Jean-Paul Safou : « Il faut effacer le côté rural qui domine nos villes »

Mercredi 23 Juillet 2014 - 15:45

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Congolais de l’étranger, basé en France, Jean-Paul Safou est aménageur urbain. Expert en transport urbain et logistique internationale, il vient de publier un essai : « Villes en Afrique : entre urbanité et ruralité ». Profitant de son séjour au pays, c’est avec un regard critique de spécialiste qu’il observe la métamorphose que connaissent certaines villes comme Brazzaville et Pointe-Noire. Dans un entretien exclusif avec Les Dépêches de Brazzaville, il donne son avis sur l’urbanisation au Congo, décline ses ambitions et exprime son rêve d’être au service de son pays

« Ce n’est pas que le pays est mal construit mais on a toujours besoin des idées des uns et des autres pour aller vers un but, car la ville joue un rôle important dans le développement économique d’un pays », déclare Jean-Paul Safou d’entrée de jeu. Sa principale préoccupation : rencontrer les autorités du pays, et notamment municipales, pour partager ses idées et son projet. « Le but du jeu est de réveiller cette problématique d’urbanisation et sa mise sur la place publique pour qu’ensemble, on apporte des retouches à travers un schéma clair pour nos villes qui souffrent d’un manque de politique d’orientation dans tous les domaines », explique-t-il.

Le problème, dit-il, c’est que « nos villes sont en fait des zones industrielles héritées de la colonisation » et « ce que nous appelons poliment "villes" ne sont en fait à l’origine que des entrepôts. » D’où ce clivage en deux pôles avec, d’un côté, une cité européenne et, de l’autre, la cité populaire ou village africain qui était constitué de dortoirs pour le personnel indigène. Aujourd’hui, ce décor est devenu naturel et « les gens ne perçoivent plus ni l’erreur ni le défaut pour pouvoir apporter des corrections ». Le résultat se lit à travers un mélange d’habitat traditionnel et moderne qui contraste avec les villes modernes que nous voulons bâtir et qui nécessitent une cohérence dans la politique de l’habitat. « Faute de quoi, on ira vers un échec », ajoute l’expert.

Faut-il construire de nouvelles villes ?

« Je ne suis pas pour la construction de nouvelles villes. Je suis pour la réorganisation de l’aménagement du territoire. Il y a certes beaucoup à faire à Brazzaville mais la force de la loi suffit pour obtenir des résultats », se défend Jean-Paul Safou qui pense que pour changer nos villes, la solution repose sur l’application de la loi. « Si l’on veut moderniser nos villes, la loi doit frapper de façon impersonnelle. Il faut de la communication et de la pédagogie en expliquant les enjeux aux populations. Autrement dit, une nouvelle ville ne résout pas le problème tant que les mêmes comportements persistent. Le même esprit qui a régné à Brazzaville ou Pointe-Noire sera développé dans la ville nouvellement créée… »

Adepte d’une gestion participative, l’expert souhaite l’implication des populations dans l’élaboration de ce type de politique ou projets car elles sont les premières concernées. Et d’ajouter : « Une décentralisation effective est importante pour permettre aux populations de s’exprimer. »

Africain au contact de la réalité occidentale, Jean-Paul Safou entoure sa conception de la ville d’un savant dosage. Jugez : « je pense qu’il faut aussi innover. Je prends l’exemple de Turin (Italie) qui, en son centre, a gardé les vieilles bâtisses et la ville moderne a ceinturé ce centre. En fait, une ville doit parler ; une ville a une histoire à véhiculer. Chaque endroit doit renseigner sur l’histoire de la ville. »

« L’État doit intervenir pour accompagner la croissance urbaine »

On constate aussi que les villes africaines, et congolaises en particulier, s’étendent indéfiniment au lieu d’évoluer verticalement. Interrogé sur ce phénomène, l’aménageur urbain a mis à l'index le foncier qui prime dans la société africaine. Et le Congo, qui n’y échappe pas, offre des exemples de ce dérapage socio-culturel. « Je propose que nous définissions des zones d’aménagement concertées. L’État doit intervenir pour accompagner la croissance urbaine qui, en soi, n’est pas un problème. » Encore un problème de loi à faire appliquer en orientant les propriétaires fonciers qui souvent prennent les pouvoirs publics de court. « Chez nous, les humains précèdent les infrastructures de base. C’est ainsi que l’on voit des zones entières où il n’existe aucune structure sanitaire, aucun dispositif pour l’eau ou l’électricité  alors que les gens y habitent déjà… Il faut qu’on inverse la tendance », commente t-il.

Au sujet des érosions qui menacent nos villes…

« Il faut lutter contre l’occupation anarchique. On n’occupe pas un terrain pour le plaisir de l’occuper. C’est là que l’État doit intervenir », dit l’expert pour qui « la vie en ville a un coût. » Autant Jean-Paul Safou interpelle l’État, qui a un rôle important à jouer, autant il en appelle au devoir citoyen : « Le citadin a des droits mais aussi des devoirs. Le citadin ne doit pas être passif. Il doit participer au développement de la ville. Seulement, je me demande si la déontologie financière permet cette dynamique. »

… et de la municipalisation des départements du Congo

« On sent la volonté de l’État. Nous venons en soutien pour permettre des améliorations. Il faut l’aide de l’extérieur à travers les consultants que nous sommes. C’est l’harmonie qui fait la ville et le plan de construction doit contribuer à maintenir cette harmonie dans la ville », explique t-il. En parcourant son ouvrage, une idée jaillit, qu'il résume ici : « Il faut tout faire pour effacer le côté rural qui hante nos villes. Le rural a plus de place que l’urbain. Quand on sort du centre de Brazzaville par exemple, on est face à un contraste du fait de la forte dose de ruralité autant dans les comportements, les relations interpersonnelles que dans l’architecture générale. Il nous faut assumer pleinement la modernité sans rejeter nos traditions. Il faut que l’autorité agisse pour casser certains comportements hérités que je qualifie de "ruraux". La loi seule doit nous imposer un mode de vie. »

Bref, comment faire passer un projet d’un pôle à un autre et par quels moyens ? Que faire pour résorber les embouteillages dans la ville ? Telle sont les questions qui doivent guider le logisticien. Des problématiques que Jean-Paul Safou développe avec réserve dans le livre qu’il vient de publier, mais dont il garde la quintessence pour les pouvoirs publics dans le cadre des propositions qu’il souhaite leur soumettre.

Au fond, et à bien y regarder, sa démarche peut être considérée comme faisant partie de l’adhésion à l’appel du chef de l’État aux Congolais de la diaspora.

Jocelyn Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

Jean-Paul Safou, le 16 juillet 2014, lors de l'entretien avec Les Dépêches de Brazzaville (© Adiac).