Interview. Djonimbo : « Mon style de musique, c'est le Lifutambaa Beat… »

Mardi 16 Juin 2020 - 16:33

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 Djonimbo, de son vrai nom Mbo Achilako, est un chanteur et guitariste peu connu et loin de l'orbite de la rumba congolaise moderne. Il a remporté le premier grand prix du Trophée Musique Zaire-Congo en 1991, et nominé Musician of the Year (médaille d'or) en 2003 à International Biographical Centre of Cambridge en Angleterre.  Aujourd’hui bénévole à l'Assistance aux Orphelins et Enfants sinistrés et dits sorciers, dirigé par l'abbé Jean Pierre Makamba, Djonimbo livre les arcanes de sa vie de musicien dans cet entretien exclusif au Courrier de Kinshasa.

LCK : Vous êtes dans l’art musical pratiquement plus de quatre décennies. Parlez-nous brièvement de votre parcours et carrière ?

Mbo Achilako : Destiné à chanter pour pérenniser l'œuvre de mes aïeux, me disait mon défunt père depuis l'enfance,  je suis issu de la lignée des oiseaux qui chantent et des juges traditionnels. Mon père fut sculpteur autodidacte et fin chanteur que je n'ai pu égaler. Il composait et était le directeur artistique de notre ballet traditionnel Batraba (Ballet traditionnel de Batende). Très tôt, j'ai été initié à la musique, la coutume et à la tradition du terroir. À 10 ans, j’ai intégré un chœur classique presbytérien, et plus tard avec un ami, nous avons créé « Planète Lolingo », un groupe des gamins, et je suis allé chanter, tour à tour, dans des orchestres Sim Sim Lipate du vieux Symbard, le meilleur saxophoniste de Jazz au Congo Kinshasa qui a joué avec le grand Manu Dibango et le grand Kallé Jeef. C'est à ses côtés que je suis entré en contact d'autres horizons musicaux à moins de 15 ans.

MA : Vous faites une musique assez particulière. Comment la définissez-vous ?

LCK : Mon style de musique, c'est le « Lifutambaa Beat » (Le rythme de la Cendre), la bio-ethno-musique contemporaine, d'une thématique éducative, et l'innovation des rythmes d'antan négligés, des sons et rites ancestraux bantous. C'est un mélange des sons, des bruits, crépitements harmonieux de la musique et des danses contemporaines des hommes et des femmes de forêt, du ruissellement des eaux, des chutes, des cascades, de la grande aire des vents de la forêt équatoriale par la RD-Congo d'où je suis originaire. J'use d'une guitare électro-acoustique aux cordes nylons accordée de façon atypique. L'intuition, l'émotion et la mélodie ont la primeur dans mon art.

LCK : En quoi cette musique se distingue-t-elle de la rumba congolaise moderne ?

MA : Les lignes mélodiques se diffèrent naturellement. Déjà, ma guitare ne fait pas ma chanson.  C'est une grâce d'en haut. Je suis authentique, je ne fais pas ce que les autres font tout en sachant que je ne suis pas différent d'eux, c'est une démarche artistique innée. Je suis Kinois et le groove kinois, ça me connaît… Mes collègues de l’époque, Jean Goubald Kalala, Shoming Bouboul Akwel en France, Ottis en Grèce, Mastaki, etc., des fondateurs du groupe Okwess, ainsi que mes aînés Manuaku Pépé Felly en Suisse, Manessi Baba en Australie en savent quelque chose.

LCK : Vos œuvres sont peu connues du public. Où se situe la difficulté ?

MA : La raison, c’est le manque de producteur, distributeur, éditeur, manager, tourneur, mécène. Nombreux sont ceux qui promettent et s'arrêtent à mi-chemin, d'autres me demandent de m’exiler en Europe. Grâce à la passion pour l’art d’Orphée, je continue d’œuvrer, avec rigueur et assiduité. Sinon, j'aurais déjà arrêté, je ne sais rien faire d'autre que d'écrire et de chanter.

