Interview. David-Minor Ilunga : « Je parle des sujets dont l’on ne devrait pas rire normalement »

Samedi 13 Avril 2019 - 13:03

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Comédien et dramaturge, David-Minor Ilunga ajoute cette précision dans cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa  : « J’écris des pièces de théâtre, mais c’est vraiment depuis 2007 que je suis entré dedans par le canal du Tarmac des auteurs, la structure dans laquelle je travaille maintenant. Je m’occupe du projet écriture et formation ». En tournée nationale avec sa pièce "Délestage", il en évoque les contours de création et nous apprend plus sur sa prometteuse carrière.

David Minor Ilunga dans un extrait de Délestage Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Sur quel projet travaillez-vous sur le moment ?

David-Minor Ilunga (D.-M.I.) : Je travaille sur "Délestage", ce n’est plus un projet mais la suite de la diffusion du spectacle qui a commencé depuis l’hiver 2017. "Délestage" est à la base une commande du Théâtre de poche de Bruxelles qu’a dirigé feu Roland Mahauden, je n’aime pas le dire comme cela, mais il faut que l’on s’y habitue. Il est mort en novembre dernier et était le metteur en scène du spectacle. Il voulait un texte, alors tout est parti de ce que l’on fait souvent au Tarmac, on écrit des textes qui sont par la suite proposés à des comités de lecture ponctuels. Il fallait ensuite déterminer qui va accompagner tel ou tel auteur ou tel ou tel autre projet. À la suite d’un premier projet du Tarmac, il a voulu que l’on en fasse un autre. Il avait en vue cette fois un qui remettrait en cause certains clichés Nord-Sud. Cela a fini par donner naissance à "Délestage", c’est, d’ailleurs, Roland qui a baptisé la pièce ainsi. Elle parle d’un immigré congolais qi se retrouve en situation irrégulière en Belgique en période de Coupe d’Europe et qui va se faire prendre par les flics, va passer un interrogatoire et ensuite être conduit dans un centre fermé où il va raconter toute son histoire à une avocate commise d’office. Et dedans, j’essaie de développer ce que j’appelle de l’humour congolais, un humour de la survie qui parle des réalités du Congo sous fond de celles qui se passent dans le monde, notamment le terrorisme. Nous avons joué la saison 2017-2018 au Théâtre de Poche et on l’a rejoué encore à travers la Belgique l’hiver 2018. Maintenant, il s’agit d’une tournée nationale du spectacle soutenue et financée par Wallonie-Bruxelles international (WBI).

L.C.K. : Peut-on savoir un peu plus sur la structure de ce spectacle, est-ce un monologue ?

D.-M. I. : Oui, c’est un monologue où je joue plusieurs personnages. Au départ, il a été écrit de la sorte. C’est cela la contrainte que m’avait imposée Roland Mahauden. J’avais écrit un premier monologue qui parlait des réalités du pays. Il voulait que j’en écrive un second. Et c’était très clair dès le départ : « Tu vas écrire un texte sur des réalités Nord-Sud mais c’est toi qui vas le jouer. Écris un texte pour toi, pour le jouer parce que je voudrais ta langue. Ta langue dans ta bouche et dans ton corps », m’avait-il dit. Dès lors, j’étais contraint d’écrire un monologue dans lequel j’allais jouer plusieurs personnages. Ce qui l’intéressait, c’était non seulement l’auteur, mais aussi le comédien. 

L.C.K. : Kinshasa ne semble pas vraiment connaître la pièce. À quand remonte la grande première de "Délestage" ?

D.-M. I. : La grande première mondiale avait eu lieu à Kinshasa. La primeur avait été accordée au CWB, suivie de la deuxième représentation au Tarmac des auteurs, puis nous avons joué à Kisangani. Nous sommes ensuite allés en Belgique vers novembre 2017 où nous avons retravaillé certaines choses avant de l’y rejouer mais aussi sur la scène de Paris, en mars 2018. Il y a encore quatre autres représentations à Kinshasa fin mars et le 12 avril dans le cadre de l’actuelle tournée nationale. Mais, peut-être qu’en novembre 2019, nous repartirons pour la Belgique.

L.C.K. : Pour cette tournée, s’agit-il d’une version différente de la grande première après que vous avez retravaillé le spectacle  ?David Minor Ilunga en pleine création

D.-M. I. : Non, c’est toujours la même. Le texte a été écrit de manière à ce que je puisse l’adapter en fonction du milieu où je le joue mais la pièce garde l’intrigue du départ. C’est une pièce de théâtre pas qu’une question d’humour, même si je fais beaucoup d’humour, un humour caustique. Je parle des sujets dont l’on ne devrait pas rire normalement et j’essaie d’en rire. 

L.C.K. : Quel est le but de cette tournée nationale, est-ce celui de mieux faire connaître le comédien ou de faire connaître "Délestage" ?

