Interview. Me Liyolo : « La jeunesse manque de modèles, il était indispensable d’en ressusciter »

Mercredi 8 Janvier 2014 - 17:15

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En l’espace de deux semaines, en novembre 2013, l’Académie des beaux-arts de Kinshasa (ABA) avait abrité deux des évènements culturels les plus marquants de 2013, à savoir les célébrations de son 70e anniversaire et celui du célèbre sculpteur Alfred Liyolo Limbe qui soufflait le même nombre de bougies, une solennité au reste couplée avec ses 50 ans de carrière. L’artiste a dit aux Dépêches de Brazzaville l’importance vouée au second évènement.

Les Dépêches de Brazzaville : Quel sens avez-vous voulu donner à la Semaine culturelle Liyolo ?

Alfred Liyolo Limbe: J’ai toujours estimé préférable d’honorer l’artiste de son vivant au lieu d’attendre sa mort pour lui rendre des hommages à titre posthume. Ainsi, j’ai pensé pendant que je suis vivant, si l’on reconnaissait mon talent d’artiste, pourquoi ne pas fêter ensemble en ce moment alors que nous sommes encore ensemble ? Demain, je ne serai plus et ce sera de l’histoire. Au travers de la Semaine culturelle Liyolo ceux qui ne connaissaient pas Liyolo ou les artistes en général découvrent que notre pays en possède. Et, dans mon domaine, je ne suis pas le seul, nous sommes nombreux mais méconnus. Savoir que le train vers la mise en route de la politique culturelle de notre pays est lancé va y remédier, cela nous réjouit car nous l’attendions depuis très longtemps.

LDB : Pensez-vous que l’œuvre d’art a toute sa place dans notre univers kinois ?

ALL : Nous, Africains, n’avons pas vraiment la culture de l’œuvre d’art alors que nous en sommes le berceau. Il suffit de voir les œuvres réalisées par nos aînés que ce soit les Teke, les Yaka, les Kuba, etc, c’est vraiment extraordinaire. Aujourd’hui ces œuvres reposent dans des musées à l’extérieur de notre pays et l’artiste lui-même n’est pas honoré. La preuve, aucune de mes œuvres ne figure dans notre musée. Si vous allez au Cameroun, au Gabon, au Congo-Brazzaville, en Chine, au Japon, en Corée du Sud vous en trouverez certaines.

LDB : Aujourd’hui, Liyolo rime avec 50 ans de Bronze Passion. Pourquoi en avoir fait votre matière de prédilection ?

ALL : Le bronze, au départ, c’est du cuivre et notre pays en est très riche. Faut-il seulement la laisser à un usage industriel ? Depuis le temps de mes études à l’extérieur du pays, j’avais saisi la valeur du bronze et quand j’y suis revenu, je me suis investi à son usage. Je suis un grand amoureux du bronze jusqu’à ce jour. Je ne peux créer que des œuvres en bronze. Certes, je taille la pierre, le bois et l’ivoire mais pour moi, le bronze reste une matière à investir. C’est ce que je fais et je le ferai jusqu’à la fin de ma vie.Une diapo de Me Liyolo travaillant le bronze dans les années 1980

LDB : 50 ans de carrière artistique et des décennies vouées à l’enseignement de l’art, n’est-ce pas là un bien riche héritage légué à la postérité ?

ALL : Tout à fait. Déjà en organisant cet évènement, nous le destinons plus à la jeunesse. Car, dans nos États africains aujourd’hui curieusement, elle manque de modèles. Face à cette carence, j’ai pensé qu’il était indispensable d’en ressusciter. Car, à l’époque de nos parents, il y avait le forgeron, le tailleur du village, etc., et ils étaient tous des modèles pour les générations à venir. Mais présentement il est clair que la jeunesse est en manque de modèles. Après les études secondaires ici tout le monde va à l’université pour poursuivre des études de droit, d’économie…, ce n’est pas chose mauvaise mais j’ai toujours dit à mes enfants que dans la vie, il convient d’être son propre chef, ne pas toujours dépendre de quelqu’un. Les parents ont l’obligation d’orienter leurs enfants non vers des formations qui ne leur apporteront pas assez d’ouverture, car tout le monde fait la même chose, mais plutôt vers les métiers et les arts qui se perdent, hélas ! Dans certaines maisons, vous trouverez des photocopies d’œuvres qui viennent d’ailleurs alors qu’ici il y en a d’extraordinaires réalisées par nos jeunes gens. Il faut les encourager et s’habituer à privilégier les œuvres d’arts qui représentent nos valeurs culturelles plutôt que les portraits sur les murs des foyers. Il est temps de revaloriser l’art de chez nous.Me Liyolo posant avec les visiteurs à l’entrée de l’exposition

LDB : Un mot sur la formation à l’ABA dont vous êtes l’un des fleurons et l'un des illustres formateurs reconnu ?

ALL : Ici, à l’Académie, nous donnons une formation de base à l’étudiant quitte à lui laisser la liberté de s’exprimer comme il l’entend et comme il le veut, en s’inspirant de sa société et des œuvres traditionnelles. Les amis qui viennent de l’extérieur sont presque vides d’inspiration. Prenez déjà l’exemple de Picasso et autres grands plasticiens quand ils étaient en contact avec l’Afrique, ils s’en sont inspirés. Et aujourd’hui tous ces amis que l’on vénère, hé bien ! leur inspiration est partie de l’Afrique. Pourtant, nous-mêmes les Africains ne nous faisons pas confiance.

Propos recueillis par Nioni Masela

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

1-Une vue de la façade principale de l’exposition spéciale de la Semaine culturelle Liyolo 2-Une diapo de Me Liyolo travaillant le bronze dans les années 1980 3-Me Liyolo posant avec les visiteurs à l’entrée de l’exposition