Interview. Didier Claes : « Sindika Dokolo avait cet ego qui vous donne envie de bien faire les choses »

Mardi 17 Novembre 2020 - 17:30

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Depuis le décès, le 29 octobre dernier à Dubaï, de Sindika Dokolo, homme d’affaires congolais et collectionneur d’art, inhumé le 17 novembre à Londres, Didier Claes, célèbre marchand d’art belgo-congolais, qui était l'un de ses proches, a décidé de lui rendre hommage en publiant, une fois par jour et pendant quarante jours, une photo de différentes pièces de la riche collection qu'il réalisait.

Le Courrier de Kinshasa : En juillet 2020, vous avez lancé la plateforme « Young Collectors ». En quoi consiste-t-elle et pourquoi l’avoir lancée ?

Didier Claes : J’ai toujours eu en tête d’avoir une plateforme où je pourrais communiquer, grâce aux nouvelles possibilités qui s’offrent à nous, au-delà du site internet et des réseaux sociaux comme Facebook et Instagram. En outre, étant donné que, depuis longtemps, je prends part à des foires et à des expositions assez importantes, je me suis rendu compte qu’il existe une autre clientèle. Quand je dis « Young Collectors », je ne pense pas à l’âge, mais à tout collectionneur débutant, celui qui a envie de commencer à collectionner. Je me suis rendu compte que parfois une galerie d’art ou certaines grandes expositions ressemblent parfois à de grandes enseignes de luxe, dans lesquelles certaines personnes ont peur d’entrer. C’était aussi le revers de la médaille. J’ai donc remarqué qu’il y avait une clientèle « jeune », dans le sens expliqué qui ne franchissait pas le pas de la porte, autant dans les galeries que dans les foires. Pourtant, je propose à des collectionneurs et à des amateurs des objets de grande qualité à des prix plus abordables que les autres objets. J’ai ainsi voulu créer une facilité pour ces « jeunes » amateurs pour avoir un accès visuel à l’objet, aux explications sur l’objet et surtout aux prix des objets, affichés en toute transparence. Tout au long des années dans ce métier, j’ai constaté que beaucoup de personnes imaginent ou pensent faussement que les prix des objets sont souvent fixés à la tête du client.

L’autre objectif de la plateforme est d’atteindre une clientèle mondiale en un seul clic. L’initiative a évidement été mis à jour pendant le confinement, puisqu’on s’est rendu compte que c’était le seul moyen de rester en contact avec le monde extérieur. J’ai donc accéléré l’initiative à ce moment-là, même si j’avais cette idée depuis très longtemps.

LCK : Comment a été accueillie la plateforme ?

DC : je dois avouer que c’est un succès, d’abord dans le sens où pendant cette période de confinement, les gens ont pu avoir accès à ces objets. Ce n’est pas directement que l’on atteint de nouveaux clients, même si j’ai pu vendre à de nouvelles personnes. Mais, surtout, on reste en contact avec nos clients et avec le monde de l’art. Les gens apprécient, notamment aussi grâce aux objets que je montre en mémoire de Sindika Dokolo. Cela donne ainsi une bonne impression de ce métier, en montrant que l’on peut proposer des objets de grande qualité d’une grande galerie avec des prix justes. L’une des conditions que j’avais retenue était que les prix des objets que j’allais proposer soient situés entre 2 et 3 mille euros, ou avec un prix maximum de dix mille euros. Mais ce sont des objets de qualité. Ce sont des montants plus faciles à accepter et moins indécents dans un milieu de l’art africain où on reste encore très pudique quand il s’agit d’évoquer le prix d’un objet. Et, personnellement, je n’aime pas trop parler d’argent, car je trouve cela très indécent. Mais, au-delà de l’indécence d’avoir les prix affichés sur internet, l’expérience m’a appris que les premiers achats d’une œuvre d’art se font toujours à des prix abordables, entre 2000 et 3000 euros, même pour les gens qui ont des portefeuilles plus aisés. C’est un peu leur manière de pouvoir apprendre.

