L’Afrique et l’Europe : quid d’une relation commerciale facteur de paix ?

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:30

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Le défunt roi du Maroc, Hassan II, se plaisait à rappeler à ses interlocuteurs européens que « le seul invariant de l’histoire, c’est la géographie ». Afin de rétablir la continuité physique entre les deux espaces éloignés par la dérive des continents, il s’engagea avec le roi Juan Carlos d’Espagne, le 16 juin 1979, à la création d’un tunnel à travers le Detroit de Gibraltar (où l’Afrique et l’Europe ne sont distantes que de 14,4 kilomètres) pour intensifier les échanges économiques et socioculturels entre les deux continents. Car si la paix et la sécurité constituent une aspiration légitime en soi dans le vouloir-vivre commun de l’humanité, ses meilleurs garants restent, depuis des temps immémoriaux, le développement économique et social

Doit-on cependant revenir sur l’évolution de la relation entre l’Afrique et l’Europe, jalonnée depuis l’essor des compagnies européennes de navigation maritime qui accompagna l’expansion du capitalisme européen par des épisodes telles la traite négrière et la balkanisation de l’Afrique (consacrée à la Conférence de Berlin de 1885) résultant de la compétition entre puissances européennes pour s’adjuger des portions de territoires africains considérés comme territoires sans maîtres, la mission civilisatrice qui servit de cadre idéologique à la colonisation du continent, ou le legs post-colonial qui continue d’informer les politiques et attitudes de bien d’acteurs sur les deux continents ? Non, car la singularité de la relation entre l’Afrique et l’Europe est qu’elle est désormais régie par un partenariat stratégique (consacré lors du premier sommet UE-Afrique du Caire en 2000), dont l’ambition ultime est de venir à bout de l’insécurité humaine qui reste si prégnante dans la majorité des pays africains.

Au regard de l’intensification de la compétition pour le contrôle de parties utiles de territoires, de ressources et de rentes qui fait le lit de l’insécurité humaine et de la rupture de la paix dans de nombreux pays africains, notre hypothèse est que l’articulation d’un véritable partenariat économique et commercial entre l’Afrique et l’Europe jetterait également les bases d’un enracinement de la paix et de la sécurité en Afrique.

L’utilité de ce partenariat stratégique n’est avérée que dans sa capacité à apporter des réponses aux besoins de renforcement des capacités pour le développement économique durable de l’Afrique et sa meilleure intégration dans les circuits des échanges commerciaux. Dans un environnement international marqué par la recrudescence de la compétition globale pour s’adjuger des parts significatives de la richesse mondiale, les problématiques de l’accumulation d’un capital humain en phase avec les mutations et enjeux de notre monde, de l’accès aux ressources naturelles et aux technologies innovantes intiment à l’Afrique et à l’Europe de jeter enfin les bases d’une coopération commerciale mutuellement bénéfique.

L’un des éléments de la vision commune du partenariat stratégique souligne que « le partenariat devrait viser à combler la fracture de développement entre l’Afrique et l’Europe par le renforcement de la coopération économique et la promotion du développement durable sur les deux continents qui coexisteraient dans la paix, la sécurité, la prospérité, la solidarité et la dignité humaine ». Quels sont les paramètres prioritaires du paradigme historique de la relation commerciale entre l’Afrique et l’Europe ?

D’abord l’urgence pour l’Europe de mettre en cohérence ses priorités de politique commerciale marquée par des préoccupations mercantilistes et la recherche permanente de nouveaux débouchés commerciaux et sa politique de développement. La pratique de la négociation des accords de partenariat économique (APE) entre l’Europe et l’ensemble des pays africains subsahariens qui concentrent pourtant le contingent le plus élevé de pays les moins avancés semble à bien des égards éloigné des principes affirmés dans la communication sur le consensus européen pour le développement.

Les offres qui leur sont faites leur laissent-elles la capacité de décider de réformer leurs politiques commerciales conformément à leurs plans nationaux globaux de développement ? Les nombreuses mesures non tarifaires (sanitaires et phytosanitaires, les règlements techniques, etc.) en vigueur sur le marché européen offrent-elles à ces pays la jouissance de l’accès à ce marché pour leurs principaux produits d’exportation ? L’Europe a-t-elle levé au maximum, comme le lui intiment les règles de l’OMC, les subventions et autres mesures de distorsion des échanges à son secteur agricole ? Ce qui est en jeu, c’est la préservation de modes de vie, les revenus de 60% de populations qui dépendent de l’agriculture, le développement rural ainsi que la sécurité alimentaire.

Dans l’immédiat, l’Europe doit s’atteler à la conclusion d’APE qui servent à consolider les processus d’intégration régionale en Afrique et la dynamique de développement tout court. Dans un avenir très proche, le 1er octobre 2014, les échanges avec l’UE seront régis dans certaines régions comme l’Afrique australe par quatre régimes commerciaux distincts pour des pays appartenant à une même union douanière (le traitement APE, le régime Tout sauf les armes, le Système de préférences généralisées, la Clause de la nation la plus favorisée. Cela représente une hypothèque majeure pour des processus d’intégration régionale qui restent fragiles sur l’ensemble du continent africain.

