Interview. Anatole Collinet Makosso : « Ecrire sur les violences et autres exactions dans le Pool nécessitent une retenue »

Lundi 11 Février 2019 - 13:45

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Pour Anatole Collinet Makosso, écrire un livre sur « Le génocide en droit à l'épreuve du génocide de l'émotion​ » constitue une réponse scientifique aux essais de Dominique Kounkou et Nsaku Kimbembe. L’auteur met en garde les intellectuels et les politiques contre l’usage de l’arme de l’émotion qu'il juge plus létale qu’une arme de guerre. Car, explique-t-il, l’instrumentalisation de l’émotion populaire est à l’origine des guerres sans fin que connaissent aujourd’hui la Libye, la Syrie, par exemple. Les Dépêches de Brazzaville reviennent sur la compréhension de cette initiative littéraire.

Anatole Collinet Makosso auteur du livre "Le génocide en droit à l'épreuve du génocide de l'émotion" paru chez l'HarmattanLes Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Un troisième ouvrage, le vôtre, sur le génocide des Laris, pour quel objectif ?

Anatole Collinet Makosso (A.C.M.) : L’objectif visé est de sortir la problématique sur les violences, au Congo en général et dans le département du Pool en particulier, de la surenchère démagogique, émotionnelle et politicienne dans laquelle les acteurs politiques ont tendance à l’enfermer. Nous voulons qu’on arrête désormais avec les raccourcis et allégations inutiles pour placer la problématique et élever le débat au niveau scientifique. Il faut, pour cela, convoquer les ethnologues pour qu’ils nous définissent la cartographie des ethnies du Congo de sorte que l’on comprenne les motivations susceptibles de conduire une ethnie à se dresser contre une autre. Il faut également convoquer les sociologues pour qu’ils étudient les caractéristiques des guerres dans notre pays de façon à en déduire la nature : s’agit-il de guerres ethniques, de guerres civiles, de guerres asymétriques, de guerres de libération, d’autodétermination, de lutte contre l’occupation ou de guerres paramilitaires ? Il faut aussi appeler les historiens pour qu’ils nous restituent les faits historiques de sorte que l’on comprenne mieux les causes lointaines de ces guerres et le rôle des acteurs. Il faut faire intervenir les psychologues pour étudier les déterminants psychoaffectifs qui conduisent à la haine et aux pulsions crisogènes. Ce n’est qu’après tout cela que le droit interviendra dans toute sa rigueur et dans toute sa froideur pour qualifier les faits et déterminer s’il y a bien eu génocide lari ou génocide tout court. Nous voulons engager une réflexion scientifique et pluridisciplinaire sur la problématique des violences dans le Pool et au-delà, en République du Congo et, pourquoi pas, en Afrique, le Congo, ne servant que de cas d’école.

L.D.B. : Vous admettez pourtant les violences et autres exactions dans le Pool, étant donné le nombre de victimes potentielles. Pourquoi ne peut-on pas qualifier ces crimes de génocide ?

A.C.M. : Depuis presque vingt ans, je travaille sur les questions liées aux crimes internationaux contre les humains ; entendons par là le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le crime d’agression, le terrorisme. Je remarque qu’il y a un fort risque de banalisation du crime de génocide du fait de la charge émotionnelle que dégagent les violences dans nos pays. De là, le mot génocide est utilisé pour qualifier tout acte de violence ayant entraîné d’importantes pertes en vies humaines. Comme le dit Yves Ternon, tous les groupes victimes de meurtres collectifs considèrent ce qu’ils ont connu comme un génocide alors que le génocide, considéré comme le crime le plus odieux que l’humanité ait connu, est une infraction que les juristes manient avec beaucoup de délicatesse. La vérité est que beaucoup de crimes de masse commis depuis le siècle dernier ne correspondent pas à la définition issue de la Convention de 1948. C’est, d’ailleurs, pour cette raison que le Tribunal militaire international de Nuremberg refusa de sanctionner, comme crimes de génocide, les actes des Nazis commis pendant la guerre malgré l’acte d’accusation du procureur qui avait engagé des poursuites pour génocide et crimes contre l’humanité. Et vous constaterez vous-même que, de toutes les affaires qui sont portées devant la Cour pénale internationale, aucune n’est qualifiée de génocide à l’exception de celle, non encore instruite, contre les autorités soudanaises et qui n’a que très peu de chances d’aboutir pour un tel chef d’accusation. C’est donc très maladroit pour l’intelligentsia congolaise de toujours qualifier de génocide les actes de violence que nous avons connus dans notre pays en cherchant à attirer l’attention de la communauté internationale sur ce chef.

