Immigration : l’Italie exaspérée par l’égoïsme des Européens

Mercredi 17 Juin 2015 - 19:30

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Des dizaines de migrants sont bloqués à la frontière entre la France et l’Italie ; des centaines d’autres continuent de débarquer en Sicile.

Le monde semble l’avoir oublié : quelque 700 cadavres de migrants coincés dans les cales d’un bateau ayant sombré le 19 avril dernier au large des côtes siciliennes, gisent toujours par plus de 30 mètres de fond. Problème politique, urgence humanitaire, obligation morale : la question de leur éventuelle remontée pour la sépulture ne pouvait pas ne pas faire les frais de la surchauffe actuelle dans les opinions. Surtout en Italie et en France. Les deux pays sont dans une guerre de mots autour de dizaines de migrants bloqués côté italien à Vintimille, parce que la France ne les laisse pas traverser son territoire pour gagner d’autres nations européennes.

L’Italie est exsangue. Ses centres d’accueil sont débordés dans toutes les provinces. Le beau temps a de nouveau favorisé les départs en masse des migrants à travers la Méditerranée. Le pays a beau n’être qu’une étape sur leur route, il faut faire face. Ceux des migrants interrogés disent provenir du Soudan, mais surtout d’Erythrée et bien entendu de Syrie, un  pays en guerre. Tous disent vouloir gagner l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou des pays nordiques comme la Suède ou la Norvège. Mais en Europe du Sud, les principes et les règles, nouveaux ou non, sont enterrés à peine rappelés. Il n’est déjà plus question d’une répartition équitable de ce fardeau entre les 28 pays de l’Union européenne.

La France, qui n’était déjà pas favorable à cette mesure, avance qu’elle ne peut accepter – en transit – les migrants venant d’Italie que si Rome opère d’abord le travail de tri entre migrants éligibles aux critères de réfugiés et les autres. Travail titanesque ! Il n’est même plus question de partir saboter en Libye, pays de partance de ces flux, des bateaux des trafiquants (comment les distinguer ?), ni d’installer dans les pays du pourtour méditerranéen des guichets « d’écrémage » du HCR, le Haut-commissariat de l’Onu pour les réfugiés. Même la mission, en principe de surveillance, de l’opération européenne Triton en Méditerranée suscite plus de scepticisme que d’encouragements. Ses résultats sont jugés maigres par rapport à l’opération Mare Nostrum qui l’a précédée, et que l’Italie a soutenue seule.

Du point de vue italien, tout ceci ramène la question à ce qu’elle était il y a six mois, un an ou dix ans. Elle est laissée seule, sinon avec des aides européennes limitées, face à ce problème. Leaders populistes et partis xénophobes en profitent pour accuser le gouvernement de Rome d’incapacité. M. Matteo Renzi, qui n’en veut plus des seules proclamations véhémentes non suivies d’actes concrets est exaspéré. « Chers amis européens, même si sur un plan juridique vous avez raison, vous semble-t-il normal que face à cette urgence, provoquée par l’intervention en Libye, l’Italie soit laissée seule ? Sommes-nous une communauté ou un club de gens qui s’occupent chacun de ses seules affaires ? », a lancé M. Renzi mardi soir lors d’une émission de télé très suivie.

Le Premier ministre décoche une flèche au curare en direction des pays qui ont conduit la guerre en Libye, France et Grande-Bretagne en particulier, et qui donnent l’impression aujourd’hui de se laver les mains. Pour lui, la question des répartitions du nombre de réfugiés entre les pays de l’Union européenne serait un pas dans la bonne direction. « 24.000 réfugiés à éparpiller dans 28 pays  ne représentent pas une question impossible à résoudre. Il faut de la volonté politique pour rapatrier ceux qui ne répondraient pas aux critères de réfugié. Mais il faut surtout le courage d’investir en Afrique », a estimé M. Matteo Renzi.

Dans l’Eglise catholique, une voix acérée s’est élevée : « aujourd’hui, accueillir les immigrés est une question de simple justice, une sorte d’indemnisation pour les graves dommages que nous avons causés à leurs pays, pour les vols que nous y avons opérés durant des siècles ». Paroles choc d’un membre de la conférence des évêques italiens, dont le prénom semble prédestiné pour les plaidoyers. Pour Mgr Nunzio Galantino (Nunzio = Nonce, ambassadeur du Vatican), l’Europe et l’Occident doivent avoir honte : « nous sommes allés chez ces peuples seulement pour piller, exploiter et coloniser ». Et de donner comme exemple à son assertion… la colonisation belge au Congo !

Langage qui n’a pas de grande chance d’être entendu. Face à un immigré débarquant sur une côte de Sicile, de Grèce ou de Malte qui se préoccuperait de savoir les tortueux chemins historiques qui ont conduit un jeune désespéré de Kayes, au Mali, à rechercher sa réalisation personnelle de préférence comme balayeur à Paris que comme cultivateur au Mali ! Un Guinéen d’une cinquantaine d’années a été retrouvé mort mercredi matin dans un centre d’accueil de Rome. Les causes du décès sont inconnues. Un mort de plus sur une longue liste de catastrophes dont on ne peut pas dire qu’elle s’arrêtera bientôt.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé dimanche avoir découvert une trentaine de corps de migrants dans le désert nigérien. L’organisation s’émeut que les moyens de surveillance portés en mer n’existent pas aussi dans le vaste désert du Sahara. Ces migrants faisaient partie d’un groupe voulant gagner la Libye, et qui a été pris dans une tempête de sable qui a fini par désorienter les migrants ensuite morts de soif. Un organe de presse nigérien a écrit : « l’OIM estime que les victimes provenaient du Niger, du Mali, de la Côte d'Ivoire, du Sénégal, de la République Centrafricaine, du Liberia, de Guinée et d’Algérie ». En somme, un kaléidoscope de l’Afrique dans sa variété de situation et d’ethnies !

Lucien Mpama

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