LCK : Vous avez parlé de Sindika Dokolo, d’heureuse mémoire. Quels étaient vos rapports avec ce dernier ?

DC : Je l’avais rencontré pour la première fois il y a 9 ans. Quand ont est un amateur d’art, comme il l’était et comme je le suis, quand on est vraiment de vrais passionnés, des fous de l’art, « ceux qui ne dorment pas », comme je l’avais écrit dans l’hommage que je lui ai rendu, et il y en a très peu, vous ne pouvez qu’avoir une relation particulière et privilégiée avec votre marchand d’art. Le collectionneur va chercher à approfondir ses connaissances, à en savoir davantage sur les objets et pas uniquement chercher à les acquérir. Vous allez donc passer du temps ensemble. C’était le cas avec Sindika Dokolo. Et évidemment quand vous passez beaucoup de temps avec quelqu’un, ne serait-ce que pour parler et que vous vous rencontrez, quand les opportunités le permettent, se crée une amitié. Sindika Dokolo est l’un des rares collectionneurs avec qui j’ai eu une relation forte dans ma vie. C’était la première fois pour moi que je rencontrais un collectionneur de ma génération et avec les mêmes origines que moi. Cela apporte une autre dimension à la relation. Quand on fait ce métier, on est ravi de voir quelqu’un du continent s’intéresser autant à l’art africain et il était un pionnier dans ce domaine. Et le fait qu’il m’ait choisi pour l’accompagner dans ce qui était son rêve, évidement ça crée des liens. Le collectionneur n’est absolument rien sans le marchand et vice versa. C’est un binôme, une sorte de couple. Aucun collectionneur, digne de ce nom, n’a pu rassembler une collection, sans être conseillé par un marchand. Et, il n’existe pas de marchand qui soit arrivé à être prospère, sans avoir la confiance d’un collectionneur.

LCK : Quels sont, par exemple, les projets que vous avez réalisés ensemble ?

DC : le premier projet était très simple. Sindika avait envie d’être le premier Africain à avoir une collection de qualité, digne ce nom, référencée et à faire pâlir les collections occidentales quand il la montrerait. Il ne voulait pas juste faire une quelconque collection, comme je vois certains le faire aujourd’hui. Parce que c’est un peu facile aujourd’hui de réaliser ce type de collection. Avec un bon marketing, 90% de gens n’y verront que du feu. Ces dernières années, j’ai effectué plusieurs voyages en Afrique et j’ai rencontré des collectionneurs africains qui pensaient avoir des collections importantes dont tout le monde parlait . Mais, en réalité, ce ne sont pas de grandes collections. Sindika était quelqu’un de très fier et avait cet égo qui vous donne envie de bien faire les choses. Si vous n’avez pas d’égo vous faites mal les choses. Et l’égo de Sindika était surdimensionné, et je le dis de manière positive. Et quand, il faisait quelque chose, il voulait que ça soit exceptionnel pour les Africains et pour les Occidentaux pour que ces derniers n’aient rien à redire. Par exemple, il n’aurait jamais supporté d’avoir une fausse pièce dans sa collection. C’est pour cela que nous avons réalisé un travail précieux, minutieux et de recherche de grands objets. Néanmoins, même si aucune collection n’a que des chefs-d’œuvre, sur la centaine d’objets que l’on a pu acquérir, tous les objets sont référencés et de qualité. Cette collection devait briller, non seulement sur le plan médiatique, mais aussi au niveau des critiques, des experts et des spécialistes du monde de l’art. Auparavant, dans les années 80 et 90, certains collectionneurs ont voulu faire la même chose, mais ils ne se sont pas adressés aux bonnes personnes, ont fait de mauvais choix, ont réalisé des collections pathétiques et ont été la risée des Occidentaux. C’est ce que Sindika Dokolo n’aurait pas supporté. Il voulait démontrer qu’un Africain pouvait faire mieux ou aussi bien qu’un occidental.

