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La chute du camp météo

Vendredi 6 Septembre 2013 - 9:49

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Vendredi 30 août 1968, peu avant midi, les crépitements des mitrailleuses déchirent l’air. La psychose s’installe dans tous les quartiers de Brazzaville. Quand la capitale tousse le Congo s’enrhume. Dans l’après-midi, pendant  que les coups de mortier retentissent, l’État d’urgence est proclamé dans le pays. Les populations habitant aux environs du camp Météo, à Bacongo, sont priées d’évacuer immédiatement leurs domiciles pour se mettre à l’abri. Une atmosphère lourde s’installe dans la ville, aggravée par le couvre-feu décrété de 19h à 5h du matin. Les affrontements entre les troupes loyalistes et les insurgés se poursuivent toute la nuit.

Samedi 31 août matin, la radio annonce la «prise de Météo». Selon la version officielle on apprend enfin que «les incidents sont dus à des coups de feu lâchés vendredi matin à 12h sur une patrouille mixte APN-Défense civile qui évoluait vers le pont du Djoué, faisant des blessés dont un soldat de la défense civile et parmi les militaires, un officier. Après cet incident les forces régulières ont décidé de cerner le camp Météo afin d’obtenir des citoyens égarés la déposition de leurs armes sur un appel du chef de l’État. À l’approche des forces régulières, les citoyens égarés, une fois de plus, ont ouvert le feu. C’est là l’origine des événements regrettables, que nous venons de vivre», conclut la source officielle.

Pour ceux qui n’ont pas vécu ces événements, il convient de rappeler que le mouvement du 31 juillet vient d’avoir lieu. Le président Massamba-Débat est toujours au pouvoir malgré la création du CNR (Conseil national de la Révolution). Les éléments de la défense civile, la milice du MNR, ont été incorporés dans l’APN (Armée populaire nationale), ancienne dénomination de nos forces armées. Mais la situation politique demeure confuse, d’autant qu’un résidu de la Défense civile refuse de déposer les armes.

Ils sont basés, on pourrait même dire retranchés, au Camp Météo, leur ancien quartier général. Leur débâcle met fin à une situation qui devenait  intenable pour les populations de Brazzaville. Très vite, dans le vocabulaire populaire, «camp météo» a laissé la place à l’appellation «camp Biafra». Pour ceux qui ne le savent pas, en juillet 1967, le général Odumegwu Odjuku déclare la sécession de la partie sud-est du Nigéria, la plus riche en réserves de pétrole et crée la République du Biafra dont la capitale est Enugu. Il a le soutien de nombreux Sudistes, parmi lesquels le Dr Nnamdi Azikiwe, homme d’État nigérian.

Le gouvernement nigérian du général Yakubu Gowon, soutenu, voire appuyé par les grandes puissances étrangères, la Grande–Bretagne et l’Union soviétique notamment, réagit vigoureusement et violemment pour rétablir l’intégrité du pays le plus peuplé d’Afrique. Le pétrole et  les contradictions entre le nord musulman et le sud chrétien sont au cœur de cette tragédie qui fait un million de morts du côté des Biafrais. Le général Adekunle, surnommé le «Scorpion noir», officier nigérian, donne cet ordre à ses troupes: «Tout ce qui est vivant doit être abattu» dans l’État sécessionniste.

«Le massacre de tous les Ibo  qui peuvent être pris  est la règle», selon le journaliste M.F. Forsyth, qui avait accompagné des commandos biafrais dans plusieurs raids. C’est l’hécatombe, un véritable massacre. La communauté internationale, habituée à donner des leçons comme toujours, est juge et partie. Ainsi que l’a  si bien dit Jacques Baumel, député français, «il ne suffit pas de déplorer le massacre et d’essayer d’apporter du lait condensé aux affamés. Il faut arrêter cette guerre fratricide par une action immédiate et ferme des grandes puissances et de l’ONU, toujours prompte à condamner certains et absoudre d’autres peuples, doit imposer un cessez-le-feu immédiat et sauver le peuple biafrais.  N’y aura-t-il aucune délégation à l’ONU pour réclamer cela?»

Cette guerre atroce prend fin avec la défaite des troupes du général Odjuku. C’est le général Philip Effiong, son éphémère dauphin, qui signe la capitulation sans conditions, à Lagos, le 12 janvier 1970, brisant ainsi le rêve d’indépendance du peuple Ibo ou Igbo, fortement christianisé, qui souhaitait s’affranchir de la tutelle du nord musulman. Odjuku trouve refuge en Côte d’ivoire.

Mfumu

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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