Jean-Jacques Demafouth : « Sans la médiation du Congo, la Centrafrique aurait brûlé depuis »

Jeudi 12 Décembre 2013 - 16:37

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À bord du vol régulier d’Air France pour regagner son pays via Brazzaville, ce mercredi 11 décembre, après le sommet de l’Elysée, Jean-Jacques Demafouth, ministre-conseiller chargé du programme de Démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR), de la réforme du secteur de sécurité et des relations avec la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) auprès du président de transition de Centrafrique, Michel Djotodia, s’est confié aux Dépêches de BrazzavilleFigure politique centrafricaine connue - il a été notamment ministre sous feu le président Ange-Félix Patassé - cet avocat de 54 ans, qui nourrit toujours l’ambition de diriger son pays, malgré deux échecs successifs, lors des élections présidentielles de 2005 et de 2011, parle en connaissance de cause de la crise que traverse la Centrafrique : l’intervention française, la force africaine, les accords de Libreville, la médiation du président Denis Sassou N’Guesso. Autant de questions qui font l’actualité d’un pays que l’on dit au bord du chaos, et qu’il aborde en homme de terrain

Les Dépêches de Brazzaville : La Misca sera opérationnelle officiellement le 19 décembre. Mais l'on voit qu'elle est devancée par l’opération française Sangaris, active sur le sol centrafricain depuis le 5 décembre. Qu'est-ce qui explique cette répartition des rôles que d’aucuns ont assimilé à de la précipitation ?

Jean-Jacques Demafouth : J'ai participé à plusieurs réunions à Addis-Abeba, en Ethiopie, sur la situation en Centrafrique, avec une délégation congolaise dirigée par le général François Osselé, directeur des opérations à l'état-major général des Forces armées congolaises. Nous avons notamment travaillé sur le concept des opérations de la Misca. Cette force s'installera effectivement le 19 décembre. Mais nous avons constaté en Centrafrique que dans l'intervalle du passage de commandement entre la Force multinationale d'Afrique centrale (Fomac) et la Misca, la situation sécuritaire était en train de se dégrader. C'est à ce titre que les autorités de transition ont écrit à la fois à la France et au Conseil de sécurité des Nations unies pour demander, par anticipation, la mise en place d'un dispositif capable d'endiguer le phénomène de criminalité qui était en forte augmentation sur le terrain.

LDB : Après son lancement l’opération française est l’objet de critiques de la part des ex-Séléka, pour qui les soldats français les désarment sans les protéger contre les meurtres et exactions imputés aux anti-Balakas. Quelle est votre opinion ?

J.-J.D. : Vous savez, les opérations militaires de ce type doivent être préparées minutieusement. Nous entendons effectivement ces plaintes depuis Paris où nous séjournions dans le cadre du sommet de l'Elysée. Nous rentrons précipitamment au pays pour cela et, dans le cadre du Conseil national de sécurité, nous allons nous réunir avec l'état-major français pour essayer de rectifier le tir. Notons que cette situation des violences signalées dans le pays et à Bangui vient aussi du fait qu'il y a une semaine, le climat de belligérance s'est exacerbé entre les anti-Balakas et les Séléka. De ce point de vue, mener une intervention en ciblant exclusivement une partie peut être de nature à compliquer les équations. Par expérience, une opération de désarmement est toujours délicate. Il faut dans le cas d'espèce y associer les responsables des anti-Balakas et ceux des Séléka, les mettre en garde de façon à ce qu'ils collaborent et qu'on mette un terme à la justice populaire.

LDB : Dans une interview qu’il a accordée à la presse en marge du sommet de l’Elysée, le président français, François Hollande, a estimé que le président de transition, Michel Djotodia, n'était pas l'homme de la situation et qu'il devait partir. Un commentaire ?

J.-J.D. : Ce sont ses propos et c'est lui qui juge ainsi. Ce que je sais c'est que le président Djotodia a pris l'engagement de ne pas être candidat aux prochaines élections, et il a même accepté le principe d'élections anticipées. À partir de ce moment, c'est quelqu'un qui se prépare à partir, et la seule chose que la communauté internationale et les Centrafricains puissent lui demander, est de bien organiser les futures élections. Si le processus de transition et le processus électoral se déroulent dans les meilleures conditions, le peuple centrafricain lui en sera reconnaissant ; il sera reconnaissant au Premier ministre, ainsi qu'au président du Conseil national de transition, car ce sont les trois principales autorités qui dirigent la transition en Centrafrique.

LDB : Lorsque la crise a éclaté dans votre pays, fin 2012- début 2013, la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) a pris un certain nombre de dispositions, parmi lesquelles les Accords de Libreville et la désignation d’un Comité de suivi confié au président congolais, Denis Sassou N'Guesso. Croyez-vous toujours à la feuille de route de la CEEAC ?

