à 42,20% européennes, 40,10% asiatiques contre 19,70% congolaises. Le budget de la MA de chaque Département est géré par l’État. Il échappe au contrôle du Comité de suivi, confirmant la règle de subsidiarité descendante qui génère, ici, des «éléphants blancs».

Les rapports de la Commission nationale de lutte contre la corruption, la concussion et la fraude de 2010 et 2013 ont relevé 265 marchés irréguliers de MA,  valant 83 milliards FCFA environ, dont 74,83% ont été décaissés sur des projets réalisés seulement à 43,67%. Sur 311 chantiers contrôlés par cette Commission, 28,94% sont achevés, 10,61% sont en cours d’exécution et 60,45% sont abandonnés ou inexistants. D’où, l’efficacité de la coordination des équipements de base et les Zones économiques spéciales devient problématique dans la maîtrise de la gouvernance territoriale.

Ainsi, relever le défi de l’efficacité de la gouvernance territoriale au Congo, nécessite l’affirmation réelle de la démocratie locale, de l’autonomie de gestion des Collectivités et l’adaptation des équipements de base aux projets économiques spécifiques à chaque municipalité à travers un contrat-plan entre l’État et le Département.

 

 

 

 

 

Par Emmanuel Okamba, Maître de Conférences HDR en Sciences de Ge

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Édition Quotidienne (DB)

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