Pourtant, la réalisation de l’intégration régionale et continentale des pays africains représente, comme c’est le cas pour l’UE à ce jour depuis la mise en route du vaste chantier du traité de Rome en 1957, une opportunité de renforcer le commerce intra-africain, créer des pôles de production et de transformation économique, et de jeter les bases d’une intégration réussie aussi bien dans les chaînes mondiales d’approvisionnement que dans les circuits des échanges mondiaux. Et les effets induits seront multiples non seulement pour le développement économique et social des pays africains et leurs populations, mais aussi pour l’UE qui tirerait parti de nouvelles opportunités économiques offertes par la prospérité africaine. Existe-t-il meilleur gage pour la paix et la sécurité en Afrique et aux portes de l’Europe ? Rappelons que la paix durable en Europe au lendemain de la Grande Guerre est à la base du projet d’intégration européenne.

Il importe que le prochain sommet Afrique-UE d’avril 2014 prévu à Bruxelles se saisisse de cette importante question. Car la structure du commerce euro-africain depuis l’Afrique des comptoirs n’a pas changé, l’un fournissant des produits manufacturés et finis, l’autre restant confiné à la production de biens primaires et de ressources naturelles. Peut-on expliquer autrement les déficits de balance commerciale et de balance des paiements entre ces deux continents ? L’Afrique et l’Europe se doivent de réfléchir ensemble aux multiples défis qui confrontent notre commune humanité pour jeter les bases d’une vie décente pour tous à l’horizon 2030, comme nous y invite le cadre de développement post-2015 en gestation aux Nations unies. Cela passe aussi par la « décolonisation » de leur relation commerciale.

 

NB : Achille Bassilekin est sous-secrétaire général, secrétariat du groupe ACP, Bruxelles. Né le 9 Mars 1969 à Yaoundé, il avait rejoint le ministère des Affaires étrangères du Cameroun en 1993 dans la fonction d’agent de bureau du Cameroun à l’ONU. Diplômé en droit de l’université de Yaoundé et de l’Institut des relations internationales du Cameroun, il a été nommé Secrétaire général adjoint du groupe ACP en charge du département du développement économique durable et du commerce (Asie-Caraïbe-Pacifique) en 2010.

Confrontation Europe au service du dialogue UE-Afrique
L’association Confrontations Europe entend, pour sa part, mener des réflexions pour l’avenir commun des deux partenaires. Confrontations Europe est une organisation non partisane, créée en 1992 par Philippe Hergoz. Elle réunit des dirigeants d’entreprises, des syndicalistes, des acteurs territoriaux, associatifs et politiques, des intellectuels et des étudiants de plusieurs pays d’Europe autour d’un engagement : la participation active de la société civile à la construction de l’Europe. C’est dans la perspective de repenser la relation Europe-Afrique et donner un nouvel élan au partenariat stratégique UE-Afrique lancé en 2007 qu’a été créée la branche africaine du groupe Europe-Monde de l’association, l’Afrique étant devenue une nouvelle frontière pour les puissances mondiales. Le prochain sommet UE-Afrique aura lieu en avril 2014.
Paterne Ngoulou

Aide publique
Le Japon offre 10,6 milliards d’euros à l’Afrique. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a annoncé lors de la cinquième conférence internationale de Tokyo sur le développement en Afrique une aide de 10,6 milliards d’euros sur cinq ans à l’Afrique, faisant du Japon le principal partenaire asiatique de ce continent sur
le plan de l’aide au développement, devant la Chine. Le plan d’aide du Japon prévoit un soutien massif au développement des infrastructures, la formation d’instructeurs agricoles en vue de doubler la production du riz enAfrique subsaharienne d’ici 2018, et le soutien à l’éducation et l’amélioration de l’accès à l’eau.
Noël Ndong

Brésil-Afrique
Le Brésil a renégocié la dette de douze pays africains. Le gouvernement de Dilma Roussef a annoncé durant la cérémonie du cinquantenaire de l’Union africaine (UA) que son pays allait renégocier ou annuler la dette bilatérale de douze pays africains d’un montant de 900 millions de dollars. Elle a également annoncé que le Brésil allait créer une agence internationale de commerce et de coopération entre l’Afrique et l’Amérique latine. Les deux principaux bénéficiaires de cette mesure seront la République du Congo (Brazzaville) et la Tanzanie. Parmi les autres pays figurent notamment la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée-Conakry, la Guinée-Bissau, la RD-Congo, ainsi que
Sao Tomé et Principe.
Noël Ndong

OMC
Nomination d’un Brésilien à la tête de l’organisation. Le Brésilien Roberto Azevedo a été nommé directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il remplace à ce poste le Français Pascal Lamy. Diplomate brésilien au sein de l’OMC, Robert Azevedo a participé à la victoire du Brésil dans d’importants litiges, tels que la plainte contre les subventions sur le coton aux États-Unis ou celles des exportations de sucre en Europe.
Noël Ndong

Achille Bassilekin