Interview. Dr Gaston Makpolo : « Déverrouiller ce que le constituant a verrouillé, c’est changer l’ordre constitutionnel actuel »

Lundi 5 Janvier 2015 - 17:00

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Secrétaire général adjoint de la Dynamique pour la démocratie au Congo (DDC), parti politique de l’opposition présidé par Ingele Ifoto et ayant pris part aux concertations nationales, Dr Gaston Makpolo Gebanga décrypte, dans un entretien accordé aux Dépêches de Brazzaville, le dernier discours de l'année 2014 du chef de l’État sur l’état de la Nation prononcé devant le congrès tout en faisant un tour d’horizon de la situation sociopolitique actuelle du pays.

Les Dépêches de Brazzaville : Pourquoi l’opposition s’agite-t-elle sur la question de la révision constitutionnelle alors que le chef de l’État n’en a pas fait allusion dans son discours sur l’État de la Nation ?  

Gaston Makpolo Gebanga : Dans son discours sur l’état de la Nation devant le congrès réuni le 15 décembre 2014 au Palais du peuple, Joseph kabila a fait la remarque suivante aux acteurs politiques congolais, de quelque bord qu’ils soient : « On peut contester le moment choisi ou les arguments développés mais non leur droit de susciter ou d’entretenir le débat sur des questions d’intérêt national ». Qui a suscité ou entretenu le débat sur la question de la révision constitutionnelle ? N’est-ce pas la majorité présidentielle qui s’est déployée dans des conférences, des pétitions, des marches, des points de presse, des émissions radiotélévisées sur cette question ? Jurant par tous les dieux la modification, le changement ou l’élaboration d’une nouvelle Constitution aux motifs fallacieux les uns et les autres, telle la Constitution du 18 février 2006 présentée comme celle des belligérants est diabolique. La Constitution, elle-même dans son article 218, a prévu des mécanismes de sa révision mais le constituant a verrouillé l’article 220, interdisant formellement toute révision. Déverrouiller ce que le constituant a verrouillé, c’est changer l’ordre constitutionnel actuel. Cela veut dire en clair, mettre fin à la troisième République et créer une nouvelle République. Qu’en est-il de la nécessité ? Pourquoi créer une quatrième République ? Pour répondre à quel besoin vital de la Nation ? Pour résoudre quel problème ?  Sur cette question, nous prenons au mot le Président de la  République lorsqu’il déclara le 23 octobre 2013 devant le Congrès ce qui suit : « Je suis pour le respect, par tous, de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République dans son ensemble telle qu’adoptée par le référendum populaire en 2005 ». Donc, vous constaterez avec moi qu’il n’y aura jamais la révision constitutionnelle surtout en ce qui concerne l’article 220 qui rappelle certaines dispositions intangibles.

LDB : Que vous inspire la création de l’Office national d’identification de la population (Onip) ?

GMG : Aux concertations nationales, il a été décidé que pour des questions ou des matières délicates par exemple la mise en place de l’Onip, son traitement devrait faire l’objet d’un consensus pour sauvegarder l’esprit de la cohésion nationale.  Mais qu’avons-nous remarqué ? Les animateurs nommés de cette institution sont tous membres de la majorité présidentielle. L’identification et le recensement général des Congolais sont des opérations très délicates qui peuvent discréditer les futures élections. Car la création de cette institution et la mise en place de ses animateurs n’ont pas recueilli le compromis politique nécessaire. Là-dessus, la DDC exige qu’un consensus soit dégagé afin d’éviter que la mise en place de l’Onip soit inscrite dans la logique d’un agenda caché de la part de la majorité au pouvoir. La recherche d’un compromis politique s’impose comme une impérieuse nécessité car cela devrait nous éviter le chaos et la crise de légitimité née des élections controversées de 2011.

LDB : Quelle est votre appréciation de la situation économique du pays ?

