Interview. Jean-Marie Mutamba Makombo : « Je restitue la vision africaine de cette histoire »

Dimanche 16 Juillet 2017 - 12:30

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Paru il y a moins d’un mois, en juin dernier, aux éditions Lomami, Makoko Iloo revient, dans ses 130 pages, sur le récit tragique du roi teke dont le visage illustre la couverture de l’ouvrage. L’auteur, historien chevronné et archiviste de surcroît, s’est donné le devoir d’y restituer sa vision africaine dans cet entretien exclusif au Courrier de Kinshasa. 

 

Jean-Marie Mutamba Makombo

Le Courrier de Kinshasa : Comment pourrait-on vous présenter à nos lecteurs ?

Jean-Marie Mutamba Makombo  : Je m’appelle Mutamba Makombo Jean-Marie, je suis historien et archiviste, professeur émérite à l’Université de Kinshasa.

L.C.K. : Vous venez de publier un nouvel ouvrage, peut-on savoir sur quoi il porte  ?

J-M.M. : Il a pour titre Makoko Iloo, roi des Bateke (1880-1892). Le propos de ce livre part de l’arrivée de Pierre Savorgnan de Brazza à Brazzaville jusqu’à la mort du roi Makoko Iloo. L’entrée de Pierre Savorgnan au royaume des Teke se fait sous le mandat du Comité français de l’association internationale pour l’Afrique créée au lendemain de la conférence géographique de Bruxelles tenue en 1876. Il était venu là pour créer deux stations. Il a commencé par celle de Franceville au Gabon et a voulu achever sa mission au Stanley Pool avec celle qu’il devait implanter dans la localité de M’foua qui est devenue Brazzaville aujourd’hui. 

L.C.K. : Ce récit de la vie du roi Makoko Iloo concerne de près les Teke de Brazzaville établit-il un lien avec ceux de Kinshasa  ?

J-M.M. : Le lien c’est que le roi Makoko avait la souveraineté non seulement sur la rive droite, c’est-à-dire du côté de Brazza, mais aussi sur la rive gauche du fleuve Congo. C’est lui qui accordait le pouvoir de commander à ses feudataires du royaume. Pouvoir que l’on décelait à travers son collier porté par tous ceux qui devenaient chefs.

L.C.K. : Qu’y a-t-il de si important à raconter sur le roi Makoko ?

J-M.M. : Son importance part du fait que c’est lui qui avait accueilli l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza. Ce dernier s’était présenté comme un délégué du chef des blancs en Afrique pour créer des villages et que par la suite, il serait envoyé des marchandises au peuple teke. Le roi Makoko avait accepté en lui cédant une portion de terre sans savoir que c’était une annexion, pour lui ce n’était pas le cas. Il avait fait ce don pensant que les blancs qui allaient venir continueraient de reconnaître la souveraineté des Teke. Mais Pierre Savorgnan de Brazza va faire signer un traité au roi Makoko Iloo et va prendre possession de l’espace qui lui avait été attribué. Et, les autorités françaises qui vont arriver par la suite vont commencer à confisquer la terre. En fait, une fois le traité signé, Pierre Savorgnan de Brazza l’avait porté en France où le P arlement s’était prononcé. Cela provoqua une espèce de tsunami et cela va mener à la conférence de Berlin. Car, tandis qu’Henry Morton Stanley, envoyé par le roi Léopold II du côté de la rive gauche du fleuve, ici chez nous, occupait les lieux, de Brazza, lui, occupait la rive droite. Mais, comme Makoko avait la souveraineté sur les deux rives, le français revendiquera aussi la rive gauche. Et donc, que la France avait le droit d’y exercer son protectorat et la question sera discutée à Berlin où il sera décidé que pour qu’un pays soit reconnu comme propriétaire d’une terre, il devrait s’y installer. Car, de son côté, le Portugal voulait que lui soit reconnue la propriété du fleuve Congo de l’embouchure jusqu’à Noki. Finalement, un accord sera trouvé à La couverture du livre Makoko Iloola Conférence de Berlin où toutes les questions seront réglées de sorte que les Belges vont alors s’installer sur la rive gauche avec l’État indépendant du Congo (EIC) et les Français sur la droite.  

L.C.K. : Quelle est votre démarche en écrivant cet ouvrage ? Pensez-vous avoir autre chose à dire sur le récit du roi Makoko que tous les écrits déjà existants  ?

J-M.M. : Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ? Je répondrai à cette interrogation en reprenant les propos de la personne qui l’a commenté affirmant que je restitue ou livre la vision africaine de cette histoire parce que les gens ont l’habitude de railler Makoko. D’aucuns s’en moquent disant qu’il a vendu sa terre aux étrangers pour de la pacotille. Dans ce livre, je voudrais démontrer qu’en donnant la terre, Makoko ne pensait pas qu’elle serait confisquée. Il s’imaginait plutôt que les Français agiraient comme les Bobangi qui, lorsqu’ils venaient au Stanley Pool, se contentaient d’y fumer leurs poissons et repartaient ensuite conscient que cette terre appartenait aux Teke. Ils agissaient de même ici, ils payaient des tributs et reconnaissaient la souveraineté des Teke. Mais Pierre Savorgnan de Brazza et les Français ont plutôt confisqué la terre.

L.C.K. : Peut-on connaître quelle a été la suite réservée à cette occupation  ? Comment Makoko et même le peuple a-t-il réagi après avoir compris l’imposture ?  

J-M.M. : Nous sommes partis des documents et archives étrangères, des cahiers de Pierre Savorgnan de Brazza et des écrits de ses accompagnateurs, à l’instar de Dechavanne. Ils n’en ont pas parlé, n’ont pas évoqué la réaction du chef qui est d’ailleurs mort et le peuple n’a fait que subir la situation. Et certaines actions ont été réprimées. En effet, il s’est trouvé des chefs comme Ngampa qui était du côté de Djoué qui voulait augmenter le tarif du passage des pirogues. Il a été mis à mal, les Français qui n’en voulaient pas l’ont attaqué. C’est à partir de ce moment-là qu’a a été confisquée l’autorité teke qui est passée aux mains des colonisateurs.

L.C.K. : Comment pourriez-vous prétendre restituer la vision africaine alors que vous partez des archives des colons  ?

J-M.M. : C’est là le travail des historiens. Quand ils écrivent, quand j’écris donc, je fais la critique historique. Ce faisant, l’on se met à la place des Africains. À la lecture des documents l’on décèle la manière dont ils ont appréhendé les choses et les ont subies. L’histoire a été écrite par les Français, les vainqueurs mais il faudrait se mettre à la place des colonisés, les personnes qui ont subi les faits.  

Propos recueillis par

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo : Jean-Marie Mutamba Makombo Photo 2 : La couverture du livre Makoko Iloo

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