Jean-Michel Mbono : « La triche d’âge est une gangrène pour le football africain »

Samedi 7 Octobre 2017 - 8:53

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De passage à Paris pour des raisons de santé, Jean-Michel Mbono fait le point sur la situation des Diables rouges et de leur sélectionneur Sébastien Migné. Au cours d’un entretien fleuve, il évoque également la problématique de la triche dans les catégories de jeunes, le financement du football congolais, les prochaines échéances sportives et l’élection à la présidence de la Fécofoot, qui se tiendra en novembre 2018.

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Président, les Diables rouges se déplaceront le 8 octobre en Egypte pour la 5e journée des éliminatoires comptant pour le Mondial 2018. Malgré l’élimination déjà acquise du Congo, l’enjeu de ce match semble important dans la logique voulue par le sélectionneur, de renouvellement de l’équipe. Quel est le sentiment du président de la Fécofoot avant ce match ?

Jean-Michel Mbono (JMM) : Effectivement, nous sommes éliminés de la course à la Coupe du monde 2018. Mais l’enjeu demeure immense, car nous nous devons de préparer au mieux notre objectif principal : la qualification à la CAN 2019. Ces matchs de haut niveau face à des équipes comme le Ghana, le mois dernier, ou l’Egypte, dimanche, doivent nous permettre de répondre présents face au Zimbabwe, en mars prochain.

LDB : Le renouvellement opéré par le sélectionneur, c’est un objectif partagé par la Fédération congolaise de football ?

JMM : Je suis très satisfait quant à notre collaboration avec Sébastien Migné. Il entreprend un chantier difficile, celui de lancer un nouveau cycle chez les Diables rouges. C’était nécessaire et la Fédération congolaise de football le soutient dans cet objectif. Nous savons que c’est un chantier qui nécessite du temps et nous tâcherons de lui en donner. En tant que président, et qu’ancien joueur, j’aime sa façon de fonctionner.

LDB : Quelle analyse faites-vous des deux rencontres face au Ghana, le mois dernier ?

JMM : il s’agit de matchs de préparation. Et forcément, quand on essaye de nouveaux joueurs, on peut perdre des matchs. Après, bien évidemment, il ne faudrait pas que les prochains matchs se soldent par des 5-0 ou 6-0, car cela fragiliserait le projet de renouvellement.

LDB : Lors de ces deux matchs face au Ghana, quels nouveaux joueurs vous ont marqué ?

JMM : Tobias Badila, Fernand Mayembo, me semblent être de très bons renforts. Je ne vais pas citer tout le monde, mais j’ai vu de la qualité.

LDB : Les garçons que vous venez de citer, mais aussi Pambou, Illoy-Ayyet, Saint-Louis découvrent la sélection et le haut niveau international, n’aurait-il pas été idéal pour eux et pour le Congo de s’étalonner d’abord en sélection U23 ?

JMM : Effectivement, cela serait préférable. Les sélections de jeunes ont pour but de préparer l’équipe nationale A. C’est parce que la formation est importante que je pense qu’il est primordial que la Confédération Africaine de Football organise des compétitions de jeunes interclubs, calquées sur la Ligue des champions et la Coupe de la Confédération. Car je pense que cela reste le meilleur moyen de lutter contre la triche dans les catégories de jeunes.

LDB : Vous étiez engagé en tant que président de la Fécofoot à développer le football des jeunes et avez été rapidement confronté aux réalités économiques. Comment imaginez-vous donc qu’un tel projet continental puisse voir le jour ?

JMM :  La CAF et la FIFA prônent le développement du football des jeunes. La CAF se doit donc d’être ferme tout en aidant les clubs. Il faut qu’elle exige que chaque club soit doté d’une équipe cadette, d’une équipe junior, capable de disputer des compétitions interclubs.

LDB : Dans toutes les catégories d’âges ?

JMM : A terme, oui. Maintenant, il faut bien commencer par quelque chose, par exemple par les U17.

LDB : Mais les clubs vont dire qu’ils ont déjà du mal avec le budget de l’équipe première et qu’ils n’ont pas l’argent pour des équipes de jeunes.

JMM : Commençons avec ceux qui pourront le faire, même si on doit faire un championnat à 6 équipes, puis à 8, puis à 10 et ainsi de suite. Avec le temps, tout le monde y viendra, car cela améliorera la qualité de la formation, c’est certain.

