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La Libye, le général Aftar, et les autres

Lundi 9 Juin 2014 - 2:18

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À quoi ressemblait la Libye avant la chute de Mouammar Kadhafi ? À un pays longtemps isolé sur la scène internationale, qui avait ensuite réussi, à force de concessions et d’excuses, à se faire accepter de ses pires ennemis en Occident, en Afrique et au Moyen-Orient ; un pays dans lequel un seul homme, le « guide », généreux et controversé, décidait de tout. Un pays où il n’y avait pas d’opposant déclaré jouissant des droits que pouvait lui conférer ce statut, un pays où exprimer ses opinions était interdit.

Dans cette monotonie silencieuse, harassante, révoltante, presque insupportable, mais viable, la Libye fut tout de même un pays où l’on pouvait, tout bien considéré, se dire en se couchant : « La nuit est tombée, le jour se lèvera demain comme tous les matins, et à moins d’avoir directement affaire au guide ou à ses proches, la nuit prochaine tombera et le jour suivant se lèvera avec un soleil luisant. »

À quoi ressemble la Libye d’aujourd’hui ? À une jungle dans laquelle se succèdent des hommes plus ou moins forts, avec des institutions qui leur conviennent, dont la durée de vie n’excède guère le temps qu’il faut pour les voir s’installer et tenter de dresser un état des lieux de la situation dont elles héritent. Un pays où, il ne faut pas l’ignorer, la population aspire à vivre en paix et, sans savoir quand, à profiter des bienfaits des changements qui sont intervenus depuis bientôt quatre ans. C’est dans ce contexte chaotique, où les « révolutionnaires » n’ont pas fini de faire le coup de feu qu’est apparu le général Khalifa Aftar. Il a choisi de combattre les bandes armées, dont certaines prirent une part active dans la révolte contre le guide.

Aftar n’est pas né de la dernière pluie, puisqu’il a combattu au Tchad dans les années 1980, s’est ensuite exilé aux États-Unis, puis est rentré dans son pays pendant la révolte de 2010 pour soutenir les manifestants. C’est un vieux de la vieille qui, soit dit en passant, a une certaine idée du service public : « La guerre a son éthique », prévenait-il dans une interview au site Magharebia. Soulignant sa préoccupation de voir les révolutionnaires libyens qui en voulaient à Kadhafi se détourner de l’idéal de la lutte ainsi engagée, il s’inquiétait : « Nous craignons que certains se déguisent en révolutionnaires et que nous les retrouvions en train de voler ou de commettre des crimes. »

Pour mesurer combien la situation en Libye est cauchemardesque, le général Aftar possède jusqu’aux hélicoptères de combat qui lui permettent, sans avoir reçu mandat de personne, de mener des raids aériens contre ses ennemis, en particulier les milices islamistes incontrôlables qui écument Benghazi, la deuxième ville du pays. Une partie de l’opinion publique libyenne soutient cet homme, visiblement parce qu’elle réalise, tout compte fait, que le beau jour que leur promettait la croisade anti-Kadhafi tarde à poindre.

Quand on sait combien les réseaux islamistes ont la rancune tenace, quand on sait combien ceux qui leur résistent même par la pensée leur répugnent, Khalifa Aftar s’expose à tous les coups tordus. Sa tête étant mise à prix au motif qu’il flirte avec l’éternel ennemi occidental, l’attentat auquel il a miraculeusement échappé le 4 juin ne sera sans doute pas le dernier. Pour l’heure, il ne peut espérer qu’un soutien actif d’une partie de l’armée libyenne en reconstruction et non celui des alliés d’hier qui, l’essaim d’abeilles éventré, sont rentrés chez eux arguant avoir sauvé la Libye de la dictature. Comme tout le monde, ils doivent parfois écouter la radio, regarder la télévision, lire dans la presse et sur internet les nouvelles du front autour duquel les Libyens continuent de s’entretuer. « Il n’y a pas péril en la demeure », doit-on murmurer dans les chancelleries des grandes capitales occidentales.

Gankama N'Siah

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Édition Quotidienne (DB)

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