L’Afrique et l’Europe à la croisée des chemins

Dimanche 30 Mars 2014 - 8:15

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Toutes les informations qui remontent vers nous le confirment : le sommet Afrique-Europe qui se tiendra les 3 et 4 avril à Bruxelles sera décisif. Ou bien, en effet, il prendra la tournure d’une grand-messe avec effets de manche et discours vides, ou bien il lancera un dialogue franc et direct entre les plus hauts responsables des quelque soixante-dix États présents dans la capitale de l’Union européenne. Dans l’un et l’autre cas, il aura un impact aussi fort qu’irréversible sur la relation très ancienne et parfois très houleuse qui existe entre les deux continents.

Gardons-nous d’anticiper sur ce qu’il adviendra pendant ces deux journées dans la capitale de l’Union européenne, mais rappelons les trois grandes vérités que nous ont enseignées les derniers siècles, même si celles-ci ne sont pas agréables à entendre.

1. L’Europe a beaucoup à se faire pardonner par les Africains. Ayant bâti sa fortune présente sur l’exploitation sans frein, et le plus souvent d’une extrême violence, des ressources naturelles de leur continent, elle s’est empressée d’oublier ses devoirs dès que l’Afrique a commencé d’échapper à son emprise en acquérant son indépendance. Alors qu’elle aurait pu participer de façon très concrète à l’émergence du continent, elle s’est comportée à son égard comme un usurier qui exige le paiement de sa dette sans tenir aucun compte de l’immense bénéfice qu’il en a tiré. Même si, diplomatie oblige, cette vérité ne lui est pas rappelée de façon brutale lors du sommet de Bruxelles, l’Europe serait sage de l’avoir en mémoire.

2. L’Afrique, quant à elle, ne s’est guère distinguée jusqu’à présent par son dynamisme et sa cohérence face aux puissances européennes. Alors qu’elle aurait pu leur tenir un discours collectif et s’imposer ainsi comme un groupe de partenaires dignes de respect, elle n’a cessé de se présenter en ordre dispersé lors des grandes négociations qu’elle engageait avec l’Union européenne. Ce faisant, elle a encouragé, sans en avoir vraiment conscience, l’inclination naturelle des Européens à se positionner comme les tuteurs du tiers-monde et à conserver, sinon à renforcer, la posture coloniale qui leur avait tant profité dans les siècles précédents. Pour dire les choses sans détour, elle n’a pas su exploiter les atouts qui sont les siens.

3. Les crises qui frappent aujourd’hui les deux continents – crise économique et financière au nord, crise sécuritaire, ethnique et religieuse au sud – conduisent enfin leurs dirigeants à regarder la vérité en face. Les Africains découvrent que l’extrême rapidité de leur croissance, se conjuguant à une vitalité humaine sans précédent, fait de leur continent une sorte d’eldorado moderne qui attire en masse les talents et les capitaux du monde entier. Les Européens, de leur côté, s’aperçoivent que l’apathie née du confort dans lequel ils se complaisent depuis des décennies risque de leur faire manquer une occasion historique de rebondir. Ces deux mouvements peuvent, en se conjuguant, amener les uns comme les autres à coopérer enfin sérieusement.

Vu de notre côté, c’est-à-dire depuis le camp des observateurs, tout semble prêt pour que le sommet de Bruxelles traduise en actes concrets les nobles idées émises à Lisbonne il y a sept ans, mais qui sont restées pratiquement lettre morte. Et c’est pourquoi, à la veille d’une rencontre qui pourrait bien s’avérer l’un des événements majeurs de la présente décennie, nous avons choisi de publier un numéro spécial des Dépêches de Brazzaville consacré au devenir des relations entre l’Afrique et l’Europe.

À travers les analyses, les entretiens, les réflexions qui jalonnent ces vingt-quatre pages se dessine une architecture des relations entre les deux continents très différente de celle qui a existé jusqu’à présent. Une architecture fondée non plus sur la sujétion d’antan, mais sur des partenariats équilibrés, utiles pour les deux parties et adaptés au monde très ouvert dans lequel nous vivrons demain.

L’ambition que nous poursuivons à travers ce numéro est simplement de contribuer à l’instauration d’un dialogue d’égal à égal qui pourrait faire de la relation existant entre l’Afrique et l’Europe un modèle pour le reste de la planète.

Jean-Paul Pigasse