LCK : C’est pour cela que vous avez décidé de lui rendre hommage en publiant, tous les jours, une pièce de sa collection ?

DC : Exactement. Sans aucune prétention, je suis  connu pour être un des marchands les plus importants de la place. Le fait que je montre des photos  des objets de sa collection, tout le monde sait que je n’oserais jamais, ne serait-ce que pour ma propre réputation, présenter des choses auprès de toute la critique du marché de l’art, si ces objets étaient de moins bonne qualité ou des objets moyens. En le faisant, c’est une manière de montrer au monde entier que sa collection était de qualité et aussi une manière de montrer que je lui ai vendu de très bons objets, ou du moins conseillé parce que je ne lui ai pas vendu tous les objets. Il a aussi acheté chez d’autres galeristes, souvent à travers mes conseils. Je veux ainsi montrer que sa collection est exceptionnelle. Son décès m’a beaucoup choqué et c’est une manière aussi pour moi de faire mon deuil, selon nos coutumes africaines de 40 jours de deuil, notamment au Congo. Souvent, on se contente d’un hommage et, trois jours après, les gens pensent à autre chose. Je me suis dit que, pendant 40 jours, je ne vais rien poster sur mon actualité, mais poster des photos de la collection de Sindika Dokolo. Il y a beaucoup plus de pièces, mais je me limiterai à 40, car, à un moment donné, il faut faire son deuil.

 

LCK : Combien de pièces compte la collection et sont-elles toutes congolaises ?

DC : Collection compte entre 200 et 250 pièces. Sindika ne s’arrêtait pas seulement à acquérir des objets du Congo. Son objet phare qu’il considérait comme la pièce la plus importante de sa collection venait du Gabon. Il y des objets du Gabon, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire. Je lui ai même vendu des objets de l’Océanie. Il achetait des objets en provenance de partout. Pourquoi aujourd’hui, on ne devrait avoir au Congo que des objets du Congo ou encore au Gabon que des objets du Gabon ? A l’ère de la mondialisation, il faudrait avoir des musées multiculturels. Et c’était aussi cela l’idée de Sindika pour sa collection. Et en publiant ces photos, je suis agréablement de voir certaines personnes reconnaître des pièces originaires de leur pays. Finalement, la collection de Sindika Dokolo reflète ce qui devrait être un musée en Afrique, multiculturel, multiethnique, ouvert à toutes les cultures et à toutes les régions. Ça serait fabuleux que cette collection soit présentée un jour dans un grand musée.

LCK : Aujourd’hui, nous avons un grand musée moderne à Kinshasa, des pièces de Didier Claes y figurent-elles ou y figureront-elles à l’avenir ?

Le musée de Kinshasa, qui était dénommé auparavant « Institut des musées nationaux du Congo », est très riche et compte entre 40 et 60 mille objets. Malheureusement, je n’ai pas encore eu l’occasion de le visiter, mais j’ai vu beaucoup de photos. C’est un peu dommage par rapport à ce que j’ai vu et c’est paradoxal. Les objets qui sont montrés et que j’ai vus ne sont pas à l’image et au niveau des objets que possède le musée. Je ne sais pas qui a fait ce choix. C’est beaucoup plus une présentation ethnologique, que souvent les anthropologues mettent en avant, mais, il y a très peu de recherche et d’esthétisme des œuvres. Ce qui est vraiment dommage. Aujourd’hui, on aurait pu imaginer que des œuvres de la collection de Sindika Dokolo soient exposées par le musée et ainsi apporter un plus à l’exposition. Cela peut être un projet dans l’avenir, mais c’est une décision qui est de la responsabilité de sa famille. Quand le deuil sera fait, il se posera la question de l’avenir de cette collection.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photos 1 et 2 : Didier Claes en compagnie de Sindika Dokolo Photo 3 : Vue d'une oeuvre d'art de la collection de Sindika Dokolo

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