GMG : À l’occasion de la clôture des travaux des concertations nationales le 23 octobre 2013, le chef de l’État avait énuméré devant le congrès quelques défis que le pays est appelé à relever tels que le caractère extraverti de notre économie, l’inadéquation entre l’évolution positive des indicateurs macroéconomiques et le vécu quotidien des Congolais, la nécessité d’accroître le niveau d’exécution budgétaire, la lutte contre le coulage des recettes, etc. Une année après, est-ce que tous ces défis ont été relevés ? Le diagnostic est certes bien posé, mais posons nous la question sur la thérapeutique. Nous avons aujourd’hui une croissance financière et non une croissance économique dans la mesure où tout  le gros des  investissements ne vont pas dans les secteurs productifs et s’orientent plutôt vers les secteurs de prestige soutenus par des concepts aux contours flous fondés sur la fameuse « raison d’État ». D’où les chiffres s’alignent, se gonflent mais le vécu quotidien de la population ne s’améliore pas. Les riches deviennent de plus en plus riches, les miséreux s’appauvrissent davantage. La classe moyenne disparaît parce que le gouvernement a opté pour le paiement de la dette extérieure et non de la dette intérieure. Le taux de réalisation des recettes se situe en dessous de la moyenne. En même temps, certaines institutions et structures accusent un taux de dépassement avoisinant les 1000%.

LDB : Quelle est la position de votre parti par rapport à l’exigence d’un dialogue national conformément à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ?

GMG : La DDC, par sa dénomination Dynamique pour la démocratie au Congo, a toujours privilégié le dialogue. Il ne faudra pas qu’on passe de négociations en négociations sans fin. Nous allons nous prononcer à ce sujet au vu du cahier des charges du dialogue, en même temps, nous exigeons l’évaluation sur l’application des résolutions des concertations nationales pour éviter le double emploi au cas où le dialogue s’organiserait.

LDB : La Céni est actuellement dans sa phase d’affichage des listes dans différents bureaux de vote. Votre parti se prépare-t-il à affronter les urnes ?

GMG : On ne dirige pas par défi, l’homme de Dieu doit avoir l’humilité et le sens de l’écoute. Les Congolais que l‘abbé Malumalu appelle à adhérer à ce processus ne sont pas dupes et ne se sentent nullement concernés par ces multiples shows médiatiques. Dans quelle commune de Kinshasa avez-vous vu les gens s’aligner pour consulter les listes affichées par la Céni ? La Céni affiche ses listes par rapport à quel calendrier électoral ? À quel budget ? L’abbé Malumalu qui fait l’objet de contestations doit chercher à établir la confiance entre son institution et la population congolaise qui le considère comme un produit de la tricherie. La DDC veut des élections dans la transparence,  la confiance, la garantie. Elle veut que les résultats à proclamer soient conformes à la volonté exprimée par le souverain primaire. Ce genre d’élection appelle à une organisation responsable et crédible que l’actuelle Céni n’a pas.

LDB : À propos des tueries récurrentes à Béni, qu’en dites-vous ?

GMG : Étant originaire de l’Est, je compatis aux malheurs de mes frères et sœurs,  je demande au gouvernement de prendre des dispositions pratiques toute affaire cessante pour mettre fin à l’incurie et à l’insécurité grandissante dans le territoire de Béni et sur toute l’étendue du territoire national. Je demande aussi au gouvernement d’enquêter sur l’origine réelle de ces attaques et massacres contre les populations civiles de Béni et d’établir les responsabilités afin d’engager des poursuites judiciaires contre les acteurs et les complices desdits massacres. À la Monusco de se déployer dans les zones en proie à l’activisme de ces groupes armés dans l’esprit de son mandat.

LDB : Que dites-vous à propos des violences sexuelles ?

GMG : Pendant que des efforts énormes sont déployés pour lutter contre le VIH-sida, le taux de prévalence est stabilisé mais très élevé chez les adolescents. L’état des violences sexuelles risque d’anéantir les efforts fournis pour la stabilisation du VIH-sida. Nous sommes reconnaissants pour tous les efforts fournis tant à l’initiative locale, nationale qu’internationale pour la lutte contre les violences sexuelles.

LDB : Votre mot de la fin...

GMG : La société congolaise est devenue une société sans repère, ni références, ni modèles, ni valeurs communes partagées.  Mon parti, la DDC, dans son projet de société se focalise dans la garantie morale dans l’action. Il s’agit de l’élément éthique qu’il faut intégrer dans toute action, vision politique et pédagogique de la DDC. Au peuple congolais, je vous demande d’être solidaire et participatif car la  solidarité participative permet l’épanouissement d’un chacun et le développement de la collectivité. Cela ne peut se réaliser que par la vertu du travail devant être assumée avec responsabilité dans nos différents choix politique, économique et culturel.

 

 

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Dr Gaston Makpolo