Interview. Jean-Claude Katende : « Une alternance politique qui ne contribue pas à l’amélioration des conditions de vie du peuple ne sert à rien »

Lundi 28 Janvier 2019 - 15:45

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Après la prestation de serment constitutionnel par le cinquième président de la République démocratique du Congo (RDC), Le Courrier de Kinshasa a approché, le 26 janvier, un activiste des droits de l’homme, notamment le président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme, l'un de ceux qui ont consacré leur lutte, ces derniers temps, à l’avènement de l’alternance au sommet de l’Etat. Entretien.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Me Jean-Claude Katende, vous êtes parmi les Congolais qui ont lutté, au péril de leur vie, pour qu’il y ait alternance au sommet de l’Etat. Pourquoi cette ferveur dans votre engagement ?

 Jean-Claude Katende (J.C.K.) : Nous avons réalisé qu’on ne pouvait plus rien attendre du régime du président Kabila qui, malgré les dénonciations et pressions tant sur le plan interne qu’externe, ne se préoccupait plus de la situation du peuple et pour qui les violations des droits fondamentaux étaient devenues le modus operandi.

L.C.K. : Etes-vous aujourd’hui satisfait, après la passation de pouvoir entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi ?

J.C.K. : Il est important de souligner que cette passation de pouvoir est un événement très significatif  et historique pour  la RDC. Il faut saluer les principaux artisans de cet événement qui sont le président Kabila  et  le président Félix Tshisekedi. Ils ont concrétisé les aspirations du peuple congolais qui voulait ce changement politique. Cette passation de pouvoir consacre l’alternance politique pour laquelle nous nous sommes battus avec beaucoup d’autres Congolais.

Nous sommes satisfaits en partie parce que nous avons un nouveau président qui est de l’opposition. Mais notre satisfaction sera totale si nous constatons que la gouvernance du président Félix Tshisekedi est différente de celle du président Kabila que nous avons décriée. Nous serons satisfaits totalement quand nous allons voir que le peuple congolais commence à tirer profit de l’alternance politique, en jouissant de toutes les libertés publiques, de l’emploi, de la sécurité,  de l’alimentation saine et équilibrée, etc. Une alternance politique qui ne contribue pas à l’amélioration des conditions de vie du peuple ne sert à rien.

L.C.K. : Peut-on donc dire que le peuple a gagné ?

J.C.K. : Le peuple congolais s’est beaucoup battu pour que l’alternance puisse avoir lieu. Il a payé un prix important pour cette alternance, les Congolais sont morts pour la démocratie, les élections et l’alternance politique. Aujourd’hui, comme nous avons un nouveau président, nous pouvons dire que le peuple a gagné. Rossy Mukendi avait raison de dire que « Le peuple gagne toujours ». Il a gagné aujourd’hui, il gagnera demain et il gagnera toujours.

L.C.K. : Maintenant, faut-il tourner la page ou doit-on continuer à feuilleter ce même cahier, en vue d’y mentionner la suite de l’histoire du Congo ?

J.C.K. : Je pense que l’alternance politique nous ouvre une nouvelle page sur laquelle nous devons tous écrire mais écrire de manière différente. Ecrire avec le peuple et au profit du peuple. Nous devons considérer que nous avons franchi une étape, il y a encore d’autres qui nous attendent. Nous devons rester engagés et vigilants.

L.C.K. : S’il vous était demandé de conseiller le nouveau président de la République, que mentionnerez-vous comme priorités dans son action ?

J.C.K. : Le conseil que je donnerais au nouveau chef de l’Etat est de prendre, urgemment, des mesures qui permettent au Trésor public de gagner plus d’argent. Il doit boucher tout trou par lequel l’argent de l’Etat disparaissait. C’est un défi immense mais il doit s’y mettre et le plus vite. En plus de ça, il devra travailler à la réconciliation nationale car le régime du président Kabila a laissé trop de blessures dans les cœurs des Congolais et les élections ont créé aussi trop de frustrations.

L.C.K. : Les violations des droits de l’homme ont marqué les régimes Mobutu et Kabila (père et fils). Pensez-vous que le travail fait dans ce sens par les ONG et autres mouvements citoyens pourra empêcher le régime Fatshi de commettre les mêmes fautes ?

J.C.K. : Un des points faibles du régime du président  Kabila, c’est le non-respect des droits de l’Homme. Les ONG et les mouvements citoyens ont fait leur travail dans un environnement très hostile. Malgré cela, ils ont fait un travail excellent en matière de dénonciation et de documentation des cas de violation des droits de l’Homme. Le président Félix Tshisekedi a pris l’engagement, lors de son serment et de son discours prononcé à l’occasion de son investiture, de respecter  et de faire respecter les droits fondamentaux. Nous allons le juger sur la base des actes. Il sait aussi que nous allons le suivre pas à pas dans ce domaine. Donc, je pense qu’il fera attention à notre travail.

L.C.K. : Quel message lancez-vous au peuple congolais, en ce moment où la cohésion nationale est menacée avec les attaques mutuelles entre les partisans de Fayulu et de Fatshi ?

J.C.K. : Le message est simple. Nous avons tous lutté pour l’alternance politique qui devait arriver soit par M. Martin Fayulu soit par M. Félix Tshisekedi. Aujourd’hui, c’est ce dernier qui est devenu président et il l'est pour tous les Congolais. Il n’est pas un président de Balubas ni celui de son parti politique, l’UDPS, comme il l’avait lui-même rappelé à l’annonce des résultats provisoires. Lui-même est conscient de cette réalité, raison pour laquelle il a tendu sa main à tout le monde.

Il est aussi important que cette main soit saisie par tous. Nous devons considérer que le Congo est un pays immense. Il ne peut être développé par une seule tribu.  Il est important que toutes les tribus se donnent la main pour le construire. Le nouveau président et son gouvernement doivent lutter contre tout comportement tribal d’où qu’il vienne.

L.C.K. : Après ces durs labeurs de plus de cinquante ans pour voir dans le pays une passation « civilisée » de pouvoir entre le président sortant et son successeur, pouvons-nous considérer qu’il faut maintenant, pour le peuple et ceux qui l’accompagnent dans cette lutte, prendre un petit repos ?

J.C.K. : Non, on ne peut pas se donner du repos dans ce contexte.  Il faut continuer le combat pour une démocratie effective et pour l’amélioration des conditions de vie des Congolais. On ne peut pas se donner du repos quand on sait qu’il y a des Congolais qui n’ont pas de travail, qui mangent une fois par jour, qui ne savent pas scolariser leurs enfants, etc. On  ne peut pas se donner du repos quand on sait que tout dirigeant politique qui n’est pas surveillé par le peuple finit par travailler contre le même peuple qui l’a élu. Il nous faut donc plus d’engagement aujourd’hui qu'hier pour que le peuple goûte au bonheur grâce à l’alternance politique acquise au prix d’immenses sacrifices.

L.C.K. : Sans être prophète, comment entrevoyez-vous l’avenir du pays ?

J.C.K. : L’avenir du Congo sera meilleur car nous avons un peuple qui sait se prendre en charge.  Nous avons un peuple engagé, c’est ce qui rassure.

Propos recueillis par Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Photo: Me Jean-Claude Katende, président de l'Asadho

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