Immigration : des milliers d'africains pris au piège de la situation en Libye

Lundi 25 Août 2014 - 19:01

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Ni expulsables, ni intégrables dans un pays où la guerre fait rage, les originaires d’Afrique sub-saharienne connaissent un pire indicible en Libye

Ils sont arrivés en Libye de toutes parts avec l’espoir unique de monter à bord d’un quelconque rafiot prenant la mer vers les côtes européennes. Espagne ou Italie, peu importe, l’essentiel pour ces dizaines de milliers de femmes, d’hommes et même d’enfants originaires d’Afrique au sud du Sahara est de poser pied sur le sol européen. Quitte à envisager ensuite de pousser plus loin, vers des pays plus cléments, et y demander l’asile politique éventuellement.

Ils proviennent d’Erythrée, de Somalie mais aussi de pays qui ont aujourd’hui retrouvé la paix comme la Côte d’Ivoire et le Mali, ou qui n’ont jamais connu de guerre civile comme le Burkina Faso ou le Sénégal. Tous errent le long des côtes libyennes, en quête d’une première occasion pour quitter ce pays qui sombre, lui aussi, dans les violences intercommunautaires. La Libye de Mouammar Kadhafi avait été un pays où ces Africains pouvaient au moins trouver quelque occupation mal rémunérées, voire pas du tout, dans quelque ferme.

Aujourd’hui, même trouver à se loger sous une baraque est devenu impossible et aller à la recherche du travail dangereux. Les migrants africains sont pris au piège d’un double désespoir : ils ne peuvent plus repartir d’où ils proviennent faute d’argent et parfois même de papiers plausibles ; mais ils ne peuvent pas gagner l’Europe ni aller plus loin non plus pour les mêmes raisons. La traversée d’un clandestin par bateau sur la Méditerranée coûterait jusqu’à 5000 euros (plus de 3 millions de francs CFA) pour ceux qui ont réussi à ne pas se faire tout ravir par les garde-frontières ou à survivre aux violences.

Mais même pour eux, cela n’est pas la garantie d’une fin des problèmes. Depuis samedi dernier, plus de 30 corps de clandestins ont été repêchés par des marins en Mer Méditerranée. L’opération italienne Mare Nostrum annonce de son côté avoir découvert dimanche 18 corps à bord d’un canot à la dérive près de l’ile de Lampedusa. Dans le même rafiot en panne et manquant d’eau et de nourriture, quelque 73 survivants étaient entassés en attente d’une mort certaine en cette saison de fortes chaleurs dans la péninsule. D’ailleurs, quand l’hélicoptère des secouristes a aperçu le canot, il était en train de couler : les survivants ont eu de la chance même s’il est à peu près sûr qu’ils seront rapatriés vers la Libye, leur pays de départ.

L’Italie est excédée. Ses centres de transit sont débordés. Les clandestins arrivent par vagues entières et même s’il faut les expulser, la règle veut que leurs dossiers soient examinés. Dans presque toutes les provinces, des migrants sont hébergés dans des casernes désaffectées, des écoles vides pour ce temps des vacances, des centres publics ou privés et le pays n’en peut plus. « Ou bien la question de l'immigration est prise en main par l'Europe ou bien l'Italie prendra ses propres décisions », a menacé dimanche le ministre italien de l’Intérieur, Angelino Alfano.

Ceux qui arrivent sont porteurs de traumatismes divers. Vendredi encore, quelque 170 migrants venus d’Afrique noire avaient sombré corps et biens pas loin des côtes libyennes. Le HCR, le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés, indique que plus de 100.000 personnes ont débarqué en Italie par la mer depuis le début de l'année. De son côté, l’agence Habeshia qui s’occupe surtout des Erythréens, appelle le monde à venir en aide aux désespérés en Libye.

« Il faut trouver une solution aux milliers de réfugiés pris au piège de la guerre en Libye », plaide l’abbé Mussie Zerai qui dirige cette organisation. Pour lui, il faut un véritable « plan d’évacuation ; protéger les réfugiés de leur implication forcée dans la guerre libyenne ; les tirer des griffes des trafiquants, des abus et des violences ». Le père Zerai dit qu’il n’en peut plus de recevoir chaque jour les coups de téléphone de personnes apeurées ou de trouver aux portes de sa paroisse des désespérés blessés au cœur et à l’âme.

Lucien Mpama