D.-M. I. : Une tournée nationale premièrement parce qu’elle part de moi. Je trouve que c’est toujours important d’avoir une reconnaissance des siens, de son milieu, où l’on est né, l'on a grandi, commencé son art, lorsqu’on est artiste. Il ne faut pas être déraciné. De manière assez simple, je pense que lorsqu’on réussit dans la vie, c’est d’abord avec sa famille que l’on a envie de la partager, ses amis et toute la société. C’était d’abord cela. Aussi, je me suis dit : peu importe que le projet porte sur les relations Nord-Sud, partager cette parole en Europe c’est bien mais beaucoup plus avec ceux du Congo. Surtout que, nous avons généralement du mal à diffuser nos créations à travers le pays pour que les gens entendent et consommer la culture, des spectacles que l’on pourrait juger bons pour eux. Oui, c’est important de se faire connaître davantage et quand c’est mon merveilleux public du Congo, c’est encore plus jouissif.

L.C.K. : Comment avez-vous vécu cette première expérience que vous a imposée Roland Mahauden ?

D.-M. I. : C’est le deuxième monologue que je joue et ce sont tous deux mes textes. C’est encore très frais pour moi comme expérience, de faire le one man show sur scène. J’ai toujours joué des duos ou des textes à plusieurs personnages avec plusieurs partenaires sur la scène. C’est à peine ma seconde expérience alors que moi, au départ, je voulais juste écrire des monologues car j’écrivais des textes à plusieurs personnages. Je me demandais ce que cela donnerait si j’écrivais un monologue, surtout que c’est le spectacle qui a le plus de chance d’être produit compte tenu des difficultés de création souvent éprouvées. J’ai écrit, mais c’est Roland qui, le premier, était de ceux qui tenaient à ce que je joue déjà dans le premier texte, "Amour bunker", mis en scène par Noël Kitenge. Aujourd’hui, je comprends qu’il voulait avoir un aperçu de cette langue-là dans mon corps. Je crois qu’il avait déjà une idée derrière la tête de ce que pourrait donner le projet que nous avons ensuite porté ensemble. Mais c’est encore très frais pour moi cette expérience d’être seul sur la scène. En tant que comédien, c’est tout de même depuis 2004 que je suis dans le théâtre, mais les expériences sont toujours différentes à chaque fois. Donc, je pense que quand je joue un monologue ou je joue tout simplement, j’ai besoin de puiser mon énergie du public. C’était quand même très dur pendant les répétitions parce que le metteur en scène veut que la chose soit parfaite de sorte que parfois, il ne s’attarde pas sur ce qui est bon. Lorsqu’on n’a pas de retour, l’on se sent un peu frustré. C’était donc un peu difficile pendant la création, mais en même temps, très instructif et jouissif parce que l’on partait de l’écriture du texte où l’on discutait à bâtons rompus, il donnait ses arguments, moi les miens. Pourquoi il me semblait important d’avoir telle ou telle autre parole. Je discutais aussi parce que c’est quand même du Congo, du citoyen ou de la citoyenne congolaise que je puisais ce que je qualifie d’humour congolais. C’est parti de ce pays avec ce que le Dr Mukwege fait à Panzi. Avant le documentaire de Thierry Michel sur son œuvre dans cet hôpital, j’ai suivi le film que Dabiang avait fait sur lui. J’ai assisté en live à une interview d’une femme violée faite par la réalisatrice. Elle racontait cette scène avec tellement d’humour mais sans faire exprès que j’en étais gêné, me demandant s’il me fallait rire ou compatir. Car, c’était tout de même dur ce qu’elle racontait. C’est ce qui a créé mon texte. Et, à chaque fois que je joue, il est important que je sente comment le public le perçoit, que ce soit violent ou non  : va-t-il rire ou ne pas rire ? Je ne sais pas toujours à quoi m’attendre. Depuis la création, cette expérience me touche particulièrement parce qu’elle parle d’une réalité qui, quand l’on y pense bien, ne fait pas rire du tout. Elle parle de ce pays et ne fait pas rire du tout. Donc, contrairement à ce qui se dégage sur la scène, on le vit toujours comme une sorte de catharsis aussi.  

L.C.K. : Après la grande première et toutes ces représentations qui ont suivi, qu’en est-il de votre propre ressenti ? Êtes-vous satisfait du résultat ?

D.-M. I. : Oui, à la première, j’étais soulagé mais c’est vraiment au bout de la dixième que je me suis dit : c’est bon ! J’ai joué pendant quatre semaines au Théâtre de poche et donc, les gens ont bien reçu le spectacle. Par la suite, l’on a constaté qu’il y avait un public de plus en plus Congolais et noir qui venait suivre et aimait le spectacle. Le message se transmettait de bouche à oreille et donc, je me suis dit que cette parole était entendue, que je devais me débrouiller pas mal vu qu’elle suscitait de l’intérêt. Même si les réactions n’étaient pas pareilles en fonction des milieux, néanmoins, l’écho a toujours été positif à la fin. Et, l’on peut dire que je le crois aussi parce que le spectacle était nominé dans deux catégories : « Meilleur auteur et Meilleur seul en scène ». Il a obtenu un prix, celui du « Meilleur seul en scène » aux Prix de la critique, théâtre, danse et cirque en Belgique pour la saison 2017-2018. Alors, je me dis que le spectacle est bien reçu, donc cela me va.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : David Minor Ilunga dans un extrait de "Délestage" Photo 2 : David Minor Ilunga en pleine création

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