Jean Goubald Kalala : « Il faut que le Congo d’aujourd’hui soit dirigé par l’amour et l’intelligence»

Mercredi 17 Avril 2019 - 19:36

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Un des trois artistes élus à Kinshasa à l’instar du chanteur Paul Balenza et du comédien Ados Ndombasi, le député qui doit sa renommée à son talent de chanteur et guitariste arbore désormais sa casquette de politique, sans délaisser la scène. Admiré aussi pour son franc-parler et sa verve coutumière, le souhait de ses pairs est de le voir prendre les commandes du ministère de la Culture et des arts. Dans cette interview accordée au Courrier de Kinshasa, le chanteur livre son opinion personnelle sur la question et le paysage politique actuel.

 Le député Jean Goubald KalalaLe Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Député, vous êtes pressenti ministre de la Culture. Ce serait une réponse à une attente des artistes ou votre vœu qui se réaliserait ?

Jean Goubald Kalala (J.G.K.)  : Les deux. Ce serait les deux car j’aimerais bien que, pour une fois, il y ait quelqu’un de la culture au ministère de la Culture. Nous avons évolué dans ce domaine, nous en connaissons les gens, les chemins et les détours. Si c’était moi à cette place, je ne refuserai pas.

L.C.K. : Une fois au ministère de la Culture, supposons-le, quel serait votre cheval de bataille ?

J.G.K. : Ce sera la culture, l’homme, car c’est la culture, disons l’art, un peu plus la musique qui abrutit un peu plus le Congolais aujourd’hui. L’on doit commencer par une censure pas très méchante, mais élégante pour élever les textes dans les chansons, élever les "atalaku" dans leur façon de lancer les cris. Si l’on est "atalaku", cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas avoir un discours positif, c’est possible, c’est faisable.  

L.C.K. : C’est la musique qui semble mieux lotie au ministère de la Culture … Les plasticiens passent pour les laissés-pour-compte

J.G.K. : J’ai cité la musique parce que mon slogan de campagne était « Investir dans l’humain ». Vous le savez, la lecture, c’est quelque chose qu’il faut emmener vers le Congolais, le forcer à aimer le livre. Je n’en parle pas parce que ce sera un autre combat car il faut créer de l’émulation dans les élèves, etc., comme ce fut le cas autrefois. Organiser des concours et primer les meilleurs de sorte à stimuler les autres à suivre le mouvement. Le livre, les arts plastiques, c’est aussi mon monde. Il faudrait créer des espaces comme le « wenze ya bikeko » à l’instar de ceux qui existaient avant. Et, dans ces domaines-là, créer aussi de l’émulation, par exemple, dans le chef des menuisiers qui exposent du côté de Binza Delvaux- Météo, car ils pratiquent aussi de l’art. Il faut créer une certaine facilité pour eux, leur donner des moyens. Le Fonds de promotion culturelle existe et je me demande ce qu’il fait. Il y a plein de talents à propulser. Mais parfois, le ministère est dirigé par des gens qui n’ont rien à foutre avec la culture. Des gens, comme qui dirait, le reçoivent comme une sorte de récompense en termes de partage de gâteau. Il faut vraiment que la chose culturelle soit tenue par des culturels.

L.C.K. : Qu’en est-il des avancées de la loi sur la politique culturelle au niveau du parlement ?

J.G.K. : Nous sommes pour l’heure occupés à mettre les choses en place, notamment le règlement d’ordre intérieur, etc. Dès que l’on sera vraiment assis, c’est l’une des premières choses sur lesquelles j’aimerais me pencher. Par ailleurs, j’ai fait un tour à la bibliothèque du parlement, j’ai été estomaqué ! J’ai appris qu’un couturier européen mort récemment avait dans sa bibliothèque personnelle cent trente mille livres alors que celle du parlement ne ressemble à rien. Tout le monde n’est pas que juriste au parlement ! L’on devrait y avoir une bibliothèque assez fournie et créer aussi cet engouement pour la lecture au parlement parce que si un homme politique ne lit pas, à quoi ressemble-t-il ? J’ai essayé de voir la polyclinique, elle ne ressemble à rien, l'entretien des toilettes..., car tout cela c’est de la culture aussi.

L.C.K. : Quelle lecture faites-vous du climat politique actuel ?

J.G.K. : Il y a beaucoup trop de nuages dans ce ciel politique congolais. Mais il faut se le dire, le changement est déjà entamé. Celui qui essaiera de l’obstruer sera emporté par le vent du changement. C’est une période qui commence, je crois que le Congo a besoin d’aller de l’avant, c’est peut-être encore timide, mais je crois que c’est déjà le départ.  

L.C.K. : Comment définissez-vous ce changement dont vous parlez ?

J.G.K. : Le changement veut dire considérer l’autre, le prendre avec sa valeur d’humain. En observant les salaires aujourd’hui, l’on a l’impression que l’homme qui dirige l’autre ne l’aime pas, pourtant l’on doit diriger l’autre en l’aimant. Il faut que le Congo d’aujourd’hui soit dirigé par l’amour et l’intelligence. Et l’amour nous porte à considérer l’autre comme soi-même. L’on ne peut pas avoir de gros salaires alors que certains manquent le minimum essentiel. C’est le moment où les choses doivent changer surtout que le Congo est le pays le plus riche du monde. En fait, lorsqu’on écarte l’homme, le Congo vaut à peu près vingt-deux mille milliards. Mais pourquoi vaut-il moins quand l’homme est pris en compte ? C’est qu’il y a un problème avec l’homme. C’est ce que je disais en campagne. Investir dans l’humain, son intelligence, son amour surtout.