L.D.B. : Si le « génocide des Laris » ne peut être établi en droit, quel aspect de la justice transitionnelle permettrait, selon vous, d’en finir avec ce que vous appelez « le génocide de l’émotion » ?

A.C.M. : Ce n’est pas parce que le génocide ne peut être retenu comme infraction que l’on va nier les violences et les atrocités que nous avons connues dans le Pool depuis 1993. Les actes de violences constatés sont caractéristiques d’infractions au sujet desquelles les responsables doivent répondre. C’est, d’ailleurs, pour cette raison que des poursuites sont souvent engagées contre les auteurs. Tel a été le cas du procès sur l’Affaire des disparus du beach de Brazzaville et des poursuites engagées contre ceux qui ont replongé le pays dans les violences au lendemain de l’élection présidentielle, alors que le pays était en paix. Cela dit, depuis un moment, du fait de l’omniprésence des crises en Afrique et particulièrement au Congo, il est envisagé des approches originales de leur dénouement, inspirées de la tradition africaine du dialogue que la culture francophone appelle « dynamique de la médiation traditionnelle ou endogène » et que les juristes ont formalisé sous le concept de « justice transitionnelle ». Appelé au Congo mbongui, oyoue, otwere ou arbre à palabre, le dialogue est une sorte d’assemblée, une dynamique de médiation et de réconciliation traditionnelle. Souvent peu visible, elle se situe au niveau des communautés de base et joue, dans chaque cas d’espèce, un rôle clé en se fondant sur les lois et sur la coutume. C’est ce qui se fait actuellement avec les plates-formes de dialogue et de concertation intra-communautaires dans le département du Pool avec l’aide des agences du système des Nations unies, notamment le Programme des Nations unies pour le développement. Le Congo a recouru à ces mécanismes en 1972 lors de la Conférence nationale, en 1992 lors de la Conférence nationale souveraine, ce qui avait permis de laver en famille le « linge sale » suite aux violences qui ont émaillé la période marxiste du Parti unique avec les assassinats de plusieurs personnalités en 1963, en 1965, en 1972, en 1977 et en 1987. C’est également ce qui a été fait en 2001 et qui se fait actuellement, au nom de la paix, avec la levée des poursuites contre Ntoumi et tous ceux qui sont impliqués dans les violences de ces deux dernières années dans le Pool.

L.D.B. : Que répondez-vous à vos détracteurs qui vous reprochent d’être le messager du gouvernement avec une rhétorique exprimant la seule voix contestataire  qui réfute la thèse du génocide ?

A.C.M. : Je n’écris pas principalement pour mes congénères ou forcément pour mes compatriotes, qu’ils soient admirateurs ou détracteurs. Le livre est intemporel et universel. J’écris pour les lecteurs anonymes qui ne collent pas mes écrits à mon faciès ni à ma position. J’écris pour celui qui lira le livre dans quinze ou vingt ans ou celui qui peut faire des recherches sur la situation du Congo, à l’ONU, à l’Union africaine ou dans un organisme international, à la Cour pénale internationale, au Centre africain de lutte contre le terrorisme, à l’université, etc. Celui-là n’a aucun problème particulier avec l’auteur ; il voudra juste croiser les informations qu’il détient au travers des différents témoignages ou ouvrages à sa portée. Personne ne viendra lui dire si l’auteur a écrit pour se faire valoir, pour défendre un régime, pour exprimer une ambition ou pour faire avancer la science. Seuls, devant lui, les livres et l’argumentaire développé qui s’y rapporte. Je n’ai donc pas besoin de répondre à ceux qui me prêtent leurs propres intentions.

S’agissant de mes compatriotes, le seul intérêt que je peux rechercher présentement consiste à vivifier la mémoire collective afin que notre jeunesse sorte de la doxa, c’est-à-dire de cette sorte d’agrégats de croyances non vérifiées, d’apparences mouvantes et trompeuses mais, largement partagées et imposées à la communauté qui finit par les considérer véridiques. Je veux, à la place, que notre jeunesse emprunte la voie de l’épistémè, celle de l’univers des idées, de la vérité démontrée par des arguments scientifiques.

L.D.B. : Pour l’instant, la polémique de qualification se situe au niveau des oeuvres. Redoutez-vous une requalification des faits auprès des instances internationales ?

A.C.M. : Pourquoi aurait-on peur ou honte de qualifier les actes des rebelles de terrorisme ou de guérilla, et ceux des autorités gouvernementales de lutte contre le terrorisme ou de lutte contre la guérilla ? Quel pays au monde resterait indifférent ou inactif face à une guérilla, par exemple ? Celle-ci désignant des combats réalisés par de petits groupes menant une guerre de harcèlement, avec pour objectif de renverser une autorité en place en la déstabilisant par des confrontations de longue durée contre une armée régulière, par des embuscades et des actes de sabotage, tout en se servant de la population comme bouclier humain.