LCK : On a ouï dire que vous êtes le compositeur de la chanson « BossoBikali » interprétée par feu King Kester Emeneya

MA : Oui. King Kester et Dido Yogo m'avaient sollicité pour que je leur cède l'interprétation de mes œuvres. Le premier pour le titre « Bosso Bikali » chantée dans ma langue maternelle, le Kitende, dans lequel j'ai immortalisé ma généalogie. Et le second, Dido Yogo, au début de ma carrière, pour la chanson « Si bonne si belle si compliquée la vie », qui du reste se chantait partout à la suite de la philosophie qu'elle distillait. et J'étais l'invité régulier de la télévision nationale à l'époque. A ma grande surprise, tous deux, King Kester Emeneya et Dido Yogo, m'ont exproprié sans respect des contrats signés devant mon avocat, ils agissaient en amateur... Paix à leurs âmes.

LCK : Comment l’inspiration de vos chansons vient-elle ?

MA : Je ne force pas la création d'une œuvre, j'ai appris à connaître mes périodes prolifiques. Les chansons me viennent pendant le sommeil, en marchant, tantôt dans ma solitude. C'est comme si j'entends les voix qui chantent ou qui me prononcent des paroles à l'oreille ou des sons de guitare qui raisonnent çà et là, et par moment quand je cause avec les gens. Il y a quelque chose qui coule dans mes veines comme quelqu'un qui entre en transe. Nombreux sont ceux qui me traitent de rêveur. Le quotidien et la pensée m'inspirent. Les muses, c'est ma famille et ceux qui m’approchent.

LCK : Un album en chantier ?

MA : L'album « Kala ! Lelo » est fini après deux ans de studio, ainsi que le clip annonciateur « Mortel Love ». D'autres clips sont en chantier. Les pourparlers avec des partenaires en Occident pour la sortie virtuelle (numérique) ou physique vont bon train. Je suis presque méconnaissable dans cet album, disons que le public ne connaît vraiment pas toute mon œuvre. Dans cet opus, j'ai repris la chanson « BossoBikali » avec une autre harmonisation, je l'ai recomposée et chantée, cette fois-ci, en lingala, une romance à écouter.

LCK : Des productions et prestations scéniques sont-elles prévues au pays et à l’étranger ?

MA : Ce qui se passe dans le monde a freiné tout ce qui a été prévu cette année par le consortium culturel FMC que dirige Mme Darling Yeda Makaya, manager interculturel. Sinon, je serais déjà en tournée dans le continent et en dehors de l'Afrique mère; d'autres propositions sont en attente.

LCK : Des featurings dans l’album ?

MA : Il y aura des featurings plutôt dans le prochain projet intitulé « La Graine », avec de chanteurs français et une jeune chanteuse française, ainsi qu’une chanteuse ponténegrine (Congo Brazzaville). Ce sera dans les titres « Nostalgie de l'impossible », « One Love Stand Up » et « Tu l'sais ».

LCK : On vous aperçoit souvent avec le sculpteur Freddy Tsimba. Une œuvre commune en préparation ?

MA : Freddy Tsimba, c'est le producteur de l’album qui a été orchestré par le maestro Oscar Diyabanza, l'un des meilleurs de la RD-Congo qui a fait preuve aux côtés de feue Mpongo Love (auteur-compositeur et arrangeur de la chanson « Ba Kake » chantée par la précitée, et qui a travaillé avec Ray Lema. Freddy Tsimba, c’est aussi mon ami, je l'apprécie, j'admire son œuvre sculpturale monumentale et aime sa personne. Il a mis les moyens pour que je réalise ce bouquet des fleurs à offrir au public qui m'attend pendant des décennies. Les amis artistes Spect Bakunde Monse, Mulé Moyimi et Kam's basse Matalatala de mon groupe l’ont surnommé le producteur de feu et de sons, à la suite des flammes de ses fonderies et sons qui proviennent de son atelier (rires).

Martin Enyimo

Légendes et crédits photo : 

Le chanteur et guitariste Djonimbo

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