King Kester Émeneya : sa rumba lui survivra

Jeudi 27 Février 2014 - 19:20

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L’artiste préparait son prochain album « This is me » dans lequel il avait consacré quelques titres à l’œuvre salvatrice de Dieu. 

La nouvelle est tombée tel un couperet en la matinée du 13 février. Les mélomanes kinois venaient, en effet, de se réveiller avec un cœur serré en apprenant la disparition, depuis la région parisienne, de Jean Émeneya Mubiala (57 ans). De quoi est mort le King ? Des spéculations sont allées bon train dans la ville. L’on évoque toutefois un infarctus tout en hésitant à le rattacher à sa lourde opération de cœur de 2012. Le « Roi de Masatomo » est bien parti dans l’au-delà.

Pour ceux qui suivent de près la carrière de cet artiste d’exception, il n’y a pas lieu de s’émouvoir lorsqu’on sait que son sort était scellé depuis trois ans. La maladie l’avait cloué au lit pendant des longs mois jusqu’à lui faire perdre certaines de ses facultés physiques. Kester Émeneya, qui avait foi en sa « guérison-miracle » après avoir passé les pires moments de sa vie dans un hôpital parisien, était revenu au pays à la faveur des élections de 2011 en battant campagne pour Adolphe Muzito, son bienfaiteur, alors candidat député à Kikwit. C’est dans cette ville qu’il signera son retour sur scène en se produisant au terrain Kazamba en présence d’une foule immense. Il alignera par la suite d’autres séries de productions avec son Victoria DTDB, forçant la nature et obnubilé par l’idée de présenter à ses fans une image plutôt requinquée.

Et pourtant, la maladie ne l’avait pas vraiment quitté. Sa glissade à la « Nuit de la Francophonie » au stade des martyrs en pleine exhibition de la danse « Kiwanzenza » était perçue comme un signe avant-coureur, même si l’intéressé avait ironisé en prétextant que ses chaussures Weston étaient inadaptées pour ce genre de podium. Malade, il n’avait plus les ressources physiques nécessaires pour tenir sur scène. Le sort a fini par avoir raison de son forcing. L’artiste qui réside en France depuis 1991 quitte la terre des hommes en laissant une progéniture nombreuse (onze enfants issus de quatre femmes selon des sources).

Une valeur artistique indéniable

De King Kester Emeneya - il est né le 23 Novembre 1956 à Kikwit dans la province de Bandundu - l’on retiendra un parcours musical fulgurant qui commença timidement dans l’orchestre les « Anges noirs » de Kikwit avant de prendre son envol en 1977 au sein de Viva-la-Musica qui lui servit de rampe de lancement. La passion de la musique avait pris le dessus sur les études qu’il avait amorcées à l’Université de Lubumbashi. Il s’affirma comme un leader à part entière à côté de Papa Wemba. « Ngonda », « Ndako ya Ndele », « Teint de Bronze » constituent ses premiers tubes à succès. Meneur d’hommes, il est parvenu à stabiliser l’orchestre et à faire oublier Papa Wemba en couvrant ses absences prolongées en Europe. En 1982, il crée son propre groupe, Victoria Eleison, en embarquant avec lui une dizaine de musiciens tels que Debaba, Ekoko Mbonda, Bengali Petit Prince, etc. contre la promesse d’une assistance financière de Kiamwangana Mateta, mécène et faiseur d’orchestres de l’époque. Plusieurs compositions renforceront le prestige du groupe, telles que « Ngambelo », « Okosi nga mfumu », « Sans préavis », « Surmenage », etc.

Kester Émeneya, c’est aussi cet artiste qui a révolutionné à sa manière la musique congolaise. Il a pu valoriser la deuxième voix dans un contexte musical dominé par les chanteurs-lead première voix, et donné de l’impulsion à la programmation musicale assistée par ordinateur. Il a opté pour une approche beaucoup plus moderne où l’orchestration habituelle est remplacée en grande partie par les synthétiseurs et une boîte à rythme. Le son électronique produit dans l’album « Nzinzi » sorti en 1987 et plus tard « Every body » consacre cette révolution musicale. Perfectionniste à souhait, il affine ses sonorités, améliore la programmation musicale et diversifie l’instrumentation. Kester Émeneya, c’est aussi le premier chanteur de sa génération à s’être produit au Zénith de Paris avec Abeti Masikini. Il retrouvera la même scène du Zénith début 2000. En 2002, il va prester au théâtre de l’Olympia avec Tabu ley comme invité spécial. Artiste de renommée internationale, King Kester s’est produit sur les cinq continents et ses plus célèbres tournées se sont déroulées notamment au Japon en 1991 et en Amérique du Nord. Avec près de 500 chansons à succès, il restera à jamais dans les esprits comme un artiste prolixe et bosseur. Ses spectacles ont toujours attiré du monde. Installé en France en début des années 90, il est revenu au pays pour livrer un concert en 1997 au stade des Martyrs de Kinshasa.  

Enfin, King Kester Émeneya, c’est aussi ce passionné de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) qui rivalisa avec les cracks de cette mouvance en portant haut certaines griffes telles que « Masatomo » et « Versace ».  Les dernières lignes de sa riche discothèque ont été enrichies par les albums « Longue histoire » et « Le jour le plus long ». Kinshasa se prépare à rendre un hommage mérité à ce digne fils du pays.

 

 

 

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Kester Émeneya