Italie : la laborieuse intégration dans le sport

Samedi 16 Août 2014 - 12:45

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Mario Balotelli, cible d’une rude hostilité sur fond raciste, est aujourd’hui oublié. Mais la société italienne peine à masquer son malaise face à la diversité.

Il n’y a même pas deux mois l’attaquant italien d’origine ghanéenne, Mario Balotelli, était au cœur des plus vives attaques. Beaucoup de passionnés de football et une partie de la classe politique le rendaient responsable d’une prestation lamentable des « Azzuri », la sélection nationale, à la Coupe du Monde du Brésil. Ou, à tout le moins, de ne pas s’être tu devant le déchaînement des médias sociaux qui l’invitaient poliment à « rentrer en Afrique retrouver les siens ». La colère de « Super Mario », homme au sang plutôt chaud, a redoublé les attaques racistes contre lui.

Une autre habituée des cris racistes et des attaques dans les médias et les arènes politiques, l’ancienne ministre et aujourd’hui députée européenne Cécile Kyenge Kashetu d’origine congolaise, avait pris la défense de Balotelli. Elle soutenait un garçon qui a « reçu des critiques non seulement sur ses prestations sportives mais aussi sur des bases raciales. Et ce n’est certes pas la première fois ! ». Pour l’Italo-congolaise, le grand joueur est tombé dans le piège de la provocation et sa rage (« même ceux que vous appelez des ‘nègres’ ne m’auraient pas lynché de la sorte !», était compréhensible. « Lorsque quelqu’un, qui n’a pas bien joué. se voit reprocher la couleur de sa peau, on finit par oublier la question principale sur les capacités et les compétences », a protesté l’ancienne ministre de l’Intégration.

Mais le sport italien continue de se signaler par le refus d’intégrer la différence. Refus tantôt subtil tantôt carrément ouvert. Dans les stades, les cris de singe continuent d’accompagner les joueurs d’origine africaine ou latino-américaine. Avec la délicatesse de l’éléphant dans la boutique de porcelaine, le président de la Fédération italienne de football (FIGC), Carlo Tavecchio, a voulu ajouter sa couche pesante à ce climat délétère lui aussi. Le 25 juillet dernier, et alors qu’il n’était que le vice-président de cette institution, il avait éructé contre le milieu de terrain (français) Paul Pogba : « Opti Poba est arrivé ici et avant il mangeait des bananes, aujourd'hui il joue titulaire à la Lazio Rome ».

Élu malgré ses propos racistes

La polémique avait enflammé la toile ; les réseaux sociaux avaient lancé une campagne de boycott contre "Tavecchio-le-raciste". Peine perdue : lundi 11 août dernier, l’homme a été confortablement élu à la tête de la plus prestigieuse des fédérations sportives italiennes. Ce qui a entraîné  le commentaire désabusé d’un footballeur de talent, passé par les stades italiens lui aussi, le Français Patrick Vieira : « cette élection traduit à quel point la lutte contre le racisme en Italie est en retard: c'est une honte! ». Tavecchio lui-même s’est fendu d’un communiqué embrouillé tenant sans doute lieu d’excuse et expliquant qu’il n’était jamais à l’aise dans la prise de parole en public.

Beaucoup de dirigeants d’équipes de football de première division se sont pourtant rangés derrière lui, estimant, à l’instar de Claudio Lotito, mythique président de la Lazio-Rome, que ces propos étaient certes maladroits mais qu’ils n’enlevaient rien aux qualités reconnues de Tavecchio. Pourtant, il n’est pas resté jusqu’au Premier ministre Matteo Renzi, qui n’ait condamné ces paroles d’un autre temps. « S’il avait été dans le pouvoir du gouvernement de désigner le président de la Ligue de football, aujourd’hui même Tavecchio faisait ses valises », avait dit, indigné, le premier ministre italien.

La gaffe aura peut-être eu le mérite de réveiller (encore) la société italienne, désormais plus attentive au « politiquement correct » dans les termes et les expressions. Un haut dirigeant, le ministre de l’Intérieur Angelino Alfano, vient de faire l’unanimité contre lui lorsque, annonçant des mesures de lutte contre la contrefaçon, il s’en est pris « aux hordes de vu-compra » qui envahissent les plages en été. L’expression (de Vu=Vous, et Compra=Acheter ; du petit-nègre utilisé par les vendeurs à la sauvette sénégalais et bangladeshis) a été largement commentée, surtout dans les partis de gauche qui y ont vu du racisme pur.

La multiplication, dans un même laps de temps, de propos trahissant un état d’esprit qui a du mal à se laisser gagner à la multi-culturalité d’une société de plus en plus mélangée, fait qu’au sein du football  Carlo Tavecchio songerait à doter la FIGC d’un conseiller à l’intégration et contre le racisme. Au moment où nous mettons sous presse, le nom le plus évoqué pour le poste, est celui de l’athlète italienne d’origine jamaïcaine Fiona May. Médaillée d’argent en saut en longueur aux jeux Olympiques d'Atlanta en 1996 puis à Sydney en 2000, Fiona May, 44 ans, s’est illustrée dans un passé récent dans des campagnes contre le racisme à la télévision publique.

Lucien Mpama