L.D.B. : Quel est le statut de votre livre ?

A.C.M. : C’est un essai puisqu’il s’agit d’une œuvre de réflexion, exposant des opinions pour exprimer un point de vue personnel sur un sujet, en me fondant sur des éléments scientifiques et objectivement vérifiables.

L.D.B. : Un essai qui consacre une dizaine de pages à démontrer si le lari est une langue ou une ethnie. Comment lire et comprendre cette démonstration ?

A.C.M. : J’ai juste voulu comprendre la logique des tenants de la thèse du génocide lari. J’ai trouvé qu’ils ne nous ont pas édifiés sur l’ethnie lari qu’ils ont pourtant placée au cœur de leur problématique. Nous avons toujours grandi avec l’idée que le lari est d’abord et avant tout une langue commune d'une partie de la population ressortissante du département du Pool et englobant les Nsundi, les Tékés, les Kongos, les Ba hangala et les Balali. Nos compatriotes Nsaku Kimbembe et Dominique Kounkou sont arrivés à nous dire que les Laris sont une ethnie à part qui n’a rien à voir avec les autres ethnies susmentionnées. Nous n’apprécions pas cette façon d’opposer des frères qui vivent ensemble depuis des années car, à vouloir opposer les « Laris » à leurs frères du groupe et de l’ethnie kongo, ils font courir un grand risque de division entre les ressortissants des localités de Mindouli (généralement des Ba Hangala et des Ba sundji), de Kindamba (pour la plupart des Ba-sundji et des Batékés), de Kinkala (composé essentiellement des Ba-Lali et des Ba-Kongo), de Boko, de Louingui et de Loumo (pour la plupart des Ba kongo et des Ba sundji), etc., et tous issus des ancêtres Nsaku, Mpanzu, Nzinga. Nous avons vu dans leur démarche une simple incitation à la haine ethnique et une instrumentalisation de l’émotion populaire. Pour arrêter tout cela, nous avons préféré suggérer que l’on redonne la parole aux spécialistes de ces questions pour que notre histoire ne soit pas falsifiée.

L.D.B. : L'essai de Dominique Kounkou a été censuré au Congo. Comment expliquez-vous cette interdiction ?

A.C.M. : Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une censure. A mon humble avis, la décision des autorités congolaises s’explique par la mise en œuvre de l'article 13 de la Constitution du 25 octobre 2015 et de la Charte de l’unité nationale adoptée à a Conférence nationale souveraine. En publiant un ouvrage de nature à dresser une ethnie contre une autre ou contre les autres, les auteurs commettent une incitation à la haine ethnique qui constitue, aux termes de l’article 13 de la Constitution, un crime puni par la loi surtout que, comme nous le savons, les guerres civiles et ethniques prennent souvent naissance à partir de la manipulation des ethnies par les acteurs politiques.

L.D.B. : Consentez-vous à débattre sur ce sujet avec les deux autres auteurs des essais précédents porteurs de deux stratégies argumentatives contradictoires ?

A.C.M. : En tant que partisan du dialogue et du débat contradictoire et en ma qualité de « juriste dans la cité », dont la vie est dominée par le service, l’engagement et l’action en droit et par le droit, je n’ai jamais eu de sujets tabous ni de milieux interdits. J’ai dit qu’il nous faut élever le débat au niveau scientifique. Dans cette optique, je me prêterai bien à un débat avec les tenants de la thèse sur le génocide lari. Je suis sûr qu’ensemble, nous tenterons de répondre à une question que je m’étais déjà posée et que j’avais déjà soumise à la réflexion de tous, à savoir : « Qu’est ce qui fait que nous avons toujours des violences dans cette partie du pays depuis la période pré-coloniale alors que nos familles sont pour la plupart multiethniques et vivent en parfaite harmonie dans les maisons et dans les quartiers, et que faire pour y mettre définitivement un terme ? ». J’ai foi en la plate-forme de dialogue intra-communautaire qui a lieu en ce moment et souhaite que cela soit enrichi tôt ou tard par une réflexion pluridisciplinaire, sous l’égide du Conseil national du dialogue, avec l’apport du Conseil consultatif des sages et notabilités traditionnelles.

Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma

Légendes et crédits photo : 

Photo : Anatole Collinet Makosso, auteur du livre "Le génocide en droit à l'épreuve du génocide de l'émotion", paru chez L'Harmattan

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