Intempéries : les Congolais redoutent-ils la prochaine saison des pluies ?

Samedi 7 Septembre 2013 - 9:02

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La question posée ici résume les conversations des citoyens de Brazzaville et de Pointe-Noire, pour ne citer que ces deux grandes viIles du Congo, éternellement menacées par les intempéries. Mais au regard des précautions prises dans les quartiers les plus exposés, il est permis d’affirmer que les prochaines pluies entretiennent bel et bien la peur chez nombre de Congolais qui, dans ce domaine, ne savent pas à qui s’en remettre. Constat

Depuis quelques années, l’arrivée des pluies ne suscite plus la joie comme il y a vingt ou trente ans. En effet, à l’époque, la pluie était synonyme de bonheur en fonction du niveau et du mode de vie de chacun. Certains pour bénéficier d’une « eau pure  ou naturelle », celle-là même qui les a accompagnés durant leur vie, d’autres pour profiter des fruits et produits de saison. Bref, autres temps, autres réalités. Aujourd’hui, le tableau est tout autre : érosions, glissements de terrain, ensablements, inondations, etc., c’est ce que redoutent justement les Brazzavillois et les Ponténégrins. À propos, les deux récentes pluies ont annoncé la couleur des malheurs qui attendent les habitants de la ville.

Sur le terrain…

L’heure est maintenant à la prévention. Les uns s’empressent déjà d’assécher les mares naturelles qui se sont formées ces derniers jours. D’autres s’affairent à remblayer les lieux où se forgent à l’accoutumée des nids de poule. Cap sur le quartier de la Tanaf au sud-ouest de Brazzaville. En aval de la rivière Mfilou, ce petit ruisseau, qui prend sa source aux abords de l’aéroport, est devenu méconnaissable en cette fin de saison. Les récits des habitants ont tous l’allure d'anecdotes. Ici, on craint de revivre le spectacle d’il y a un an avec des gens portés au dos. Motif : de l’eau partout qui rendait la rue impraticable. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, nombreux sont les jeunes aux bras valides qui ont fait « fortune » sur les infortunés citoyens. 100 FCFA à l’aller et 100 FCFA au retour, tel était le prix à payer pour aller à dos d'homme d’un bout à l’autre de la rue.

Pendant la pluie manger devient difficile !

Un vieux papa témoigne sur fond d’inquiétude : « Quand il se remettra à pleuvoir ici comment faire s’il y a urgence pour se rendre à l’hôpital ? Les gens ont utilisé des brouettes comme solutions. Mais que ferons-nous quand les eaux redoubleront de fureur ? Même si nous avons un peu de répit, maintenant je sais que ça ne va pas durer ». Fataliste ? Un peu.  Car une autre habitante, Rachel Boukono, explique que pendant la période des pluies intenses, même manger devient impossible. « Comment faire du feu pour préparer la nourriture ou bouillir de l’eau ? Quelle voie emprunter pour aller au marché même le plus proche et acheter de quoi nourrir la famille ? La vie s’arrête pendant quelques jours. C’est en prévision de cela que j’ai commencé aujourd’hui à débroussailler un recoin de la rue pour une activité lucrative. »

Le pont de Mikalou : un ralentisseur naturel

Les populations vivant entre les quartiers dits de la Ferme et Massengo espéraient voir les autorités municipales couvrir les trous qui se sont formés au milieu du pont de la rivière Mikalou. À quelques jours du début des pluies, aucun engin n’est visible aux alentours signalant la moindre activité. Pendant ce temps, les trous continuent de prendre de l’ampleur, accentuant ainsi le phénomène d’embouteillage sur ce tronçon.

