Héritage de la traite négrière au Brésil et lieux de mémoire : Gorée, Ouidah et Loango

Lundi 23 Mars 2015 - 15:45

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Dimanche 22 Mars, un public nombreux est venu assister sur le Stand Livres et auteurs du Bassin du Congo à la table ronde évoquant la mémoire de l’esclavage. Autour de Lydie Pongault, directrice du musée-galerie Congo à Brazzaville et conseillère auprès de la présidence du Congo en charge de la culture, historiens, universitaires, écrivains, artistes africains et brésiliens ont évoqué cette douloureuse histoire entre évocation de la souffrance, main tendue et espoir pour l’avenir du continent.

Au cours de la table ronde, Lydie Pongault, directrice du musée-galerie Congo à Brazzaville et conseillère à la culture auprès de la présidence du Congo, a annoncé la tenue en Juin à Brazzaville d’un colloque international sur la Baie de Loango et la traite négrière dont le comité scientifique est composé de chercheurs français, cubains, venezueliens, colombiens, brésiliens etc. Le Professeur André Patient Bokiba a replacé les enjeux de ce colloque dans le contexte du discours politique européen et de la montée dans cette région du monde du « refus de la différence la plus élémentaire ».

Les historiens Elikia M’Bokolo et Jean Hébrard, le professeur André Patient Bokiba, les auteurs Florent Couao Zoti, Béatrice Tanaka, et Hamidou Sall, le photographe Jean-Dominique Burton, la Comtesse Emmanuelle Vidal Simoës de Fonseca, descendante du Maréchal Manuel Déodoro da Fonseca, premier président du Brésil, qui abolit l’esclavage dans ce pays sont intervenus tour à tour au cours de cette table ronde très riche sur l’héritage de la traite négrière au Brésil.

Jean Hébrard, spécialiste de la traite, a précisé que l’Afrique n’ignorait pas l’esclavage avant l’arrivée des européens mais qu’à partir du 16ème -17ème siècle, l’Europe a décidé de tirer profit de l’esclavage africain à son avantage pour mettre en valeur l’Amérique.  La traite  atlantique, ce commerce organisé et de grande ampleur reposant sur la déportation massive des africains vers les Amériques a duré du 15ème au 19ème siècle. Selon le Professeur Hébrard, des chercheurs ont réussi à estimer qu’environ 50% du Produit intérieur brut (PIB) français au 18ème siècle provenait du commerce du sucre produit à Saint Domingue. Ce commerce était au cœur de la richesse de l’empire colonial français et notamment des ports de Bordeaux, La Rochelle et de Nantes. 

A Gorée, rappelle Hamidou Sall, hollandais, français et anglais se battaient pour rafler le plus d’esclaves. Pour un africain déporté, 10 étaient tués si bien que  pour les 10 à 12 millions d’africains arrivés sur le nouveau continent, on peut estimer à 120 millions le nombre de morts. « Aucun continent n’a connu une telle saignée » assène Hamidou Sall, « à travers cette main d’œuvre gratuite et servile, l’élite physique de l’Afrique partait. On ne peut pas oublier cela. » Reprenant la formule de l’historien romain Pline l’ancien, évoquant cette Afrique d’où il provient toujours quelque chose de nouveau, Hamidou Sall a présenté « la main tendue à toutes les mains tendues du monde » de l’Afrique ce « continent qui a tant subi et tant donné ».

L’historien Jean Hébrard a expliqué comment le Brésil avait réorganisé la Traite par un lien direct Congo-Brésil. Pendant que le Nord de l’Amérique bénéficiait du commerce triangulaire (Afrique-Europe-Amérique), le Brésil, dernier pays à avoir aboli l’esclavage en 1888,  avait inventé une traite directe  et produisait lui-même les biens nécessaires à l’échange avec les esclaves en Afrique. Lorsque la traite fut interdite dans l’hémisphère nord, le Bassin du Congo devint la première source d’extraction d’esclaves brésiliens. Les esclaves Kongo furent également acheminés vers Cuba, Saint Domingue  et le sud des Etats-Unis par des trafics illégaux.

Pour les Professeurs André Patient Bokiba et Elikia M’Bokolo on retrouve ainsi des traces multiples de cet héritage dans la culture brésilienne : on peut encore retrouver des traces à Salvador de Bahia du Proto-kikongo d’il y a 400 ans, le portugais du Brésil est riche d’occurrences de mots africains, le pays célèbre au mois de Novembre Zumbi, un esclave provenant d’Afrique centrale, qui prit les armes pour fonder la république de Palmares.

Lydie Pongault, directrice du musée-galerie Congo à Brazzaville et conseillère à la culture auprès de la présidence du Congo,  a également pu rencontrer à l’occasion de l’accueil de l’exposition Kiebe-Kiebe à Salvador de Bahia des membres des associations les Bantous du Brésil et les Fils du Congo. Jean-Dominique Burton a évoqué les liens entre vodou du Bénin et candomble brésilien.

Pour Elikia M’Bokolo le pays revendique de plus en plus son africanité également au travers de l’éducation : le pays finance une adaptation en livre scolaires destinés à l’enseignement primaire de l’Histoire générale de l’Afrique, cette somme magistrale constituée par l’UNESCO.

Le mouvement de retour du Brésil vers l’Afrique a également eu lieu. Jean Hébrard raconte qu’à l’issue de la «Révolte des malais » de 1835, d’anciens esclaves sont repartis en Afrique. Cette communauté des Agudas dont l’écrivain Florent Couao-Zotti, auteur des Fantômes du Brésil, est un descendant, se sont installés au Bénin où ils prospérèrent en trafiquant les esclaves. Florent Couao-Zotti témoigne d’une communauté fermée, vivant une vision idéalisée de sa culture et de sa civilisation.

La Comtesse Emmanuelle Vidal Simoës de Fonseca, incarne par son histoire personnelle ce lien toujours vivant entre l’Afrique et le Brésil. Descendante du premier président du Brésil, fille du grand acteur sénégalais Douta Seck, épouse d’un membre de la famille Mobutu, elle a livré un témoignage lumineux et plein d’espoir.  « L’avenir de l’Afrique, c’est nous les métis ! » a-t’elle lancé à l’auditoire présent sur le Stand Livres et auteurs du Bassin du Congo.

Pour clore la table ronde le conteur Gabriel Kinsa a fait sonner la trompe et déclamé un poème en hommage aux défunts victimes de l’esclavage.

Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Un débat de mémoire autour de Lydie Pongault et du professeur Bokiba, entre autres, dimanche après-midi (@ Bedel Mango)