J.-J.D. : Nous ne nous sommes pas écartés du chemin tracé par la CEEAC. Nous sommes conscients que lorsque le feu a éclaté chez nous, ce sont nos frères d'Afrique centrale qui, les premiers, ont apporté de l'eau pour éteindre l’incendie. Nous sommes toujours dans le cadre des Accords de Libreville et dans l'application des déclarations des différents sommets de la CEEAC tenus à N'Djamena au Tchad.

LDB : Il n'empêche que certains de vos compatriotes considèrent aujourd'hui les Accords de Libreville comme caducs.

J.-J.D. : Retenez une chose : si lorsqu'une solution est en vue il faut l'abandonner pour tout recommencer à zéro, on ne s’en sortira jamais. Nous avons un cadre de travail que nous suivons, nous avons une charte de la Transition qui est une constitution en soi, qui fixe les règles du jeu concernant les mandats du président de la République, du Premier ministre et du président du Conseil national de transition, des membres du gouvernement. Ce cadre met en place une Cour constitutionnelle provisoire, une Agence nationale pour les élections, une Autorité nationale pour la communication. Nous avons donc des structures qui sont en place et qui permettent de conduire la transition. Nous avons, en plus, un président du Comité de suivi des Accords qui est le président Sassou et qui a son représentant spécial sur place, le général Essongo. Faisons avec ces structures au lieu de vouloir retourner en arrière ! Cela fait des décennies que la République centrafricaine souffre et si nos voisins sont à nos côtés, c'est une très bonne chose. La France est là pour appuyer les efforts de l'Afrique centrale. Et d'ailleurs, l'ossature de la Misca, tout comme celle de la Fomac, est constituée des pays de la sous-région : en plus des Congolais, des Gabonais, des Tchadiens, des Camerounais, les Burundais vont arriver. Ce sont les Africains qui doivent régler les problèmes des Africains, et un partenaire comme la France vient en soutien logistique parce qu'il en a les moyens.

LDB : La France déplore deux soldats tués au cinquième jour de sa mission. Y a-t-il un risque de durcissement des positions des uns et des autres ?

J.-J.D. : Les opérations de cette envergure sont parfois difficiles. Il faut regretter ce qui est arrivé. Mais vous savez que le Congo a aussi payé un lourd tribut dans la pacification de la Centrafrique. Souvenez-vous, en 2003, lors de la prise du pouvoir par l'ancien président François Bozize, des militaires congolais sont tombés. Il y a six mois, d'autres militaires congolais sont morts dans les environs de la localité de Bambari. Il y a une semaine de cela, un soldat congolais a été tué et un autre grièvement blessé à Bossangoa. C'est en cela que je parle du sacrifice qu'endure le Congo pour la cause centrafricaine.

LDB : Demander l'aide des voisins de la sous-région, ou l'aide de la France, c'est bien, mais les Centrafricains eux-mêmes devraient pouvoir accompagner le processus, à commencer par les autorités de transition. Dites-nous si le président de la République de transition, le Premier ministre de transition et le président du Conseil national de transition travaillent dans la bonne entente ?

 J.-J.D. : C'est bien le cas. Je vous rappelle que le 21 octobre 2013, nous étions à N'Djamena à un sommet extraordinaire de la CEEAC. Au cours de celui-ci, les présidents Sassou N'Guesso et Idriss Deby avaient proposé la tenue d'un dialogue politique inclusif entre Centrafricains avant la tenue des élections. C'est pour dire que dans le schéma proposé par l'Afrique centrale pour la sortie de crise, il y a une volonté d'anticipation dont il faut se féliciter. C'est ici que je rends hommage au président Sassou. Il y a des choses qui se passent en public, que tout le monde voit, mais il y en a d'autres, plus essentielles peut-être qui ne sont pas connues de tous et ne sont pas médiatisées. Je vais vous dire une chose, la Centrafrique aurait pu brûler il y a longtemps s'il n'y avait pas les dispositions prises par la médiation conduite par le Congo. Et depuis que le président Sassou N'Guesso a reçu les trois autorités de la transition centrafricaine à Oyo pour leur parler, les rapports sont cordiaux.

LDB : La charte de transition n'autorise ni le président, ni le Premier ministre ni le président du Conseil national de transition, de se présenter aux élections. Ce n'est pas votre cas. Comment envisagez-vous votre avenir politique ?

J.-J.D. : (Sourire...) Il n'y a pas deux sans trois. C'est un scoop pour Les Dépêches de Brazzaville car vous êtes le premier journal à qui je me confie sur cette question de ma candidature à la future élection présidentielle. Ce sera une compétition et j'y participerai en toute sportivité.

Propos recueillis par Gankama N'Siah et Valentin Oko

Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Jean-Jacques Demafouth. Photo 2 : Jean-Jacques Dematouth et un conseiller du Premier ministre de transition, Nicolas Tiangaye.