Interview. Guido Gryseels : « La restitution des biens culturels, surtout pour le Congo, reste un objectif à long terme »

Vendredi 9 Novembre 2018 - 10:29

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Rencontré lors de l’atelier organisé conjointement par le Goethe Institut, l’Académie des Beaux-arts (ABA) et le Centre d’art Waza sur « Les musées en convers(at)ion », les 22 et 23 octobre à l’ABA, le directeur du Musée Royal de l’Afrique centrale (MRAC) à Tervuren a accordé une interview exclusive au Courrier de Kinshasa. Le chercheur belge a alors fait part de son avis sur le débat récemment ouvert par le président Macron sur la possible restitution du patrimoine culturel issu des colonies actuellement en possession en Europe.

 

Guido Gryseels en pleine interview (Photo : Caleb)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Le musée de Tervuren en cours de rénovation depuis cinq ans a fermé ses portes. Etait-ce si important de réaliser cette rénovation ?

Guido Gryseels (G.G.): Nous préparons cette rénovation depuis quinze ans. Il le fallait d’abord parce que l’exposition permanente de notre musée n’avait pas changé depuis les années cinquante du siècle dernier, depuis avant la décolonisation du Congo. Le musée présentait toujours le regard de la Belgique sur l’Afrique centrale d’avant son indépendance. Nous voulions devenir un musée sur l’Afrique contemporaine avec des thèmes modernes comme la biodiversité, la longue histoire de l’Afrique, les diasporas, etc. Revenir sur l’importance des langues et de la musique de façon interactive. Le deuxième but de la rénovation c’est le souhait de présenter un regard beaucoup plus critique sur le passé colonial. En fait, nous étions souvent appelés le dernier musée colonial au monde parce que notre exposition permanente datait encore d’avant la décolonisation. En plus, notre bâtiment, qui est très historique, a un fort cachet colonial. On y voyait au moins quarante-cinq fois le double L de Léopold II, notre fondateur, et des statues dont les titres glorifient la colonisation. Nous voulions prendre une distance avec le colonialisme comme système de gouvernance fondé sur l’occupation militaire, une gestion raciste, une exploitation des profits vers les pays-mères. Il est clair qu’avec le regard d’aujourd’hui, c’est un système de gouvernance totalement inacceptable et immoral. C’est clairement dit dans la nouvelle exposition permanente.

L.C.K. : À ce qu’il paraît, la rénovation est allée bien au-delà du souci ultime de « débarrasser » l’exposition permanente de son fort cliché colonial ?

G.G. : En effet, la rénovation du contenu de l’exposition permanente était une chose et l’autre c’était de devenir un centre de débats et de rencontres avec les communautés africaines. Pour cela, il fallait une infrastructure adaptée. Le musée n’avait pas de salle de réunion, pas de bon restaurant ni de salle d’exposition avec la climatisation. Et, le bâtiment même construit au début du XXe siècle avait besoin de rénovation. En même temps que le développement d’une nouvelle exposition, nous avons aussi fait une proposition d’amélioration de l’infrastructure du musée. Nous avons décidé de construire un nouveau bâtiment tout en verre dans lequel l’on retrouve les nouvelles infrastructures dont nous avions besoin. Un restaurant, un shop, des salles de réunion, un auditoire de deux cent vingt places. Le nouvel édifice est connecté avec l’ancien par un souterrain de presque 100 m dans lequel il y a de nouvelles salles d’exposition climatisées. Le résultat final, c’est que nous avons doublé les espaces d’accueil du public. Le nouveau musée aura 11 000m2 de surface pour le public au lieu des 6 000m2 d’avant. Et, il sera entièrement accessible pour les handicapés sur les chaises roulantes. L’on aura beaucoup plus de matériels audiovisuels, nous avons monté 180 heures de films. Et, nous aurons beaucoup d’art contemporain produit par des artistes contemporains congolais. Pour équilibrer le cachet colonial qui existe toujours, nous avons demandé à des artistes de l’Afrique centrale, en majorité congolais, de réaliser dans chaque salle des œuvres d’art qui font le contraste avec les messages coloniaux d’avant. Ainsi, nous avons réalisé un changement assez drastique avec la nouvelle exposition permanente, le regard très critique sur le passé colonial, le double espace pour le public entièrement accessible pour les handicapés et l’art contemporain que l’on retrouvera partout. Je suis dès lors convaincu que l’on sera de loin le musée le plus important et le plus intéressant sur le Congo.

Guido Gryseels présentant la vision du MRAC sur la restitution des biens culturels à l’atelier tenu à l’ABA (Photo Adiac)L.C.K. : Pourquoi aviez-vous jugé important de prendre part à l’atelier qui avait pour sujet « Les perspectives congolaises sur la restitution des biens culturels et la transformation des pratiques muséales en Afrique » ?

