Italie : nouveau gouvernement à Rome. Nouveaux centres d’intérêt aussi ?

Samedi 22 Février 2014 - 17:21

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L’équipe resserrée de seize membres ne comprend pas l’italo-congolaise Cécile Kyenge

Les choses sont allées très vite en Italie au cours des derniers sept jours. La démission du gouvernement d’Enrico Letta, vendredi 14 février, a été suivie de la désignation comme successeur de celui qui avait tout fait pour que la situation en arrive là : Matteo Renzi. Celui-ci, conformément à la constitution qui fait obligation de confier les charges de président du conseil au représentant du parti majoritaire dans le pays, a accepté sa charge et, vendredi 21 février, il est retourné chez le président Giorgio Napolitano avec les noms des seize personnes qui feront partie du gouvernement qui va prêter serment dans les prochaines heures.

Comme à la formation de tout gouvernement, la liste de Matteo Renzi a présenté ses belles surprises. Le gouvernement est jeune (moyenne d’âge quarante ans, lui-même en a trente-neuf !) ; il se compose pour moitié de femmes de talent dans leurs secteurs. Et conformément à sa volonté annoncée de « rottamatore » (celui qui envoie les vieilles pièces à la casse), Renzi s’entoure de faces jeunes, mais aussi nouvelles sur la scène politique italienne. Il n’a pas hésité à renvoyer à leurs études ceux des hommes et femmes politiques de l’ancienne équipe qu’ils considéraient comme ayant fait leur temps.

Mais ce faisant, il en a déconcerté aussi plus d’un, même chez ses partisans, sa méthode ayant parfois été sans délicatesse. Ainsi, c’est devant son poste de télévision que la ministre des Affaires étrangères, Emma Bonino, soixante-six ans le mois prochain, a appris qu’elle n’était plus membre du gouvernement. Pourtant, elle avait été parmi les personnes dont on s’accordait à dire que vu son engagement résolu sur plusieurs dossiers brûlants (notamment le sort de deux fusiliers marins italiens que l’Inde a entrepris de juger pour « activités de piraterie » dans ses eaux), en faisaient une pièce maîtresse incontournable même pour la diplomatie qui s’annonce.

C’est une figure marquante de l’humanitaire, à l’aise pour aborder ses interlocuteurs dans les principales langues de travail du monde. D’ailleurs, pendant que Matteo Renzi menait ses consultations pour boucler son équipe au pas de charge, Emma Bonino, qui vient de lancer l’importante initiative ItalAfrica de la coopération italienne, discutait avec les ministres africains de l’Agriculture ! C’est elle aussi qui a pratiquement « mis à l’eau » en décembre dernier le porte-avion Le Cavour qui mouille actuellement dans les eaux maritimes de Pointe-Noire. Le bâtiment poursuit d’un « tour humanitaire de l’Afrique » qui l’a conduit notamment à Madagascar, au Kenya, au Mozambique et en Angola.

Qu’Emma Bonino ait été mise au rebut donnait à penser durant le week-end dans les milieux associatifs à Rome que le nouveau gouvernement n’est pas animé du même désir de replacer l’Afrique au cœur du dispositif coopératif italien, comme cela a été maintes fois réaffirmé par le Premier ministre sortant, Enrico Letta. En janvier, Emma Bonino a même eu droit à son premier tour d’Afrique des pays porteurs de la croissance économique et annonciateurs des mutations politiques qui refont du continent « une opportunité ; plus un problème ». Et son adjoint, Lapo Pistelli, a été vu au four et au moulin au dernier sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba, signant des contrats, prenant des accords et encourageant des projets de développement !

Mais, plus que tout, c’est l’absence de l’Italo-Congolaise Cécile Kyenge-Kashetu, qui interroge. M. Renzi n’a pas même eu un seul commentaire sur (ou contre) elle, tout en appartenant au même parti du PD, le Parti démocratique. Qui plus est, avec la première femme noire d’origine africaine à figurer dans un gouvernement italien disparaît aussi le ministère de l’Intégration qu’elle dirigeait. Preuve d’une politique qui n’entend plus se consacrer aux problèmes de l’immigration autrement que sous le seul angle judiciaire de la répression ou des autorisations ? Cécile Kyenge avait entamé le chantier pesant du droit à la citoyenneté pour les enfants nés de parents étrangers en Italie et de l’abolition du délit d’immigration clandestine, et un changement de mentalités, lent, mais nécessaire, commençait à poindre.

Qu’en sera-t-il de tous ces débats engagés, souvent à coup d’insultes racistes, par « la Kienje », comme on continue d’appeler l’ex-ministre en italien ? Le parti de la Ligue du Nord, farouche opposant raciste de l’action de la ministre hier, n’a pas tari de commentaires ironiques sur les réseaux sociaux durant le week-end. « Avoir écarté Cécile Kyenge est la seule bonne nouvelle du gouvernement Renzi », écrivait un officiel de ce mouvement xénophobe. « Oui, mais Kyenge va nous manquer, parce que pour nous elle était une vraie ressource », ironisait une autre.

Lucien Mpama