L.C.K. : Quel est votre avis sur le débat autour de la restitution du Palais du peuple aux artistes comme exigé par plusieurs d’entre eux ?

J.G.K. : Je crois qu’ils n’ont pas tort. Le Palais du peuple a été créé pour ce fait, le siège du parlement est normalement situé à l’actuel Palais de la nation où travaille le président. C’est là qu’il était autrefois établi. Si l’on remettait aux artistes leur bien, le Palais du peuple, cela ne me dérangerait pas car je suis de part et d’autre du côté commun, artiste et parlementaire, donc si l’on me remet ce bien là en tant qu’artiste, cela me conviendrait. Il me reviendra de droit pour de vrai.  

L.C.K. : Pendant les cinq ans de mandat, mettrez-vous entre parenthèse votre carrière d’artiste ? 

J.G.K. : La loi ne l’interdit pas, c’est un métier libéral, à l’exemple d’un médecin ou un avocat qui exercerait dans le privé. Ce que la loi interdit, c’est de combiner deux fonctions de l’Etat, être à la fois ministre et député, par exemple. Artiste, je le reste. Le 23 mars, dans la cadre de la Francophonie, je suis intervenu sur la scène de la Halle de la Gombe. Par ailleurs, c’est la scène qui m’envoie en politique. C’est par son biais que je me retrouve en politique parce que ma campagne a été faite depuis longtemps par mes chansons. Cela ne rejoint que mon idée d’investir dans l’homme.  

L.C.K. : Vos messages passent donc bien au point qu’il y aurait des gens pour vous suivre et soutenir au-delà de la scène ?

J.G.K. : Oui ! Mais, au tout début, lorsque je sortais mes albums, c’était assez difficile. À présent, j’ai l’impression que des gens suivent, certains même regrettent, disant : « Tu vas nous abandonner ! ».  

L.C.K. : Revenons-en à votre campagne. Comment l’avez-vous battue ?L’affiche de campagne de Jean Goubald Kalala

J.G.K. : Simplement. Je jouais juste mes chansons et les expliquais. J’arrivais à un endroit, balançais mes chansons et leur disais : « Maintenant, je veux aller là-bas, porter ce discours aux décideurs. Parce que je vous l’ai porté à vous mais trop peu l’ont suivi, alors il faudrait que j’y aille ».

L.C.K. : Lesquelles de vos chansons vous ont servi pour votre campagne ?

J.G.K. : En dehors des chansons où j’encense la beauté de la femme, ce sont toutes les autres. Il y a "Africano", "Géant Orfa", "Zorro", "Bwanya wapi ?", "Longembu", "Normes". Mes chansons sont pleines de messages. Dans "Africano", je dis : « Assis sur du trésor, tu vis dans la misère ». C’est ce que nous sommes. Le Rwanda à côté nous vole des bribes. Ce sont les déchets d’ici qui font la force du Rwanda, il est donc temps que nous fassions quelque chose avec le tout en notre possession. Dans le monde, on parle des gens qui pillent les déchets et nous qui sommes assis sur les richesses, le nkita, nous ne savons rien en faire. Pourquoi le bois quitte notre pays et nous revient sous forme de meuble et ne le transformons-nous pas ? Pourquoi notre cuivre sort du pays et nous devons acheter les câbles, qu’est-ce qui manque pour en faire nous-mêmes ? Le problème c’est au niveau de l’homme, du commandement. Il nous faut des visionnaires, des gens qui voient et voient loin, des aigles.

L.C.K. : Pensez-vous être de ceux-là  ?

J.G.K. : Je crois  oui. Il faut que je le dise car je n’aime pas trop la fausse modestie. Pour avoir ces yeux-là, il faut commencer par regarder à  l’Éternel. Ce sera comme un effet de réflexion. Regarder à l’Éternel qui réfléchit votre regard vers ce qu’il convient de faire.

L.C.K. : Quelle est votre vision du Congo  ?

J.G.K. : Elle commence par l’homme. C’est l’homme congolais qu’il faut changer. Il ne faut pas y aller par quatre chemins. Réaliser le progrès de ce pays, c’est réaliser le progrès de l’homme intégral, dans son esprit, son âme, sa chair. Il faut s’attaquer à l’âme, c’est-à-dire à son instruction, l’école. Lorsqu’on s’attaque à l’école, cela revient à dire que l’on donne à l’enseignant un salaire décent. Des enseignants qui ont faim n’auront pas la volonté de se donner à fond pour transmettre la connaissance aux élèves. Il faut veiller à l’homme dans sa santé, il faut le soigner. Si déjà la polyclinique du parlement laisse à désirer, qu’en serait-il de celle de Kisenso ? Si la bibliothèque du parlement c’est celle que j’ai vue, qui parlera du livre à Mikondo ? Nous devons changer la donne, même si aujourd’hui l’on peut s’instruire via internet, mais le Congolais n’aime pas l’instruction, c’est là justement que réside le problème ! J’ai toujours fait la différence entre un intellectuel et un diplômé. Au Congo, il y a plein de diplômés, c’est pour cela que parfois, l’on trouve des gens en train de tricher parce qu’il faut avoir un diplôme à tout prix ! Mais au sommet de l’Etat, cela coûte quoi de s’instruire vraiment ? Lorsqu’on le fait, on garde ce que l’on mange dans l’esprit. Le diplôme n’est rien d’autre qu’une prétention d’un connaître que l’on n’a peut-être pas. Le vrai connaître, on le possède, il faut emmener l’homme à se construire pleinement parce que Christ le dit : « Mon peuple périt faute de connaissance », donc il faut connaître, emmener les gens à connnaître.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Le député Jean Goubald Kalala Photo 2 : L’affiche de campagne de Jean Goubald Kalala

Notification: 

Non