« Initiés, Bassin du Congo », la nouvelle exposition du musée Dapper à Paris

Mercredi 9 Octobre 2013 - 19:15

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Une exposition exceptionnelle ouvre ses portes au musée Dapper ce 9 octobre avec la présentation d’un ensemble d’œuvres (masques, statuettes, parures, insignes de dignité…) qui jettent un éclairage unique sur les pratiques initiatiques de la région du Bassin du Congo

Ce qui donne à cette exposition son caractère exceptionnel, c’est la présence de nombreux objets prêtés par le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (Belgique). Fermé pour une longue période de rénovation, le musée belge a accepté de confier certains de ses trésors au musée Dapper, ce qui nous vaut aujourd’hui de découvrir des splendeurs peu connues du grand public. À celles-ci, s’ajoutent des pièces majeures du musée Dapper ainsi que d’autres, issues de collections publiques et privées européennes. Par son approche, claire et didactique, et par la diversité des pièces présentées, l’exposition Initiés du Congo permet d’approcher et de mieux comprendre ce qu’étaient les rituels d’initiation.

Ces pratiques traditionnelles couvraient un champ très large, qui ne se résumait pas au rituel de passage des adolescents au statut d’adultes. Il existait d’autres rites initiatiques, très variés et propres à chaque communauté. Ils permettaient à ceux qui en faisaient la demande d’acquérir des connaissances thérapeutiques, politiques, religieuses ou ésotériques, et, ainsi, de monter progressivement les échelons dans les nombreuses associations secrètes présentes dans le Bassin du Congo. Dans le premier cas, le rite initiatique, obligatoire, préparait le jeune à sa vie au sein de la communauté, et notamment à la vie maritale. Les seconds, sur la base du volontariat, avaient deux fonctions : parfaire un savoir et développer une emprise sur ceux qui n’étaient pas initiés ; prouver que ce passage s’était bien produit et que la supériorité était bien acquise. Qu’il soit obligatoire et imposé, ou volontaire et procédant d’un choix, le rite initiatique était considéré comme une mise à mort symbolique de la personne antérieure, suivie de la renaissance d’un être nouveau, conforme aux besoins de la société. Ce passage ne pouvait se faire sans une forme de souffrance, matérialisée par des épreuves, des privations et des humiliations : les corps et les esprits étaient marqués à jamais, y compris par des traces laissées dans la chair.

Ces deux formes d’initiations mobilisaient un nombre important d’objets – masques, statuettes, instruments de musiques, insignes et parures – visibles tout au long du parcours de l’exposition. Les masques restent les instruments privilégiés de l’initiation mais les parures (pendentifs, colliers, bracelets, brassards, coiffures et peignes) ne sont pas en reste avec d’admirables exemples mis en avant par le musée Dapper. L’exposition présente également nombre de statuettes, comme ce tambourinaire nkanu (photo) qui ornait l’enclos initiatique où se pratiquaient les rituels, ou des bijoux, dont un étonnant « disque du silence » que les jeunes garçons portaient devant la bouche pour ne pas divulguer les secrets qui leur avaient été enseignés.

Deux questions à Anne-Marie Bouttiaux, conservateur en chef de la section d’ethnographie du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (Belgique)

Qu’en est-il aujourd’hui de l’initiation ?

Aujourd’hui, la plupart des rituels d’initiation du Bassin du Congo, et plus particulièrement de la RDC, ont disparu. Certains perdurent sans doute dans quelques villages mais nous n’avons que peu d’informations à ce sujet, les recherches anthropologiques étant de plus en plus rares dans ces régions. Mais je dois préciser qu’il existe une exception. En effet, les Pende ont maintenu le rituel de passage des adolescents à l’âge adulte, selon des modalités qui ont certes changé. Ils considèrent que ce rituel permet notamment d’offrir une structure et des repères aux jeunes dans une société où le système éducatif est souvent défaillant.

Quelles sont les raisons de cette quasi-disparition ?

Ces raisons sont plurielles, la plus importante étant sans doute l’instabilité politique de ces régions, très secouées par des conflits meurtriers. Le changement opéré au sein de ces sociétés joue également un rôle dans cette désaffection. En effet, il ne faut pas imaginer qu’elles sont figées dans une sorte de vide temporel. Au contraire. Elles ne cessent de changer et connaissent une forme de modernité au sein de laquelle les rites initiatiques, qui demandent un grand investissement matériel et de temps, sont de plus en plus difficiles à pratiquer.

Béatrice Jaulin

Légendes et crédits photo : 

Statuette Kongo/Vili, Congo. Bois, résine, métal et pigments. H. : 17,2 cm. Collectée par Edmond Dartevelle. Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren. Ce couple appartient au lemba, une institution kongo apparue au XVIIe siècle et active jusque vers 1930. La condition requise pour entrer dans cette institution était d’être malade. Le patient pouvait alors suivre l’initiation, être guéri et acquérir lui-même les connaissances d’un thérapeute. Mais il ne pouvait le faire qu’en compagnie de sa première épouse afin d’être promu avec elle au rang de guérisseur. (© Adiac)