G.G. : Je crois qu’il était important de livrer le regard du Musée Royal de l’Afrique centrale, parce que nous sommes l’hôte d’une grande partie de ce patrimoine culturel du Congo. Notre musée renferme cent vingt mille objets culturels ethnographiques dont 80%, disons à peu près  cent mille, viennent du Congo. L’on parle beaucoup de la restitution maintenant, je voulais donc donner notre avis sur cette discussion. De prime abord, je voulais dire que nous sommes très ouverts à des discussions, nous les voulons constructives. Nous voulons écouter les Africains, surtout les directeurs de musées, à savoir quels sont leurs besoins et les aides à fournir. La restitution, surtout pour le Congo, reste un objectif à long terme. Mais à court terme, à la demande des musées congolais, nous allons nous investir dans un programme de renforcement des capacités muséales. Nous allons former des cadres pour gérer les musées et il faudra investir dans la conservation des collections.  

L.C.K. : Comment, à votre avis, devrait se réaliser la restitution du patrimoine culturel congolais détenu par la Belgique et exposé à Tervuren ?

G.G. : L’on devrait déjà donner accès aux Congolais aux inventaires de nos collections. Il est très important que l’on mette à leur disposition notre inventaire digital avec les photos des objets, les cartels. Cela permettra de savoir comment ils ont été collectionnés, emmenés en Belgique, par qui ? Où ? Comment ? Et, comment ils ont été utilisés dans les expositions. Si l’on peut déjà donner ces informations aux Congolais, l’on peut alors démarrer une discussion sur le futur de certains objets et la signification de certains d’entre eux aussi. J’ai la même discussion en ce moment avec le Rwanda. Ça, c’est l’approche qui commence par un partage de l’inventaire et ensuite nous discuterons autour d’une table. Il me semble qu’à court terme, l’on pourrait déjà entamer avec des expositions itinérantes, surtout quand il y aura le nouveau musée. Car, jusque là, Kinshasa n’a pas encore de musée. Outre les expositions itinérantes dans le nouveau musée, il y aurait des prêts à long terme parce qu’il faut aussi se mettre à l’esprit que dans le court terme, une restitution n’est pas possible en l’absence de cadre légal en Belgique. Par ailleurs, il y a certains restes humains qui se trouvent également hors de notre musée, dans celui des sciences naturelles dont on pourrait discuter du retour. Et, l’autre chose que l’on pourrait faire, c’est digitaliser les archives, les photos et les films car le patrimoine culturel du Congo n’est pas seulement composé d’objets ethnographiques. Pour cela, l’on pourrait avancer relativement vite, quitte à les rendre au Congo en format digital. Je voulais être présent à l’atelier pour marquer notre intérêt au dialogue. C’est ce qu’il faudrait surtout en place de déclarations à la presse. Un dialogue qui nous mène à développer un plan d’action à court, moyen et long terme. Notre approche est certainement très constructive.  Guido Gryseels parmi les panélistes de l’atelier de Kinshasa (Photo Adiac)

L.C.K. : Pour le président Macron, il serait question d’une restitution soit temporaire, soit définitive. Quel est votre point de vue à ce sujet  ? Au final, qui en décide, les anciennes colonies ou les anciens colonisateurs ?

G.G. : Je suis tout à fait d’accord avec le point de vue de M. Macron, sur le fait qu’il n’est pas normal qu’une si grande partie du patrimoine culturel africain se trouve en Europe. Il faut très vite trouver le moyen de faire un inventaire sur ce qu’il en est vraiment. Et, ensuite, voir comment l’on peut en faciliter l’accès. Mais, je ne pense pas que l’on puisse généraliser en parlant de l’Afrique car il y a des pays qui n’ont même pas de musées et qui ne sont pas demandeurs. Pour pouvoir parler de restitution dans ce cas-là, il faudrait d’abord construire des musées alors que certains pays sont plus avancés sur cette matière. Je ne crois pas que l’on puisse établir de règle générale pour l’Afrique. Je crois que l’on doit initier un dialogue, se mettre autour d’une table pour savoir qui doit décider clairement de ce qui doit être fait. J’espère que l’on pourra prendre cette décision en commun et l’Unesco pourrait jouer un grand rôle comme facilitateur dans le débat. Et, j’espère que les deux experts nommés par M. Macron vont présenter, à la fin de l’année, la manière dont ils vont concrétiser ses idées. L’on attend le rapport des experts et l’on verra la suite après. Je pense que plusieurs conférences, sous les auspices de l’Unesco, réunissant les directeurs des musées européens et africains pourront discuter du suivi à faire.  

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Guido Gryseels lors de l' interview / Caleb Photo 2 : Guido Gryseels présentant la vision du MRAC sur la restitution des biens culturels à l’atelier tenu à l’ABA / Adiac Photo 3 : Guido Gryseels parmi les panélistes de l’atelier de Kinshasa / Adiac

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