LDB : Vous dites que c’est un bon moyen de lutter contre la triche d’âge. Mais concrètement, qu’est ce qui empêchera ceux qui trichent en sélection de jeunes de le faire en club ?

JMM : La triche d’âge est une gangrène pour le football africain : elle permet aux poids lourds de combattre face aux poids plumes et met à mal les valeurs du sport. En multipliant les équipes et les compétitions de jeunes, on permettra à nos enfants de s’épanouir face à des joueurs de leurs âges, tout en leur offrant une vitrine pour laquelle ils n’auront pas besoin de tricher. Tout le monde y gagnera, à termes, y compris les clubs, car je suis persuadé qu’ils vendront mieux leurs joueurs lorsque la suspicion qui entoure le football africain sera levée. Je pense aussi que la CAF doit être plus sévère avec les tricheurs à postériori : dans d’autres sports, on retire le titre d’un champion quand il est avéré qu’il a triché.

LDB : De manière concrète, comment lutter contre ce phénomène ?

JMM : Je pense qu’on identifiera plus facilement les joueurs en multipliant les compétitions. On retrouvera dans les sélections de jeunes les meilleurs éléments des équipes de jeunes des clubs. On gagnera donc en lisibilité et en crédibilité. Aujourd’hui, à part nos amis d’Afrique du nord, quels pays peuvent se targuer d’avoir des clubs qui ont des catégories U15, U17, U20… ? Il faut donc que nous redoublions d’efforts, tous, pour systématiser le football des jeunes dans nos pays.

LDB : En parlant de sélections de jeunes, où en est-on au Congo ?

JMM : Nous sommes au cœur de ce sujet, justement, avec la disqualification de notre équipe cadette, en février dernier, en raison de l’inéligibilité d’un de nos joueurs (ndlr : Langa Lesse Bercy). C’est pour cela que je veux porter ce projet de compétitions de jeunes interclubs.

LDB : Chez les séniors, outre les éliminatoires de la CAN 2018, en mars, l’actualité phare est la participation au Chan 2018. Mais aussi la reprise du championnat national. Avez-vous déjà une date en tête ?

JMM : Nous tendons vers l’uniformisation du calendrier, comme l’exigent la Fifa et la CAF. Mais nous devons prendre en compte, comme les autres équipes qualifiées, la participation au CHAN, qui concernent logiquement nos meilleurs joueurs locaux.

LDB : Les compétitions interclubs débuteront en février 2018. Pour ne pas pénaliser les équipes congolaises qualifiées, vous comptez donc mettre le championnat en conformité avec le calendrier de la CAF ?

JMM : Je sais que les gens voudraient que ça aille plus vite, mais c’est un travail de longue haleine que nous avons mis en place. Je voudrais rappeler que nous avons débuté la formule directe du championnat avec 20 équipes, puis 18. Et nous visons de le faire à 16 équipes l’an prochain et de stabiliser ce chiffre à 14 participants lors de l’édition suivante pour tendre vers la mise en conformité sur le calendrier international.

LDB : Un autre évènement se profile en 2018 : les élections fédérales. Parle-t-on à un futur candidat ou à un président démissionnaire ?

JMM : Nous sommes à treize mois de la fin de mon mandat et, aujourd’hui, je suis concentré à 100% sur les échéances que nous venons d’évoquer. Pour autant, je ne suis pas démissionnaire. Présider la destinée du football congolais, ce n’est pas un métier, c’est une mission. Je pense l’avoir bien menée au regard de ce qui a été accompli depuis mon élection en 2010 : mise en place des textes qui faisaient défaut au sein de l’instance, participation des U17 à la CAN et au Mondial 2011, victoire en Coupe de la Confédération de l’AC Léopards en 2012, victoire aux Jeux de la Francophonie 2013, qualification aux Chan 2014 et 2018, qualification à la CAN 2015, présence du Congo dans le top 12 africain en 2012 et 2016, ce qui a abouti à la qualification d’un quatrième club congolais en compétitions interclubs, organisation des championnats directs de Ligue 1 et Ligue 2 depuis 2015, tenue de la Coupe du Congo, sous le patronage du chef de l’Etat, obtention d’une subvention de l’Etat pour les clubs, acquisition d’une ambulance et de deux bus de haut-standing. J’ai aussi œuvré pour que le plan Goal 3 soit appliqué, c’est-à-dire la pose d’un terrain synthétique au Stade Massamba-Débat et pour que le stade Denis Sassou Nguesso de Dolisie soit également doté d’une pelouse synthétique. J’avais promis ce cadeau au président Ayayos et au moment où je vous parle les travaux ont commencé. La Fédération congolaise sera également bientôt dotée d’un siège, dont les travaux sont en cours. Tel est mon bilan et je le revendique. Et je tiens à rappeler que la Fécofoot a fonctionné sans aide de l’Etat.