La nature ayant horreur du vide, les jeunes profitent de monnayer leurs forces et leur temps en y jetant de la pierre pour aplanir la surface et permettre une meilleure circulation. Juste pour un temps ! Devant l’indifférence, disons plutôt l’impuissance de la mairie, les riverains s’activent, chacun selon ses moyens. Une digue de fortune ici, un pont en planches molles là, une reconstruction de maison plus loin (à côté du pont), l’idée étant de préserver le morceau de terrain acquis. Le jeu est clair : il repose sur le partage de l’espace. « Cette personne est intelligente. Comme il a l’argent, il a contruit une maison à étages. Comme ça, l’eau peut envahir en bas et il vit en haut », commente un jeune docker qui prête ses muscles aux femmes vendeuses du marché qui vient de  se créer juste à près ce pont.

La rue Luanda : un puissant collecteur

Outre la rivière Mikalou, qui peut sortir de son lit et envahir le pont, celui-ci subit depuis quelques années le poids de tout ce que lui envoie la rue Luanda, située à quelque cent cinquante mètres. Cette rue n’est pas la même si sa position géographique cristallise tous les efforts et les attentions des populations. En effet, l’urbanisation a vite fait de peupler la zone sans que des précautions spéciales n’aient été prises pour canaliser les eaux qui dans leur passage ramassent tout. En mars dernier, considéré comme la petite saison de pluies, véhicules, habitats et commerces ont été engloutis sous le sable. Alors que ceux d’en bas craignent l’ensablement, ceux d’en haut appréhendent l’érosion et le glissement de terrains.

Zoom sur les marécages de la Tsiémé

En suivant la rivière Tsiémé dont la source a disparu, on arrive dans le quartier éponyme. En partant du pont, situé sur l’avenue qui porte le même nom, les populations affichent un stoïcisme qui cache mal leurs souffrances. Ici, il est difficile de retrouver une maison intacte. Toutes ont revu leur « architecture » au rythme des pluies qui se sont abattues. Image insoutenable : celle des hangars construits sur une surface faite d’immondices. Nul commentaire ne peut décrire le calvaire de ces habitants !

« Ville ekoti mayi » = « La ville sous les eaux ! »

Phénomène imprévisible avant, le centre-ville de la capitale n’échappe plus aux intempéries. Le boulevard Denis-Sassou-N’Guesso, entre le dépôt de Sclog et la gare, s’est lui aussi inscrit sur la liste des zones à problèmes. La pluie mémorable, qui avait transformé l’avenue en rivière, date de 2006-2007. Ce jour-là, les Brazzavillois étaient surpris de constater que « même la ville peut s’inonder ». Chacun est allé de son commentaire alors qu’un sujet étranger, abonné dans un restaurant situé dans la zone et qui y allait pour son petit déjeuner, s’est entendu dire : « Ville ekoti mayi » (traduction : la ville est sous les eaux). Depuis, chaque saison de pluie est redoutée pour les dégâts qu’elle peut causer ailleurs dans la capitale et ici au cœur de la ville.

Prier ou pleurer ?

Malgré toutes les sensibilisations aux changements climatiques, le Congolais reste sceptique et renvoie tous ses malheurs à Dieu quand il ne veut pas parler de « l’impuissance » des pouvoirs publics à trouver des solutions à ses problèmes. Résignés, ils s’adonnent à la prière, en implorant le ciel dans l’espoir de conjurer le sort. Complaisants et calculateurs, ils se cramponnent aux lieux quoi qu’il arrive, en déversant leur colère sur l’État à qui ils demandent réparation pour dommages subis à la suite des pluies diluviennes.

Au-delà de tout, la situation ne doit laisser personne indifférente car même si le constat ne nous a conduits que dans quelques zones, bien d’autres arrondissements de la ville sentent venir la menace. La solution existe pour sauver la ville et les vies.

Luce-Jennyfer Mianzoukouta

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Rachel Boukono débrouillant un petit coin de terre en prévision des prochaines pluies. (© DR) Photo 2 : Rue Énergie, un quartier de la Tanaf ensevelli par les eaux en saison des pluies. (© DR) Photo 3 : Terminus Mikalou, la boue fait des otages. (© DR) Photo 4 : Les eaux de la rivière Mfilou emportent même des habitations. (© DR)