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La démocratie sociale de proximité : la «Trilogie déterminante rénovée»

Mardi 3 Mars 2015 - 17:04

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Après la dissolution de la Trilogie déterminante (TD) en 1990, le dialogue social dans l’entreprise congolaise est désormais en panne. Ceci, sur deux points.  

1- le déséquilibre structurel : avant 1990, le dialogue  social dans l’entreprise reposait sur la concertation permanente entre le Parti congolais du travail (PCT, Parti unique, marxiste-léniniste, créé en 1969), ses organisations de masses (dont la Confédération syndicale congolaise (CSC), Syndicat unique, créé en 1964)), et l’employeur (l’État ou le Patronat). Depuis 1990,  ce dialogue ne repose plus que sur le Syndicat et le Patronat (Union patronale et interprofessionnelle du Congo, et Union des opérateurs économiques congolais).

La TD était une innovation sociale majeure, inspirée de la doctrine de la cogestion allemande, d’après laquelle, les salariés concernés par une décision doivent y participer dans le Conseil d’établissement (Délégation du personnel) et/ou dans le Conseil de surveillance (Comité d’entreprise). En Allemagne, le premier niveau concerne l’entreprise de cinq salariés au moins (contre sept au Congo et onze en France), où le Délégué du personnel (DP), élu ou désigné, doit être consulté par l’employeur sur les questions sociales et économiques. En France et au Congo, le DP n’émet que des avis sur ces questions. Au Congo, il décide en matière d’Hygiène et de Sécurité. Outre Rhin, il exerce un droit de contrôle suspensif sur la régularité et l’opportunité sociale de toute mesure de l’employeur, lequel ouvre au salarié le droit de recours devant le Juge.

Le deuxième niveau concerne l’entreprise de plus de 500 salariés (contre 50 salariés en France et 30 salariés au Congo jusqu’en 1996) où, le DP donne en plus, son avis à l’employeur, sur la gouvernance de l’entreprise. En Allemagne, trois régimes se distinguent : celui de 1951, qui concerne plus de 50 entreprises sidérurgiques et minières de plus de 1000 salariés. Il prévoit une représentation paritaire des salariés dans un Conseil présidé par un homme neutre, et la présence dans le Directoire d’un Directeur du personnel nommé avec l’accord de la majorité des représentants des salariés ; celui de 1952 qui concerne 3.500 entreprises de 500 à 2000 salariés, avec un tiers de sièges revenant au personnel, le reste aux actionnaires.

Enfin, le régime de 1976 qui concerne  plus de 746 entreprises de plus de 2000 salariés. Il prévoit une représentation paritaire des salariés, tempérée par la présence d’un cadre dirigeant parmi les salariés. La présidence du Conseil est assurée par un représentant élu parmi les représentants des actionnaires. Ce dernier dispose d’une seconde voix décisive, en cas de partage égal des voix. Ce modèle atténue les tensions sociales dans l'entreprise allemande et contribue à sa performance.

Au Congo, la TD était une sorte de «Palabre locale», fondée sur le principe régulateur des «3 Co »: la Codétermination, par laquelle tous les membres fixaient ensemble les objectifs et moyens permettant de les atteindre ; la Cogestion, par laquelle les membres participaient à la gestion de l’entreprise, et la Coresponsabilité, par laquelle les membres étaient tous responsables civilement et pénalement des décisions qu’ils prenaient. Elle comprenait trois organes : le Tribunal des Camarades, chargée de juger les travailleurs, auteurs d’actes d’indiscipline sociale, économique et politique dans les entreprises et les administrations ; la Commission de la production, chargée de planifier, d’organiser, de gérer et contrôler la production; la Commission des avancements et rémunérations, chargée de fixer et conduire la politique du personnel et des salaires.

Mais, le « Centralisme démocratique », principe fondamental du Communisme selon lequel, l’échelon inférieur doit se soumettre à l’échelon supérieur, la TD, émanation de la CSC, échelon inférieur du PCT, a été transformée en une simple chambre d’enregistrement des décisions du Parti, dans laquelle, personne n’était ni responsable des décisions prises en commun, ni coupable de leurs conséquences. Ainsi, ayant constaté l’inefficacité de la TD, le 4e congrès ordinaire du PCT, tenu du 29 juin au 4 juillet 1990, liquida cette chambre, opta pour le retour du multi syndicalisme, et récréa la DP et le Comité d’entreprise (CE). Il abandonna également le Marxisme-Léninisme comme idéologie officielle de l’État et se prononça pour le retour au multipartisme.

2- la faible participation des salariés : le Congo compte, selon les sources, 13.500 entreprises déclarées dont plus de 95% ont moins de 7 salariés. La majorité des salariés congolais ne participent donc pas au dialogue social. Les résultats des dernières élections des DP du 28 février 2006 et du 31 décembre 2013, situent au premier rang, la Confédération syndicale des travailleurs du Congo (CSTC) de tendance réformiste, qui est passée de 58% à 58,83 % du total des voix exprimées. Cette centrale est suivie par la Confédération syndicale congolaise (CSC), de tendance révolutionnaire qui est passée de 17% à 21,15 % du total des voix. Enfin, la Confédération des syndicats libres et autonomes du Congo (COSYLAC), de tendance chrétienne, qui est passée de 27% à 20,02 % du total des voix. Ces syndicats représentatifs peuvent constituer des sections syndicales dans les entreprises d’au moins 30 salariés, à condition d’y avoir au moins un DP élu.

Si la TD visait l’affirmation de l’aptitude des travailleurs congolais à s’organiser et à prendre collectivement des décisions face à l’employeur devant une autorité neutre, la reconfiguration du dialogue social sans cette autorité neutre, déséquilibre la Démocratie sociale de proximité.

Pour retrouver l’harmonie de la Démocratie sociale de proximité, il est nécessaire que la majorité des salariés participent au dialogue social. La réduction du seuil d’effectifs de 7 à 3 salariés pour l’élection du DP unique, disposant d’une voix délibérative sur toutes questions de la vie de l’entreprise, et responsable civilement et pénalement de ses décisions, est une voie de progrès dans une «Trilogie Déterminante Rénovée», animée dans le respect des « 3 Co », par un élu de proximité comme le Maire de la ville où se trouve le siège social de l’entreprise.

Par Emmanuel Okamba, Maître de Conférences HDR en Sciences de Ge

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Édition Quotidienne (DB)

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