LDB : Mais vos détracteurs pourront parler du football de jeunes, du football féminin, des résultats décevants des clubs congolais sur la scène continentale.

JMM : Je leur répondrais, par exemple, que le championnat féminin démarre le 10 octobre, avec 8 équipes de Pointe-Noire, Brazzaville et Dolisie. C’est la première étape vers le retour d’une sélection féminine.

LDB : Cela ressemble à un argument électoral de la part d’un candidat à sa réélection…

JMM : Je vous redis que je ne suis pas démissionnaire. On verra lorsque commencera la campagne. Mais d’ici-là, je ne veux pas disperser mon entourage, car nous avons beaucoup d’enjeux à relever dans les prochains mois. Nous ne pouvons pas perdre de temps et d’énergie en rentrant trop tôt dans la campagne électorale. Que ceux qui veulent déjà s’y lancer le fassent, mais qu’ils ne gênent pas le bon déroulement du football congolais.

LDB : Vous avez signalé que la Fécofoot fonctionnait sans aide de l’Etat. Quel est donc le mode de financement de la Fécofoot : subventions de la CAF et de la FIFA ?

JMM : C’est un exercice difficile qui nécessite d’élaborer des scénarios. Je songe, par exemple, à engager un processus révolutionnaire : un référendum de solidarité pour le football. Il s’agirait de demander à 1 million de salariés une contribution volontaire de 500 francs CFA par mois pendant une durée de 4 ans. Cela doterait le football congolais d’un budget de 500 millions de francs CFA par mois. Avec un tel budget, nous pourrions subventionner les clubs afin qu’ils développent leurs infrastructures, leurs équipes de jeunes, leurs équipes féminines et leurs équipes fanions. Les clubs pourraient ainsi conserver leurs meilleurs joueurs, ce qui permettrait d’élever le niveau général des championnats et d’améliorer la qualité du spectacle dans les stades. Avec une meilleure formation et en dotant les joueurs de contrats, les clubs obtiendront un retour sur investissement au moment de transférer leurs joueurs. Avec ce budget, nous pourrions aussi améliorer la formation et la dotation en équipements de nos arbitres avec, là aussi, un impact direct sur la qualité du jeu. Les arbitres sont, comme les joueurs, la cheville ouvrière du football car sans eux, il n’y a pas de matchs. En traitant mieux nos arbitres, qui dépendent trop souvent de l’affluence insuffisante dans les stades, nous réglerions en amont les éventuels problèmes de corruption.

LDB : Dans le contexte économique actuel, ne serait-il pas plus logique de faire plutôt appel aux entreprises privées, par le biais du sponsoring et de la publicité dans les stades, qu’aux foyers congolais ?

JMM : Les Congolais aiment le sport et je suis persuadé que, s’ils savent que cet argent servira au développement du football et pourquoi pas des autres disciplines, ils accepteront ce principe de contribution populaire. Mais face aux difficultés qu’éprouve l’État à subvenir aux joueurs appelés à défendre les couleurs du pays à l’étranger lors des compétitions internationales, il faut trouver des solutions intermédiaires. Certaines entreprises gagnent beaucoup d’argent et si elles prenaient un peu de ce qu’elles gagnent, de façon désintéressée, pour créer un fonds d’aide aux footballeurs et aux sportifs, je pense qu’elles gagneraient beaucoup en honorabilité et en crédibilité. Les athlètes ont toujours beaucoup donné au pays sur la scène internationale. Il faut donc que l’État ne soit plus seul au moment de soutenir nos sportifs, bien que cela fasse partie de ses fonctions régaliennes. Les sportifs donnent du plaisir à tout le monde, il est donc normal que chacun, entreprises ou particulier, puisse soutenir nos héros des stades. Ça représenterait un petit effort, voire infime pour les grandes entreprises, qui permettrait à nos sportifs d’être encore plus performants et de nous offrir un spectacle encore plus passionnant. 

Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Pour Jean-Michel Mbono, la triche d'âge est un fléau pour le football africain (image d'archive JGE/ADIAC)

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